Baudelaire et le rêve maîtrisé - article ; n°15 ; vol.7, pg 34-44
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Description

Romantisme - Année 1977 - Volume 7 - Numéro 15 - Pages 34-44
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 41
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Marc Eigeldinger
Baudelaire et le rêve maîtrisé
In: Romantisme, 1977, n°15. pp. 34-44.
Citer ce document / Cite this document :
Eigeldinger Marc. Baudelaire et le rêve maîtrisé. In: Romantisme, 1977, n°15. pp. 34-44.
doi : 10.3406/roman.1977.5072
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1977_num_7_15_5072Marc EIGELDINGER
Baudelaire et le rêve maîtrisé
Si le fameux rêve que Baudelaire rapporte à Charles Asselineau dans
sa lettre du 13 mars 1856 a particulièrement retenu l'attention de la cri
tique, en revanche la problématique et le phénomène du songe dans l'œuvre
du poète n'ont que rarement fait l'objet d'une étude, en tant qu'ils sup
posent l'élaboration d'une poétique et une application de cette poétique *.
Comme l'amour et la mort, le rêve est ambivalent, à la fois bénéfique et
maléfique, au regard de Baudelaire; il correspond à une hantise et une
curiosité, associées au sentiment de la distance, à une préoccupation invin
cible, mêlée à cette méfiance que le poète éprouve à l'égard des puissances
de l'obscur, qui échappent au contrôle de la lucidité. Il constitue un uni
vers spécifique, issu des frimas et du climat nébuleux du Nord, une sphère
opaque et ténébreuse dans laquelle le romantisme s'est complu. « Le roman
tisme est fils du Nord [...] ; les rêves et les féeries sont enfants de la brume » 2,
Le rêve compose un verbe humain et cosmique qu'il importe de déchiffrer
une substance énigmatique en laquelle il est tentant et périlleux de pénét
rer. Il est le seul instrument d'investigation dont l'homme dispose pour
sonder les espaces du mystère nocturne, une espèce de privilège consenti
à certains êtres, plus aptes que d'autres à s'aventurer dans l'empire des
ombres et la frange obscure de l'inconscient, privilège redoutable et sacré,
qui présente des analogies évidentes avec le don de l'inspiration poétique.
Rêver magnifiquement n'est pas un don accordé à tous les hommes [...] La faculté
de rêverie est une faculté divine et mystérieuse ; car c'est par le rêve que l'homme
communique avec le monde ténébreux dont il est environné3.
Baudelaire n'a pas seulement considéré l'univers onirique d'Edgar Poe
et de Thomas de Quincey, de Victor Hugo et de Charles Asselineau, ou
la « fréquentation forcée » avec le songe de peintres tels que Goya, Dela
croix et Grandville, il a conçu une véritable poétique du rêve et en a utilisé
les données dans son œuvre. Davantage il a « pressenti que le rêve devait
avoir un sens », selon la formule de Pierre Jean Jouve 4 et qu'il était à sa
manière organisé en un langage dont le poète s'efforce de rechercher la
clef, sans qu'il parvienne nécessairement à la découvrir. Baudelaire et le rêve maîtrisé 35
Dans Les Paradis artificiels, Baudelaire établit une distinction éclairante
entre le rêve naturel et le rêve absurde. Le premier est l'expression de l'homme,
de sa nature psychologique et morale, le reflet de son existence quotidienne ;
il est fait de la trame d'éléments empruntés à la vie diurne et à des événe
ments réels, centré sur l'activité propre au moi du rêveur. Le second est
au contraire détaché du contexte de l'existence et dépasse l'être du rêveur ;
il est mystérieux, en relation avec le sacré et le surnaturel, en communic
ation avec le monde de l'invisible. Il est soumis aux pouvoirs de la trans
cendance et implique en quelque manière la reconnaissance de l'inconscient ;
il propose à l'esprit du dormeur « un tableau symbolique et moral » qu'il
s'agit de décrypter comme un langage ésotérique. Le rêve nature présente
les apparences de la logique et satisfait à une certaine cohérence, dans la
mesure où il est lié au fonctionnement de la mémoire volontaire, tandis
que le rêve absurde défie les lois de la clarté et de l'intelligibilité, il déconc
erte la raison et surgit des profondeurs de la involontaire.
Dans le sommeil, ce voyage aventureux de tous les soirs, il y a quelque chose
de positivement miraculeux ; c'est un miracle dont la ponctualité a émoussé
le mystère. Les rêves de l'homme sont de deux caisses. Les uns, pleins de sa vie
ordinaire, de ses préoccupations, de ses désirs, de ses vices, se combinent d'une
façon plus ou moins bizarre avec les objets entrevus dans la journée, qui se sont
indiscrètement fixés sur la vaste toile de la mémoire. Voilà le rêve naturel ; il
est l'homme lui-même. Mais l'autre espèce de rêve ! le rêve absurde, imprévu,
sans rapport ni connexion avec le caractère, la vie et les passions du dormeur !
ce rêve que j'appellerai hiéroglyphique, représente évidemment le côté surna
turel de la vie, et c'est justement parce qu'il est absurde que les anciens l'ont cru
divin [...] C'est un dictionnaire qu'il faut étudier, une langue dont les sages
peuvent obtenir la clef5.
Les rêves naturels sont définis par leur relation avec des matériaux enre
gistrés par la mémoire, ils sont des « reliquats de la journée », selon la for
mule de Freud ; ils puisent leur substance dans le vécu et les impressions
ressenties durant l'état de veille, ils « ne sont que les souvenirs déformés
ou transfigurés des obsessions d'une journée laborieuse » 6. Les rêves absurdes
sont hiéroglyphiques, parce qu'ils forment une architecture labyrinthique
dans laquelle la conscience ne pénètre pas ou dont elle ne saisit pas toutes
les composantes. Ils sont empreints d'une part de mystère, soustraite aux
incursions de l'intelligence. « Aucun homme ne peut rendre compte de
tout ce qui arrive dans les rêves » 7. C'est bien ce qui se produit dans le
rêve que Baudelaire raconte à Charles Asselineau. Le poète s'avoue assailli
de rêves étranges, insolites dont le sens et la cohérence lui échappent,
parce qu'il les croit sans relation avec les accidents internes et externes
de sa vie, issus d'un univers inconnu sur lequel il n'a pas de prise et dont
il ne réussit pas à interpréter les signes.
Remarquez que ce n'est qu'un des mille échantillons dont je suis assiégé, et
je n'ai pas besoin de vous dire que leur singularité complète, leur caractère génér
al qui est d'être absolument étrangers à mes occupations ou à mes aventures
personnelles me poussent toujours à croire qu'ils sont un langage quasi hiéro
glyphique dont je n'ai pas la clef8.
La distinction, imaginée par Baudelaire, n'est pas sans analogie avec
celle qu'établira Freud, en identifiant trois catégories dans les rêves : « les
rêves clairs et raisonnables », nés de la vie psychique consciente et peu 36 Marc Eigeldinger
dignes de retenir l'attention de l'analyste, « les rêves raisonnables » par
leur intelligibilité, mais surprenants par leur contenu et leur distance
apparente des préoccupations quotidiennes, enfin les rêves dépourvus de
sens et de clarté, « incohérents, obscurs et absurdes ». Les deux dernières
divisions étant plus déterminantes, parce qu'elles permettent l'opération
par laquelle « le contenu latent » se substitue au « contenu manifeste » 9.
Les deux premières catégories de Freud se rapprochent des rêves naturels
de Baudelaire par leur conformité à une certaine ordonnance logique,
tandis que la troisième catégorie est assimilable aux rêves absurdes par la
rupture avec les règles de la vraisemblance et leur projection dans l'espace
de l'irrationnel.
A la différence de Gérard de Nerval, Baudelaire n'est guère préoccupé
par le dessein de peindre « l'épanchement du songe dans la vie réelle »,
mais plutôt soucieux de séparer le rêve de la réalité, de les concevoir comme
deux univers disjoints. La dédicace des Paradis artificiels s'ouvre par cette
affirmation célèbre, proclamant la souveraineté du rêve, qui rend dérisoire
les réalités de l'ici-bas : « Le bon sens nous dit que les choses de la terre
n

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