Chronique familiale andalouse et histoires de femmes - article ; n°150 ; vol.39, pg 119-137
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Description

L'Homme - Année 1999 - Volume 39 - Numéro 150 - Pages 119-137
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 27
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Anne Cadoret
Chronique familiale andalouse et histoires de femmes
In: L'Homme, 1999, tome 39 n°150. pp. 119-137.
Citer ce document / Cite this document :
Cadoret Anne. Chronique familiale andalouse et histoires de femmes. In: L'Homme, 1999, tome 39 n°150. pp. 119-137.
doi : 10.3406/hom.1999.453569
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1999_num_39_150_453569Chronique familiale andalouse
et histoires de femmes
Anne Cadoret
L. ORSQUE nous avons rencontré Mari, l'héroïne de cette histoire familiale,
il s'agissait seulement de l'écouter raconter son expérience de mère célibat
aire. Nous faisions alors une étude sur la construction de la filiation des
femmes sévillanes (Martinez & Rodriguez 1997), sachant qu'en Espagne
comme dans d'autres pays européens, on ne se marie plus « pour toute la
vie », voire, comme Mari, on ne se marie plus du tout. Mais Mari, relatant
sa vie de mère, racontait aussi son histoire de sœur et de fille, ainsi que
l'histoire de sa propre mère, et revendiquait sa place dans la généalogie
familiale. Elle nous faisait implicitement comprendre que nous ne pou
vions appréhender sa maternité célibataire qu'en la situant dans l'histoire
des femmes de sa famille, histoire liée à la question générale du couple et
de la filiation.
Depuis les années 70, le lien entre procréation et mariage se dénoue, la
filiation ne dépend plus de l'alliance. Les enfants « naturels » deviennent
légalement semblables aux enfants « légitimes ». Les femmes peuvent pro
créer hors mariage sans conséquence familiale préjudiciable à l'enfant ni
risque d'opprobre pour elles-mêmes. Le lien entre sexualité féminine et
procréation se desserre aussi ; les revendications des femmes quant à la
maîtrise de leur fécondité (un enfant si je veux, quand je veux) deviennent S2
des revendications légitimes et entendues : la contraception et l'interrup- 5)
tion volontaire de grossesse sont légalement autorisées. En effet, depuis j£]
1978, les femmes espagnoles peuvent bénéficier de la contraception 1 ; date <^J
marquant aussi la réintroduction dans la Constitution du principe d'éga- t/)
lité de tous les droits entre hommes et femmes. En 1983, est créé l'Institut q
1. Le divorce est autorisé depuis 1981, et — avec de nombreuses restrictions — l'interruption volontaire !■«
de grossesse depuis 85- ^UJ
L'HOMME 150/ 1999, pp. 119 à 138 la femme pour aider ces dernières à conquérir l'égalité proclamée par la de
Constitution, c'est-à-dire à allier vie professionnelle et vie familiale, à dis-
socier sexualité de procréation2 et éventuellement à associer procréation et
concubinage ou procréation et célibat. Mais cette évolution des mœurs
reste marquée par la culture et l'histoire familiale du pays, comme en
témoigne le récit de Mari.
Mari appartient à une famille bourgeoise d'Andalousie, région où les
relations homme-femme étaient encore, jusqu'aux années 60-70, régies
par le code de l'honneur. L'homme se devait de s'affirmer à l'extérieur, de
conquérir les femmes et de féconder son épouse, sinon il était qualifié
d'incapable — «no sirve», «no es bueno como hombre» —, alors que le devoir
des femmes était de rester pures et prudes, et d'opter pour le mariage et la
procréation ou pour le célibat, donc la chasteté. Mais n'oublions pas que
l'Espagne, tout en valorisant les exploits sexuels des hommes et la mater
nité des femmes, constituait aussi une société où certains de ses membres
se trouvaient exclus du mariage, la raison du célibat étant à rechercher
dans des stratégies de transmission du patrimoine, dans la nécessité de
s'occuper des vieux parents ou dans la valorisation des vocations religieuses
(Contreras 1989). Si la place des hommes, célibataires ou mariés, était la
rue et les bars, celle des femmes, célibataires ou mariées, était la maison ou
l'église3. Le monde et l'espace féminins étaient aussi le lieu de l'enfance et
de la famille. Mais en écoutant cette mère-célibataire des années 90 nous
parler de famille, c'est-à-dire de consanguinité et d'alliance, de monde
féminin, de maternité et de matrilinéarité, on peut se demander s'il n'y
avait pas, déjà autrefois, une manière, différente de celle du mariage et de
la procréation, de vivre la maternité, ou plutôt le maternage, et de se pro
longer dans une descendance.
Avant de dévider le fil de cette histoire, je poserai deux préalables d'anal
yse. Le premier concerne le poids des mots. Il faut prendre ceux-ci « au
pied de la lettre », comme des signes du social et non comme de simples
métaphores. Ils ne se limitent pas à n'être que des représentations de la
société sans effets sur cette dernière, à que de simples reflets, mais ils
constituent une réalité sociale, au même titre que les gestes, les pratiques,
etc., et révèlent une logique tout en la construisant. Je reviendrai donc sou
vent au discours de notre interlocutrice pour comprendre le lien femme-
mère et « déconstruire » la nature du mot « mère ». Le second préalable
porte sur l'utilisation de la littérature ethnologique ; celle-ci nous dévoile
2. Ainsi, si en 1980, 52 % des Espagnols considéraient qu'un couple qui choisit de ne pas avoir d'en
fants n'est pas un vrai couple, ils ne sont plus que 38 % à le penser dès 1984.
3. Cf. par exemple Pitt-Rivers 1977 ou Gilmore 1994.
Anne Cadoret d'autres organisations sociales ; nous y apprenons par exemple à différen
cier le mot « parent » de celui de géniteur (-trice) et elle nous montre des
enfants circulant entre différentes cellules familiales, les formules de circu-
lation variant d'une société à l'autre ; parfois l'enfant part vivre avec une
vieille mère ou une première épouse « en manque de jeunesse », ou circule
à la manière d'un(e) époux(se) pour maintenir les liens d'échange matri
moniaux, ou prend la place de la fille ou du garçon manquant, ou encore
choisit de vivre avec d'autres parents4. Quel que soit le cas de figure, l'en
fant renforce la cohésion sociale et régule la parenté.
À l'écoute de cette chronique andalouse, celle de Mari, nous nous
sommes demandée si nous n'avions pas affaire à un phénomène semblable
de circulation d'enfants et de régulation de la parenté.
La configuration familiale
L'histoire de la famille nous est donc présentée par Mari, célibataire
d'une quarantaine d'années qui vient de s'installer dans un appartement
dont elle a hérité ; elle vit avec sa nièce, Fatima, fille unique de son frère
cadet, qu'elle élève depuis toujours et dont elle demande maintenant
l'adoption. Mari est la deuxième d'une fratrie de six enfants (cf. fig. 1,
p. 122, génération 0), nés aux alentours des années 60. La sœur aînée est
séparée de son mari, qu'elle revoit pourtant très régulièrement ; ils vivent
à une centaine de kilomètres l'un de l'autre, chacun tenant à son autono
mie professionnelle et personnelle. Le troisième, Antonio, est le père de
Fatima, dont s'occupe Mari ; après avoir passé une période difficile où il se
droguait, il a trouvé du travail dans une ville du Nord de l'Espagne et
pense se marier prochainement avec sa nouvelle amie ; quant aux deux
germains suivants, une fille et un garçon, leur itinéraire affectif et conju
gal correspond au modèle familial de référence : chacun vit avec son
conjoint et ses enfants. Enfin, la sixième de la fratrie, que nous avons
appelée Pepa, après un mariage de quelques semaines, a obtenu la sépara
tion et demande même l'annulation de son union ; union dont elle a eu
une fille, Isabel.
Tous ces germains se disent très proches de leur mère, Esperanza.
Esperanza a divorcé (à la demande de son mari qui s'est remarié), après
plusieurs années de séparation, précédées de nombreuses années d'ab
sences répétées de son mari ; elle avait épousé son cousin germain (le fils jû
de la sœur de son père). Elle n'a jamais travaill&

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