Crise de conscience et d autorité à la fin du règne de Louis XIV - article ; n°2 ; vol.7, pg 172-190
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1952 - Volume 7 - Numéro 2 - Pages 172-190
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1952
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Marcel Giraud
Crise de conscience et d'autorité à la fin du règne de Louis XIV
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 7e année, N. 2, 1952. pp. 172-190.
Citer ce document / Cite this document :
Giraud Marcel. Crise de conscience et d'autorité à la fin du règne de Louis XIV. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations.
7e année, N. 2, 1952. pp. 172-190.
doi : 10.3406/ahess.1952.2050
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1952_num_7_2_2050CRISE DE CONSCIENCE ET D'AUTORITÉ
A LA FIN DU RÈGNE DE LOUIS XIV
Les dernières années du règne de Louis XIV, qui correspondent dans leur
ensemble à la guerre de Succession d'Espagne, furent pour la société fran
çaise des années d'épreuves et de misère. La crise que traverse alors le royaume
n'épargne aucun échelon de la société, et provoque dans tous les grands
services administratifs un état de désorganisation dont la Marine subit les
effets les plus profonds. Particulièrement vulnérable en raison de la complexité
de ses rouages, négligée par le Contrôleur Général des Finances dont les
opérations militaires absorbent toutes les ressources, celle-ci entre effect
ivement dans une longue période de décadence. Quelques années seulement
après l'ouverture des hostilités, le ministre, Jérôme de Pontchartrain, envi
sageait la nécessité de «tout abandonner», de sacrifier les forces navales,
au risque de laisser le royaume à la merci des agressions des puissances
maritimes, et d'exposer son économie à toutes les conséquences du blocus
établi par ces dernières.
Gomme un nombreux personnel gravitait autour de la Marine, comme
l'activité des ports était subordonnée en grande partie à l'armement des
navires du roi, cette décadence paralysa rapidement la vie économique des
généralités et villes maritimes. Elle répandit dans leur population un état de
misère ou de malaise qui affectait indistinctement tous leurs habitants :
marchands aisés, atteints par le ralentissement du commerce colonial, par
la raréfaction du numéraire, par la suspension des fournitures de vivres et de
matériel aux escadres du roi, dont ils étaient les adjudicataires habituels ;
détaillants plus modestes, « boulangers, bouchers, beurriers et autres », qui
alimentaient les achats des Munitionnaires ; « gens entretenus » surtout,
matelots, canonnière des batteries côtières, gardiens des ports, ouvriers des
arsenaux et des corderies, journaliers employés à la préparation des vivres
des équipages, calfats, charpentiers, perceurs, préposés aux travaux de radoub
et de carénage des navires, officiers enfin, pour la plupart « cadets de famille »
sans fortune personnelle, que l'indigence de la Trésorerie privait des salaires,
soldes ou « appointements » qui étaient leur seule ressource, et réduisait à CRISE DE CONSCIENCE ET D'AUTORITÉ 173
une misère « affreuse » et à « une espèce de désespoir ». L'insolvabilité des
Trésoriers et des Munitionnaires, incapables d'honorer leurs dettes envers
les fournisseurs de la Marine, s'ajoutant à la pénurie de la circulation monét
aire, multipliait les banqueroutes parmi les marchands. En réduisant le
pouvoir d'achat de ces derniers, elle affectait, par contre-coup, les paysans de
Bretagne et de Guyenne, producteurs des chanvres des escadres royales.
Aussi les ports de mer deviennent-ils le théâtre d'une misère extrême, qui
dépasse en gravité celle que l'on observe dans le reste du royaume. Il est
logique, dans ces conditions, que la correspondance de Pontchartrain et des
administrateurs des ports fasse une place de premier plan à l'exposé des
souffrances de la population, de celles surtout de ces « gens entretenus »
qui attendaient vainement le payement toujours différé de leurs salaires :
elle fournit ainsi une contribution intéressante à l'étude du paupérisme
pendant les longues années de la guerre de Succession d'Espagne.
C'est la lecture de cette documentation qui m'a suggéré l'idée du court
chapitre d'histoire sociale que je présente ici. J'en avais abordé le dépouil
lement en vue d'en extraire les éléments susceptibles d'intéresser la coloni
sation de la Louisiane. Or, en m'efforçant de placer la colonie dans le cadre
de ses rapports avec la France et d'expliquer sa condition « informe et
languissante» à la lumière des événements de la métropole, j'ai pu discerner
l'intérêt que ces Archives de la Marine, utilement complétées par celles des
Colonies, présentent pour l'histoire intérieure du royaume. Elles sont rar
ement utilisées pour la connaissance des dernières années de Louis XIV.
J'ai cru y trouver les bases d'une étude qui n'aura peut-être pas le privilège
de la nouveauté, mais qui permettra de préciser un aspect de la crise consé
cutive à la guerre, et de faire ressortir la diversité des éléments d'information
contenus dans ces Archives.
Aux souffrances de la population, elles nous mettent en mesure d'opposer
l'éclosion d'un mouvement profondément humanitaire, d'un idéal de justice
sociale qui engage directement la responsabilité des administrateurs de la
Marine, intendants, commissaires ordonnateurs, du comte de Pontchartrain,
et, dans une certaine mesure, de Louis XIV. Ces tendances ne s'expriment
pas seulement en paroles de compassion. Elles donnent lieu à un ensemble de
mesures conçues dans un esprit d'équité et de dévouement, attestant que le
ministre et ses subordonnés puisent dans le spectacle de la misère publique
le sentiment des injustices sociales de l'époque. Mais elles se heurtent à un
esprit d'indiscipline et de malversations, qui, en bien des cas, contrarie
l'application des consignes officielles et de l'idéal dont elles s'inspirent. Chez
les administrateurs de tout rang, dans les cadres de la Marine et des Colonies,
Pontchartrain trouve de nombreux éléments prêts à le seconder, lorsqu'ils
ne préviennent pas ses initiatives. Il doit aussi compter avec un fléchiss
ement de conscience, avec une tendance croissante à «l'insubordination», qui
exprime le malaise moral engendré dans la société française par les épreuves
des dernières années du règne, mais dont les manifestations sont surtout
apparentes dans l'administration la plus fortement atteinte par la crise de
la Trésorerie. 174 ANNALES
Parmi les officiers de Marine, les habitudes d'indépendance souvent
dénoncées par Colbert, s'amplifient au cours des hostilités, comme l'attestent
les fréquentes interventions de Pontchartrain contre le pouvoir discrétion
naire qu'ils ont trop enclins à s'arroger sur leurs hommes. Sous l'effet de la
guerre et des sacrifices que leur impose la pauvreté de la Trésorerie, ils se
livrent de plus en plus à des transactions commerciales qui contreviennent
aux ordonnances et lèsent souvent les intérêts de la monarchie. A tel point
que le ministre prescrivait aux administrateurs des ports de surveiller de près
les « officiers du roi », afin de « découvrir le commerce défendu » qu'ils
étaient susceptibles de faire. Ce sera, disait-il, la « meilleure preuve » de votre
«attachement au service du roi»1.
Au départ de la métropole, au retour de leurs voyages aux Antilles, ils
engagent des opérations également répréhensibles, sacrifiant délibérément
les effets « du roi » pour les remplacer par des cargaisons de sucre ou autres •«
denrées exotiques qu'ils se proposent de négocier à leur profit, embarquant
clandestinement sur les navires royaux des « pacotilles » que les marchands
leur confient à l'effet de les écouler dans les colonies2. Ce dernier négoce
était particulièrement lucratif, car l'officier, sans engager ses capitaux ou
sa responsabilité, touchait une ristourne importante sur le produit de la vente.
En période de disette, quand le prix du quart de farine passait de 15 fr.
dans la métropole à 30 écus, ou 100 livres, dans les colonies, ce « brigandage
insupportable» devenait une source de profits démesurés3. Si le souverain
«frettait»

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