A la recherche du «tékényâouy» : nouveaux aperçus sur la structure de pouvoir au Dar For - article ; n°1 ; vol.55, pg 261-274

M.-J. Tubiana

Description

Journal des africanistes - Année 1985 - Volume 55 - Numéro 1 - Pages 261-274
Résumé Peut-on renouveler l'histoire de l'Afrique ? Prenant comme exemple l'histoire du Dar For, l'auteur montre comment la découverte de nouvelles sources — dans le cas présent des documents d'archives privées — et l'application conjuguée de la démarche historique et de la démarche ethnologique qui consiste l'une et l'autre à aller à la source de l'information, font avancer l'histoire d'une région et par là même l'histoire du pays tout entier. La recherche de l'identité d'un personnage et de son rôle à l'intérieur d'une institution a permis de préciser les rapports politiques qui, dans ces royaumes sahéliens, s'instaurent le plus souvent entre vainqueurs et vaincus, les premiers s'appuyant sur les seconds pour gouverner en leur déléguant une partie de leur pouvoir.
Abstract Can the application of different methods to new source material help establish a different history of Africa i The discovery in the Dar fur of private archives together with their examination from both historical and anthropological approaches have shed new light on the history of this part of the Sudan and, consequently, on the history of Africa. Attempts to identify a dignitary who appeared for the first time in written documents under the Arabicized name of «Tékényâouy» and the investigation of the state institution of which he was in charge have revealed a particular kind of relationship between the conquered people and their, conquerors : the latter in order to build up their power secured the support of the former by integrating them within the new state structure in prominent but far from supreme positions.
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: JOURNAL_DES_AFRICANISTES
• Publié le: 01 janvier 1985
• Nombre de lectures: 55
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Marie-José Tubiana
A la recherche du «tékényâouy» : nouveaux aperçus sur la
structure de pouvoir au Dar For
In: Journal des africanistes. 1985, tome 55 fascicule 1-2. pp. 261-274.
Résumé Peut-on renouveler l'histoire de l'Afrique ? Prenant comme exemple l'histoire du Dar For, l'auteur montre comment la
découverte de nouvelles sources — dans le cas présent des documents d'archives privées — et l'application conjuguée de la
démarche historique et de la démarche ethnologique qui consiste l'une et l'autre à aller à la source de l'information, font avancer
l'histoire d'une région et par là même l'histoire du pays tout entier. La recherche de l'identité d'un personnage et de son rôle à
l'intérieur d'une institution a permis de préciser les rapports politiques qui, dans ces royaumes sahéliens, s'instaurent le plus
souvent entre vainqueurs et vaincus, les premiers s'appuyant sur les seconds pour gouverner en leur déléguant une partie de
leur pouvoir.
Abstract Can the application of different methods to new source material help establish a different history of Africa i The discovery
in the Dar fur of private archives together with their examination from both historical and anthropological approaches have shed
new light on the history of this part of the Sudan and, consequently, on the history of Africa. Attempts to identify a dignitary who
appeared for the first time in written documents under the Arabicized name of «Tékényâouy» and the investigation of the state
institution of which he was in charge have revealed a particular kind of relationship between the conquered people and their,
conquerors : the latter in order to build up their power secured the support of the former by integrating them within the new state
structure in prominent but far from supreme positions.
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Tubiana Marie-José. A la recherche du «tékényâouy» : nouveaux aperçus sur la structure de pouvoir au Dar For. In: Journal
des africanistes. 1985, tome 55 fascicule 1-2. pp. 261-274.
doi : 10.3406/jafr.1985.2099
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0399-0346_1985_num_55_1_2099MARIE-JOSÉ TUBIANA
À LA RECHERCHE DU «TÉKÉNYÂOUY» :
NOUVEAUX APERÇUS SUR LA STRUCTURE DU POUVOIR AU DAR FOR*
Que l'esprit de découverte doive être le propre du chercheur peut sembler
une évidence. Si l'on pense que la recherche doit tendre à la découverte de
nouvelles connaissances, de nouvelles relations, on peut dire que sans esprit
de découverte la recherche n'est que plate compilation, ressassage morose.-
Recherche et découverte : deux aspects d'une même démarche. Encore faut-
il que l'esprit souffle !
Il est des domaines où l'esprit est plus laborieux que dans d'autres et
l'histoire africaine me paraît être un de ces domaines. Bien sûr, illy a histoire
et histoires. Il y a une histoire que l'on peut écrire à partir de sources déjà
établies, abondantes,, variées, dont la critique est relativement aisée à faire
si; elle n'est déjà faite ; il y a une autre histoire qu'il faut écrire à partir de
sources que l'on doit soi-même collecter, où exploitation et critique sont à
mener de front à l'aide d'une solide connaissance des réalités socioculturelles
de la région étudiée. C'est dans cette dernière perspective que se situe l'his
toire africaine : histoire peu connue,- mal connue, en pleine gestation, en
pleine mutation.
L'histoire du royaume du Dar For, un des grands Etats du Soudan, paraît
être mieux connue que d'autres. Parmi les sources les plus sûres, des voyageurs
tels que Browne (1799), El-Tounsy ( 1845), Nachtigal (1879) et des fonctionn
aires tels que Slatin Pacha (1898) et Na'um Shuqayr (1903), pour ne citer
que quelques-uns des plus importants, nous ont laissé de remarquables témoi-
gnagnes. Parmi les auteurs modernes McMichaël (1918, 1922), Arkell (1936,
1961), Abu Salim (1975, 1983) et O' Fahey (1972, 1980, 1983), pour là aussi
ne citer que quelques-uns, ont, sur la base d'informations ou de données nouv
elles, apporté leurs interprétations, suggéré des hypothèses. Pourtant l'im
pression demeure, à la lecture de ces écrits, d'une histoire dont des pans entiers
restent obscurs.
On peut se poser deux questions : est-il trop tard pour essayer d'aller
au-delà du tableau en notre possession et qui nous laisse insatisfaits ? Par
quels moyens aller au-delà ?
* Une première version de cet article a été présentée aux «Entretiens sur l'esprit de découverte»
commémorant le quatrième centenaire de la naissance de Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, qui se sont
tenus au Laboratoire Peiresc du 10 au 13 décembre 1980.
Journal des africanistes, 55 (1-2) 1985 : 261-274 ш
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A LA RECHERCHE DU «TÉKENYAOUY» 263
Les faits et les découvertes permettront de répondre à la première ques
tion ; quant à la deuxième, elle mérite quelques développements. Je prendrai
deux exemples : l'un où intervient la chance, l'autre l'esprit- de curiosité.
La chance et l'esprit de découverte
Quand en 1965 nous avons commencé à travailler au Dar For, Joseph
Tubiana et moi-même, nos relations amicales avec le shartay Adam Tâhir de
Dor nous ont permis d'avoir accès à ses archives privées qu'il nous a présentées
spontanément1. Nous supposions l'existence de tels papiers dans un royaume
qui apparaissent bien organisé, anciennement islamisé, mais rien ne nous per
mettait de croire qu'ils aient été conservés et nous n'avions; même pas osé
poser la question, alors que nous venions à peine de nous lier avec le shartay2 .
L'esprit de découverte et la chance se sont dans ce cas conjugués pour nous
aider.
La quinzaine de lettres que nous montra le shartay nous émurent comme
la découverte d'un trésor. Elles étaient adressées par les sultans for à des
membres de la famille du shartay pour confirmer leurs privilèges sur des terres,
sur des personnes - ou < pour les autoriser à percevoir en tout ou en partie les terres' impôts dont sont passibles ces ou ces personnes. Les faits mentionnés
dans ces documents s'étendaient de 1752 environ à 1874, les documents, eux-
mêmes datant du règne du sultan 'Abd ar-Rahmân. ar-Râshid (1788-180 1
environ)3 .
Ces documents étaient intéressants en eux-mêmes, mais surtout cela
signifiait que si de tels documents existaient dans une petite chef f crie comme
celle de Dor, sur les marches septentrionales. du Dar For, il devait en exister
ailleurs. C'est à partir de cette information que R. S. O'Fahey s'est mis dès
1970 à prospecter systématiquement les archives privées dans la province
d'El-Fasher et. qu'il a pu photographier et cataloguer plusieurs centaines de
documents4 . Cela allait modifier nos connaissances sur cette région.
1. Shartay : chef d'un district plus ou moins étendu ayant sous ses ordres les chefs des différents
villages.
2. Bien que de tels documents aient été signalés déjà par El-Tounsy, mentionnant la copie du
contrat de donation des terres octroyées à son père par le sultan Abd el-Rahman (Voyage au Darfour :
50-51) et par Na'um Shuqayr (II : 139-141) et 250-254 de la traduction française inédite de Viviane
A. Yagi). Kropáček a examiné ces titres de propriété dans son article de 1971.
3. Deux d'entre eux ont été traduits et édités par Jean-Franqois Fourcade, «Documents arabes
intéressant l'histoire du Dár-Fúr», Etudes arabes. Dossiers de la RCP n° 45, Paris, 1968. La totalité
des documents a été publiée par R. S. O'Fahey et M. I. Abu Salim, Land in Dâr-Fûr, («Fontes historiae
africanae»), series Arabica III, Cambridge Univ. Press, 1983 (First draft 1980).
4. Les textes et traductions de neuf d'entre eux paraissent, sous forme ronéotée, en 1972 : R. S.
O'Fahey and Abdel Ghaffar Muhammad Ahmad, Documents from Dâr-Fûr, fasc. I. University of Bergen,
Norway ; puis cinq autres en 1973, id., fasc. IIJ En 1974, R. S. O'Fahey dresse un catalogue de 217
documents provenant de 25 sources différentes (archives et collections privées). Ils confirment des droits
sur les terres, précisent des frontières, accordent des sauf-conduits com