Crises ivoiriennes et redistribution spatiale de la mobilité : les Baoulé dans la tourmente - article ; n°164 ; vol.41, pg 791-814
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Crises ivoiriennes et redistribution spatiale de la mobilité : les Baoulé dans la tourmente - article ; n°164 ; vol.41, pg 791-814

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Tiers-Monde - Année 2000 - Volume 41 - Numéro 164 - Pages 791-814
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 53
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Janin
Crises ivoiriennes et redistribution spatiale de la mobilité : les
Baoulé dans la tourmente
In: Tiers-Monde. 2000, tome 41 n°164. pp. 791-814.
Citer ce document / Cite this document :
Janin Pierre. Crises ivoiriennes et redistribution spatiale de la mobilité : les Baoulé dans la tourmente. In: Tiers-Monde. 2000,
tome 41 n°164. pp. 791-814.
doi : 10.3406/tiers.2000.1438
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_1293-8882_2000_num_41_164_1438CRISES IVOIRIENNES
ET REDISTRIBUTION SPATIALE
DE LA MOBILITÉ:
LES BAOULÉ DANS LA TOURMENTE
par Pierre Janin
La Côte-d'Ivoire agro-exportatrice traverse une grave crise, qui tient
à la fois au marasme durable des cours mondiaux des matières premières
agricoles, à la faillite historique du modèle rentier et, très récemment, à
la rupture des compromis nationaux entre communautés. A bien des
égards, le devenir du groupe baoulé - qui a longtemps personnalisé l'idée
de nation - paraît emblématique de cette évolution. En effet, depuis plus
de quatre décennies, les ruraux baoulé essaiment, hors de leurs terroirs
d'origine, pour défricher la forêt et planter du cacao, avec l'aide d'une
multitude de dépendants familiaux et de manœuvres contractuels étran
gers. Or, depuis peu, ils sont confrontés à la raréfaction des ressources
foncières et au retour massif des jeunes émigrés urbains. Qui plus est,
après avoir longtemps occupé une position hégémonique sur le plan
national, ils doivent aujourd'hui faire face à un nouveau partage négocié
du pouvoir et à l'émergence politique d'autres communautés.
La mobilité est un phénomène ancien et durable dans les sociétés
rurales africaines dont terroirs et territoires n'ont été figés que très
récemment, avec l'émergence d'une gestion foncière privative dans les
espaces densifiés. En Côte-d'Ivoire, elle a souvent été abordée en te
rmes de polarisation spatiale - l'exode rural massif et la vente de pro
duits vivriers fournissant force de travail et denrées à des villes en
croissance rapide1 - ou de complémentarités sociogéographiques entre
* Chargé de recherches à l'iRD.
1. Courade et al, 1985 ; Chaléard, 1996.
Revue Tiers Monde, t. XLI, n° 164, octobre-décembre 2000 792 Pierre Janin
espaces forestiers et espaces savanicoles, la dispersion familiale alimen
tant les transferts communautaires et donnant naissance à un système
résidentiel domestique multipolaire à petite ou grande distance1. Si
pour certains migrants urbains, le village a cessé d'être le pôle de cen-
tralité autour duquel s'organise la mobilité, il reste encore - pour la
plupart - l'espace de référence tout au long du cycle de vie. Et ce n'est
que depuis peu que l'on s'interroge sur les conséquences socio-
économiques des « retours au village » en liaison avec la dégradation
des conditions de vie en milieu urbain et avec la revalorisation de la
condition de producteur vivrier marchand.
L'évolution de la mobilité des Baoulé - que l'article étudie à partir
des éléments d'une récente enquête de terrain en « zone dense baoulé »2 -
restitue parfaitement les particularités historiques du fonctionnement
cyclique de l'économie ivoirienne, de son extraversion et de sa dépen
dance par rapport aux flux de main-d'œuvre étrangère3. Le modèle agro
exportateur ivoirien4 a, en effet, essentiellement été fondé sur la consom
mation « minière » des potentialités naturelles, c'est-à-dire sur le défr
ichement massif et ininterrompu des espaces forestiers par des cacaocul-
teurs migrants, ivoiriens ou non, pratiquant une agriculture extensive5.
Or, la forêt n'a pu être transformée en ressource qu'avec l'aide d'une
multitude de travailleurs immigrés maliens et burkinabé6, ou de cadets
sociaux baoulé mobilisés par leurs aînés dans les cacaoyères, ou encore
d'investisseurs capables de créer des plantations agro-industrielles spé
cialisées (ananas, banane, hévéa). Les perspectives d'accession foncière
et d'accumulation rentière - par création de grandes plantations
cacaoyères familiales - ont donc renforcé, durant de longues décennies,
1. En dehors de son village d'origine, le migrant a habituellement recours à des personnes apparent
ées, plus ou moins dispersés géographiquement, qui constituent autant de lieux d'accueil fonctionnant en
réseau grâce à des participations croisées tant financières, alimentaires que démographiques (Mahieu,
1989 ; Vimard, 1993 et 1997).
2. L'espace retenu est situé dans le centre de la Côte-d'Ivoire, entre le lac de Kossou et l'axe routier
Abidjan-Korhogo (cf. carte 1). Il correspond à la périphérie nord-occidentale et au cœur historique
(Chauveau, 1979) du pays baoulé, plus densément peuplée, qui a connu un important mouvement de
déprise rurale depuis l'Indépendance (Etienne, 1968).
L'enquête réalisée en 1997 ne portait pas spécifiquement sur la migration rurale baoulé, ce thème
ayant déjà fait l'objet de longs développements (Etienne, 1968 ; Léna, 1979 ; Lesourd, 1982 ; Balac, 1997).
Nous avions plutôt pour objectif de resituer la mobilité, économique, sociale et géographique des petits
producteurs baoulé dans un contexte global, évolutif et instable, marqué par un changement de mode de
régulation et un phénomène d'appauvrissement généralisé (Courade, 2000). Au total, 160 exploitations,
représentant 1 383 personnes, ont été étudiées dans 28 villages des départements de Bouaké, Béoumi,
Sakassou, Tiébissou après échantillonnage semi-raisonné.
3. Fargues. 1986.
4. Contamin et Memel-Fotè (éd.), 1997.
5. Lesourd, 1988 ; Léonard et Oswald, 1996.
6. Selon la terminologie officielle, les « résidents de nationalité étrangère » sont évalués à 3 millions,
auxquels il convient d'ajouter 2 millions de d'ascendance étrangère, soit environ 30 % de la
population totale. Crises ivoiriennes et redistribution spatiale de la mobilité 793
les migrations rurales en direction des espaces forestiers, jusqu'à
l'épuisement récent des réserves foncières. Ceci conduit, inévitablement,
à reposer la question de la régulation de l'accès à la ressource foncière et
de sa transmission dans des terroirs finis, en voie de saturation. En
dépendent non seulement une myriade d'exploitations cacaoyères famil
iales, mais également la survie de nombreuses familles sahéliennes. C'est
elle qui conditionne également l'évolution des rapports entre planteurs
autochtones, colons baoulé et manœuvres immigrés et, plus largement,
les relations entre communautés nationales et étrangères.
La Côte-d'Ivoire est caractérisée par la prééminence politique, jus
qu'en 1999, du groupe baoulé, affilié au monde akan, sur les autres
ensembles constitutifs de la nation ivoirienne (Mandé, Sénoufo,
Krou)1. Et si la question migratoire n'est pas nouvelle, puisqu'elle a
nourri certaines confrontations ponctuelles dans le passé, son instru-
mentalisation, via la question de la nationalité dans un contexte de
pluripartisme électoral et de crise financière, est beaucoup plus
récente2. Le concept ď « ivoirité » a ainsi progressivement envahi le
discours et accéléré le développement d'attitudes xénophobes, tandis
que les immigrants cessaient d'être considérés comme les piliers du
développement ivoirien. Cette rhétorique s'appuie sur une idéologie de
l'appartenance au terroir, érigé en réfèrent territorial ultime, et sur la
survalorisation du droit du « premier occupant ». Il en résulte une hié
rarchie ethnicisante du « bien naître » qui n'épargne même pas les
communautés ivoiriennes transnationales (Dioula, Sénoufo).
En dépit de leur position dominante, les Baoulés ne sont pas par
venus à échapper à la tourmente ivoirienne. Qu'il s'agisse de la rupture
des compromis nationaux entre communautés ou de la disparition de
la « rente-forêt », les Baoulés en sont 

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