Corps-texte/texte-corps : des rites juifs comme rites textuels - article ; n°129 ; vol.34, pg 93-108
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Description

L'Homme - Année 1994 - Volume 34 - Numéro 129 - Pages 93-108
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Claude Gandelman
Tsili Dolève-Gandelman
Corps-texte/texte-corps : des rites juifs comme rites textuels
In: L'Homme, 1994, tome 34 n°129. pp. 93-108.
Citer ce document / Cite this document :
Gandelman Claude, Dolève-Gandelman Tsili. Corps-texte/texte-corps : des rites juifs comme rites textuels. In: L'Homme, 1994,
tome 34 n°129. pp. 93-108.
doi : 10.3406/hom.1994.369693
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1994_num_34_129_369693TsiLi Dolève-Gandelman et Claude Gandelman
Corps-texte/texte-corps :
des rites juifs comme rites textuels
juifs religions ou mais mouvement par Tsili le leur comme repas Dolève-Gandelman de caractère par l'autre, de son rites la ces pan-textualisme, Pâques une de textuels. rites « textualisation rites : qui d'une et — ressemble textuels Claude De part les même rituels ils de », Gandelman, à effectuent que l'anthropos. une juifs ce pure la soit se religion absorption distinguent une la Corps-texte pose anthropomorphisation juive quotidienne de se « ceux /texte-corps différencie signifiants des des autres phylactères, : des ». du religions Double Texte, autres rites
Qu'en est-il de la représentation d'un dieu sans représentation ou, en
d'autres termes, de la (même mentale, chez le mystique)
d'un dieu dont non seulement on ne peut rien dire, mais qui contient
en quelque sorte, structuralement, sa propre interdiction de représen
tation ? Il y a, au sein même du judaïsme, un drame de 1'« iconicité » refoulée,
car le mystique est « assoiffé d'images ». Le croyant ne peut pas se maintenir
pour toujours dans l'interdiction et ne pas tenter de « se représenter » cette
entité proclamée d'emblée comme non représentable.
Mais se représenter ne veut-il pas dire « anthropomorphiser » ? Car chez
l'homme le désir d'iconicité n'est peut-être qu'un désir d'anthropomorphisation.
Qu'en est-il, dès lors, de ces velléités de parvenir à l'image ? Ne trouvent-elles
pas malgré tout, ou plutôt, envers et contre tout, un exutoire, une échappée
vers l'anthropomorphisme ? Ce désir, pour en arriver au visible, doit passer
par un subterfuge, qui sera explicité ici.
Cet article examine donc des procédés judaïques d'un type très particulier,
comme, par exemple, celui qui consiste à fabriquer des typographies anthropo
morphes, c'est-à-dire à « dessiner » des formes humaines à partir de lettres (et
non par un trait au crayon ou au pinceau). Mais cette micro- ou pictographie
ne serait-elle pas surtout un ersatz pour ces icônes du dieu qu'il est si formelle
ment défendu de fabriquer ? Ainsi, par la peinture avec des lettres, par la picto
graphie juive, le texte prend la forme d'un corps, voire d'un visage humain
L'Homme 129, janv.-mars 1994, XXXIV (1), pp. 93-108. 94 TSILI DOLÈVE-GANDELMAN ET CLAUDE GANDELMAN
— et ce « visage du texte » ou ce « visage-texte » est, sans nul doute, tout ce
qu'il est licite de figurer de ce visage du dieu qui reste éternellement caché.
Mais, allant en direction inverse, il est dans le judaïsme toute une série de
pratiques rituelles qui visent à transformer le corps physique du mystique en
véritable texte. Le juif, dans sa praxis religieuse quotidienne, tend à devenir
lui-même Peut-être est-ce aussi cela qui fait la spécificité du mysticisme
juif. Et n'est-ce pas là une extraordinaire manière pour le mystique de parvenir
à Vunio mystica, à rejoindre ce dieu dans le corps même de la textualité des
textes saints.
Ces pratiques « rituelles-textuelles » seront analysées, mais cette étude ne
saurait se borner à une simple description de deux rites qui se dérouleraient
en sens inverse : l'un qui tendrait vers l'anthropomorphisation du texte, l'autre
vers la textualisation de l'anthropos.
Dans toute religion, la mise en signe du dieu contient toujours implicitement
un drame ou, comme la messe catholique, en est la représentation. Il en est
de même de la mise en signe qui nous occupe ici. On a évoqué l'iconicité ;
les concepts peirciens1 sont aussi des concepts tragiques : au sein même de
l'image il y a une « lutte à mort » entre ce que l'on pourrait appeler Pindicia-
lité de l'image qui veut être non pas pure icône mais index et celle de l'image
faite de main d'homme ou suscitée dans l'imagination humaine, indicialité qui
refuse à l'image son titre d'icône ; on dirait aussi bien que l'image qui désire
être pure icône se sent investie et subvertie par F indicialité qui la pénètre...
La description des nombreux « rites textuels » juifs mettra en relief l'hég
émonie du textuel qui est au cœur du judaïsme, de ce textuel qui — pour les
mystiques juifs — contient véritablement dieu. Cela nous permettra peut-être
de définir plus avant la religion juive (si toutefois le terme « religion » convient
pour décrire les avatars de cet hymne permanent à une substance uniquement
textuelle) comme se voulant en deçà de l'herméneutique plutôt que, propre
ment, herméneutique.
1. Texte-corps
Les Tikkunei Zohar, probablement écrites quelques années seulement après
le Zohar — sans doute au XIIIe siècle, par Moïse de León selon certains —
disent : « La Torah a une tête, un cœur, une bouche et autres organes, exac
tement comme Israël. » II s'agit, bien sûr, de l'organicité de la Torah. Cette
phrase ne doit pas être vue uniquement comme une métaphore, mais doit être
entendue au sens littéral. Pour le mystique juif, l'Écriture est pourvue, dans
sa matière même (qui est faite précisément d'écriture), d'organes qui la font
ressembler « physiquement » au peuple d'Israël. La Torah a un véritable corps,
et un corps fragile, à protéger et envelopper de soins. C'est pourquoi elle est
traitée comme un enfant nouveau-né. Rites juifs, rites textuels 95
Les langues de la Torah
Selon les prescriptions rituelles2, la Torah doit être copiée de la main d'un
scribe sur des rouleaux de parchemin faits de la peau d'un animal pur (c'est-à-dire
non hybride), puis enroulée autour de deux axes de bois et déroulée pendant
la lecture. Ces rouleaux sont liés au moyen d'une pièce d'étoffe appelée en
hébreu hitul « lange ». Notons que dans certaines communautés d'Europe cen
trale, il était de règle d'utiliser à cet effet les langes d'un enfant mâle ayant
servi à l'envelopper lors de la circoncision.
Certains anthropologues se sont penchés sur cette pratique. Ainsi, Goldberg
(1987 "\: 112) écrit : « Le rouleau de la Torah est l'objet central du judaïsme [...]
De même que dans d'autres domaines de la praxis juive le communautaire et
l'individuel sont mêlés, de même, ici, par delà l'importance collective des rou
leaux de la Torah, des liens sont établis entre la Torah et l'individu — ou mieux,
entre la Torah et la famille elle-même. » En d'autres termes, le rouleau de la
Torah, le texte sur parchemin est traité tel un membre de la famille juive et
son « corps » comme celui d'un nouveau-né.
Pictographie
Nous avons déjà dit que la pictographie traite le corps comme un texte.
Mais l'inverse est tout aussi vrai : le pictogramme fait du Texte, du « grand
texte de tous les textes », la Torah, une sorte de caractère anthropomorphe.
De fait, on pourrait soutenir que tout trouve son origine dans
une forme humaine unique qui résulte d'une opération fondamentale par laquelle
le tétragramme — le fameux tetragrammaton Y H W H3 — est transformé en
une sorte d'homme-lettre4 if ig. 1).
Fig. 1. Le tetragrammaton comme forme anthropomorphe. D'après Z'ev
ben Shimon Halevi, Kabbalah : Tradition of Hidden Knowledge,
London, Thames & Hudson, 1979 : 38. (Avec l'autorisation de Warren
Kenton.)
Les lettres YHWH ne sont pas placées horizontalement mais
constituent une suite verticale : Y
H
W
H 96 TSILI DOLÈVE-GANDELMAN ET CLAUDE GANDELMAN
l' homme-zodiaque, On connaît le theos giganti des Babyloniens et des Grecs,
qui, lui aussi, met en relation le corps humain et les astres. Mais ici ce n'est
plus le cosmos qui est mis en relation avec les organes humains par le truche
ment du « grand homme cosmique » : ce sont les lettres du texte qui à la fois
« font le

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