Thomas Muntzer et le Manifeste de Prague - article ; n°1 ; vol.9, pg 1-13
14 pages
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Description

Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance - Année 1979 - Volume 9 - Numéro 1 - Pages 1-13
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 21
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Joël Lefebvre
Thomas Muntzer et le Manifeste de Prague
In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°9, 1979. pp. 1-13.
Citer ce document / Cite this document :
Lefebvre Joël. Thomas Muntzer et le Manifeste de Prague. In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la
renaissance. N°9, 1979. pp. 1-13.
doi : 10.3406/rhren.1979.1105
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1979_num_9_1_1105MUNTZER ET LE MANIFESTE DE PRAGUE THOMAS
(1521)
1/ — Réflexions liminaires
Souvent l'intérêt porté à Thomas Mûntzer paraît d'emblée suspect. Comment expliquer
cet intérêt, en effet, si ce n'est par le souci de chercher chez ce révolutionnaire du XVIème siè
cle des modèles de pensée et d'action pour notre temps ? Telle fut bien, il faut le dire, la moti
vation essentielle des deux publications les plus célèbres qui ont été consacrées à Mùntzer par
des auteurs se réclamant du marxisme.
Le livre d'Engels sur la Guerre des paysans (1) a été écrit en 1850, sous le coup de
l'échec de la Révolution de 1848 en Allemagne. La brève préface commence par ces mots :
«L'Allemagne, elle aussi, a une tradition révolutionnaire». Il s'agissait donc expressément de
maintenir vivant, en un moment de reflux pour le mouvement démocratique, le souvenir des
luttes passées et d'affirmer, par cette référence au XVIème siècle, que l'Allemagne n'avait pas
toujours été la terre d'élection de l'autoritarisme et de la soumission. Dans une telle conjonctur
e, Mûntzer prenait valeur exemplaire.
Le cas de l'ouvrage d'Ernst Bloch,vVf«»tzer, théologien de la révolution (2), est très ana
logue. Publié en 1921, dans la double conjoncture du succès de la d'Octobre en Russ
ie et de l'échec de celle des Spartakistes en Allemagne, son propos est aussi de mettre en lu
mière à la fois une continuité historique et un modèle idéologique : «Dans la réalisation bolche
vik du marxisme, on retrouve précisément les caractères du vieux baptisme radical luttant au
nom de Dieu, le communisme taborite et joachimite» . Le chapitre qui fait suite à cette phrase
est intitulé : «Actualité de Mûntzer», et il s'achève par ces mots : «D'autres temps sont venus,
et ils ne connaîtront plus de repos avant que leur oeuvre soit accomplie [ . . . 1 . Voici mainte
nant entrés dans l'arène révolutionnaire les héritiers des compagnons tisserands et des ouvriers
drapiers qui entouraient Mûntzer. Et rien ne pourra les en chasser» (3). Actualité de Mûntzer,
donc, et cela parce que, par delà les temps, il conserve valeur de modèle d'interprétation est
cohérente, et fidèle à la pensée et à l'action de Mùntzer (du moins du Mùntzer de la dernière
période).
C'est ainsi que, sur cette lancée, Mûntzer finira par prendre place dans les mythologies
insurrectionnelles de notre temps, entre les marins du Cuirassé Potemkine et Che Guevarra. Mais
il n'en reste pas moins évident que ce point de vue est lié à un choix politique précis fait dans
des moments historiques déterminés ; il ne saurait pour autant constituer la vérité unique et dé
finitive sur Mûntzer. La pratique politique de Mûntzer dans la dernière année de sa vie, qui fut
aussi sa période la plus intense et la plus active, est de plus en plus orientée vers l'insurrection
armée, ce qui ne constitue pas nécessairement un modèle.
La seconde raison qui invite à substituer l'attitude critique au culte du modèle tient à
ce qui, du point de vue d'une action politique dans l'Europe moderne, apparaît comme une fai
blesse dans la pensée de Mûntzer : il ne propose jamais d'image tant soit peu précise de ce que
sera l'avenir après le bouleversement qu'il envisage ; cette image ne peut être qu'induite à partir
des critiques qu'il adresse à la société féodale de son temps ; et il dit seulement que ce sera la
fin des aliénations, de l'oppression politique et sociale, et l'avènement de la foi en même temps
que celui de la liberté. Autrement dit, il n'y a pas chez Mûntzer de projet de société (4). demandera alors ce qui peut bien justifier, en dehors de la perspective du modèle, On
l'intérêt, voire l'attachement, porté à une oeuvre de ce type. En voici quelques raisons :
La première, qui touche aussi, mais en un sens différent, à l'actualité de notre temps,
est d'ordre théorique : avec Mùntzer, nous pouvons saisir l'origine religieuse commune du mar
xisme et d'un certain christianisme social radicalise. En ce sens, son importance ne peut être su
restimée et il mérite toute l'attention.
En outre, dans une grande partie de l'historiographie, protestante en particulier, la figure
colossale de Luther a rejeté Mûntzer dans l'ombre, ne serait-ce qu'en raison des dimensions de
leurs oeuvres respectives : quatre-vingts volumes environ pour Luther, tandis que les écrits comp
lets de Mûntzer tiennent en un livre d'à peine six-cents pages. Pourtant, Mùntzer fut l'adver
saire principal de Luther, son rival le plus doué et le plus conséquent dans le camp de l'aile ra
dicale de la Réforme, et son influence au XVIème siècle, encore que souterraine, resta considér
able. Mais Luther sortit vainqueur de l'affrontement, alors que Mûntzer fut exécuté en mai
1525. Il sera dès lors repoussé au rang des figurants, alors que tout invite à voir en lui un prota
goniste de cette tragédie allemande. Il fut au total, avec Sebastian Franck et Paracelse, mais en
un sens très différent, l'un des grands «marginalisés» du XVIème siècle allemand, et il est juste
qu'il bénéficie à ce titre du vif intérêt porté par notre époque aux phénomènes marginaux du
passé.
Sans doute le phénomène marginal n'est-il pas en lui-même toujours et nécessairement
important ; il est des phénomènes marginaux chargés de signification, et d'autres qui le sont
moins ou pas du tout. Au nombre des premiers, il faut compter ceux qui permettent de proje
ter une lumière sur les dominantes d'une époque. Il y a là une manière d'ironie de l'histoire et,
pour le marginal, ou que l'on a dit tel, une sorte de revanche posthume. Mùntzer est bien de
ceux-là. Outre son intérêt propre, l'étude de son oeuvre permet souvent de saisir avec plus de
recul et plus de netteté le sens de certaines positions de Luther, notamment dans le domaine
politique. La critique de l'autorité temporelle par Mûntzer, et son affirmation de la souverainet
é du peuple et du droit à la révolte font ressortir avec plus de force la soumission au pouvoir
exigée par Luther, sa condamnation de toute rébellion, fondée sur la sacralisation de l'ordre exis
tant. Plus généralement, la cohérence entre la théorie et la pratique politiques chez Mùntzer
souligne indirectement la contradiction qui s'instaure parfois chez Luther entre ces deux plans
et le fait qu'en diverses circonstances il ait violé le principe, si souvent proclamé par lui, de la
séparation entre la sphère spirituelle et la sphère temporelle.
Enfin (mais ceci ne concerne que le germaniste), l'intérêt de l'oeuvre de Mûntzer n'est
pas moindre pour ce qui est de l'histoire de la langue. Une certaine idée conventionnelle a long
temps prévalu, qui a stimulé la recherche sur la langue de Luther, mais freiné l'étude de celle de
ses contemporains : Luther aurait créé à lui seul et presque ex nihilo la langue allemande mod
erne. Certains historiens de la langue pensent aujourd'hui que l'action linguistique de Luther a
été surestimée. C'est là un vaste champ de recherche, en plein développement, et qui est parfois
le lieu de polémiques entre spécialistes. Bornons-nous ici à indiquer que si la langue de Mùntzer
est voisine de celle de Luther — ils sont originaires de la même région —, leurs styles sont assez
différents. Chez le premier, l'allemand est souvent plus personnel, plus vigoureux et plus riche,
marqué notamment par des créations verbales originales et surtout par la pulsation, dans l'écri
ture, d'un souffle prophétique passionné qui est une des composantes

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