Système de vie et trajectoires des consommateurs d héroïne en milieu urbain défavorisé - article ; n°1 ; vol.62, pg 241-256
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Système de vie et trajectoires des consommateurs d'héroïne en milieu urbain défavorisé - article ; n°1 ; vol.62, pg 241-256

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Description

Communications - Année 1996 - Volume 62 - Numéro 1 - Pages 241-256
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 11
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Patricia Bouhnik
Système de vie et trajectoires des consommateurs d'héroïne en
milieu urbain défavorisé
In: Communications, 62, 1996. pp. 241-256.
Citer ce document / Cite this document :
Bouhnik Patricia. Système de vie et trajectoires des consommateurs d'héroïne en milieu urbain défavorisé. In: Communications,
62, 1996. pp. 241-256.
doi : 10.3406/comm.1996.1948
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1996_num_62_1_1948Patricia Bouhnik
Système de vie et trajectoires
des consommateurs d'héroïne
en milieu urbain défavorisé1
La crise socio-économique a produit en dix ans des effets importants
sur les populations vivant dans les villes de banlieue et les cités ; les
jeunes ont de plus en plus de mal à trouver du travail, les familles sont
elles-mêmes très souvent touchées par le chômage. Ce rappel pour dire
que les produits illicites (avec le marché et les réseaux qui rendent leur
présence possible) ont fini par fonctionner dans ce cadre comme de
véritables compensations pour faire face à la crise des bases de rela
tions et d'activités que connaissent des jeunes de plus en plus nomb
reux.
Leur diffusion, qu'il s'agisse du cannabis ou de l'héroïne, a largement
dépassé le stade de l'approvisionnement de quelques « marginaux ». Des
organisations sociales et économiques alternatives sont venues s'instal
ler dans les périphéries urbaines, profitant des défaillances des poli
tiques publiques et de la dégradation des conditions de socialisation. Je
ne m'attarderai pas sur l'histoire et les de cette mise en place,
sauf pour dire qu'elles ont radicalement bouleversé les conditions d'en
trée dans les pratiques de consommation. On ne peut plus parler aujour
d'hui de la même manière des liens entre toxicomanie et délinquance,
drogues dures et drogues douces : l'héroïne, comme le cannabis, parti
cipe à un système de vie. Ne pas prendre en compte ce système revient
à s'empêcher de comprendre les forces d'attachement et d'entraînement
qui continuent (malgré la répression et le sida) à faire que ce marché et
ces pratiques se perpétuent.
Les consommations d'héroïne, sur les terrains où j'ai travaillé, ne sem
blent guère se résorber ou régresser. Nombre d'usagers des années 80
(groupes de consommateurs entre 25 et 30 ans connus dans les quart
iers) sont morts ; plusieurs nouvelles générations leur ont succédé, dont
les conditions d'entrée ont changé et les trajectoires conduisant à
consommer se sont diversifiées.
241 Patricia Bouhnik
II ne faudrait pas sous-estimer les changements qui se sont, dans le
même temps, opérés, tout particulièrement le développement des poly-
toxicomanies de pauvreté, c'est-à dire les combinaisons souvent aléa
toires de plusieurs produits (bières, alcools forts, cachets, cannabis), les
modifications de comportement chez les usagers d'héroïne avec le déve
loppement de l'inhalation (sniff), ou encore l'arrivée du crack dans cer
tains quartiers. Pourtant, il demeure un nombre important d'usagers de
l'héroïne par voie intraveineuse — nombre qui se maintient avec l'arr
ivée régulière de nouvelles tranches d'âge.
Pour bien comprendre les conditions qui président à cette multipli
cation des entrées dans la consommation d'héroïne et décrypter les tra
jectoires, il faut d'abord reconstituer le système de vie qui les rend pos
sibles et leur sert de support.
LES CONSOMMATIONS : UN SYSTEME DE VIE
Pour mener cette réflexion, je suis partie d'un matériel constitué en
une dizaine d'années. Il concerne environ 250 personnes vivant dans
l'environnement des pratiques toxicomaniaques, dont près d'une cen
taine de consommateurs d'héroïne rencontrés dans des situations assez
contrastées : principalement dans les cités et en maison d'arrêt, quel
ques-uns à partir de contacts avec un centre de soins ou en milieu hos
pitalier. Le temps a constitué ici un facteur important2. Depuis 1986,
j'ai pu côtoyer, rencontrer, suivre et revoir, jusqu'à bien les connaître,
ces personnes directement concernées par l'usage de l'héroïne.
Plusieurs composantes du système de vie président au développement
des pratiques illicites et plus spécifiquement à celui qui sert de support
aux usagers de l'héroïne : 1) le terrain favorable que constitue la vulné-
rabilisation collective d'une partie importante des jeunes vivant dans
ces quartiers ; 2) l'existence d'un milieu susceptible de soutenir et d'al
imenter la mise en place des conditions pratiques et des relations propres
aux activités toxicomaniaques; 3) des dynamiques, qui relèvent en
grande partie de logiques de survie matérielle et sociale, susceptibles
d'entraîner et de canaliser les personnes vers ce domaine d'activité ;
4) des processus d'ancrage et d'enracinement de ces pratiques que
constituent les interdépendances.
242 Consommateurs d'héroïne en milieu urbain défavorisé
La vulnérabilisation collective.
La reconstitution des histoires et des trajectoires des différents usa
gers rencontrés fait apparaître plusieurs niveaux de vulnérabilité, avec
chaque fois deux dimensions : une perte de sens, d'intérêt et d'espoir de
trouver une place dans le monde social et économique « ordinaire », sou
vent liée à un processus de déqualification (par l'école, la famille, l'e
nvironnement) ; la recherche de ressources alternatives. Les niveaux que
j'ai identifiés sont classiques, la manière dont les personnes concernées
(les futurs usagers de l'héroïne) y réagissent l'est en revanche un peu
moins.
Plusieurs plans doivent se croiser pour assurer l'entrée dans ce sys
tème qu'a fini par constituer le jeu des pratiques de consommation et de
vente de drogues dans les cités : je partirai du plus général pour aller
vers le plus spécifique et le plus personnel.
Le premier plan me paraît être celui de Yhistoire urbaine : ce sont des
personnes qui ont connu, au travers de l'histoire et des difficultés de
leurs parents, une mise à l'écart sur le plan spatial, doublée d'une assi
milation à un cadre de vie déqualifié et sous-équipé ; elles ont eu très
jeunes conscience de cet écart et des effets qui en résultaient : la nécess
ité de « faire avec », de rechercher d'autres ressources et d'autres lieux
que ceux d'un espace public vécu comme vide ou absent, la nécessité
de se bricoler une autre ville que la ville officielle. Ce qui existe ne leur
est pas destiné. Cette autre ville, c'est la ville des réseaux de pratiques
illicites.
Le deuxième plan renvoie à la manière dont l'institution charnière
que constitue l'école a discrédité une partie de cette population, l'a assi
gnée à un sentiment de disqualification, et a, du même coup, porté le dis
crédit sur tout ce qui relève des institutions, des politiques et du monde
adulte ; les terrains d'apprentissage, la reconnaissance, la valorisation,
il faudra les trouver ailleurs.
Le troisième plan relève des problèmes de filiation : on ne se recon
naît plus que partiellement dans les transmissions familiales et cultu
relles. Les situations sont, de fait, très variées ; mais la « référence »
familiale est de plus en plus problématique : soit à cause de tensions
(avec des familles recomposées, des séparations dramatiques ou des
heurts avec le père) pouvant conduire à des affrontements et des rup
tures brutales ; soit parce que se met en place une « neutralisation » des
relations qui fait que l'on cohabite sans plus avoir rien à échanger; soit
à cause de l'écartèlement que suppose — pour les plus disposés à la concil
iation, les plus respectueux de ce que représente la famille — la tenue
243 Patricia Bouhnik
d'un double jeu, avec des compromis et des négociations qui débouchent
le plus souvent sur des équilibres précaires.
Au croisement de toutes ces situations qui fonctionnent comme un
point fort, même pour les plus marginalisés, on trouve la disparition de
valeurs portées par la famille, reconnues et acceptées, qui auraient pu

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