De l artiste au voyant : le poète selon Rimbaud - article ; n°67 ; vol.20, pg 77-86
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De l'artiste au voyant : le poète selon Rimbaud - article ; n°67 ; vol.20, pg 77-86

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Description

Romantisme - Année 1990 - Volume 20 - Numéro 67 - Pages 77-86
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 25
Langue Français

Extrait

Jean-François Massol
De l'artiste au voyant : le poète selon Rimbaud
In: Romantisme, 1990, n°67. pp. 77-86.
Citer ce document / Cite this document :
Massol Jean-François. De l'artiste au voyant : le poète selon Rimbaud. In: Romantisme, 1990, n°67. pp. 77-86.
doi : 10.3406/roman.1990.5652
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1990_num_20_67_5652Jean-François MASSOL
De l'artiste au voyant :
le poète selon Rimbaud
Le 5 septembre 1870, quand la débâcle vient enfin de faire s'effondrer l'Empire
qu'il honni en prose et en vers, le Poète revient d'exil parmi ses concitoyens et
ses compatriotes. Pendant quinze ans, avec la même souveraine ardeur qui fut
toujours la sienne, et sans rien guère renier de la masse des textes qu'il a écrits et
qu'il va compléter encore, l'ancien chef de file de la révolte romantique deviendra
l'une des figures tutélaires de cette Troisième République, née, un peu contrainte
et forcée, des décombres sanglants de la Commune. Depuis la très haussman-
nienne avenue parisienne qui portera son nom, pour le meilleur et pour quelques
discours moins heureux que l'on saura parfois lui faire tenir, le magistère spirituel
de Victor Hugo tend à s'imposer à la France entière, pour quarante-quatre ans plus
que jamais patrie.
Au même moment, en province, dans un chef-lieu de département que la
guerre a frôlé, un jeune lycéen en révolte profite de la vacance momentanée des
institutions pour interrompre obstinément des études secondaires jusque-là
brillantes et remarquées : il est fermement décidé à embrasser une carrière de poète
dont sa mère, entichée de la plus bourgeoise respectabilité, ne voudrait entendre
parler. Si, là-bas, dans ce Paris qu'il désire d'abord tellement rejoindre, au milieu
des deuils familiaux et de la gloire publique, Victor Hugo va poursuivre de la plus
républicaine manière la geste du poète public qu'il a toujours choisi d'incarner, à
Charleville où il se ronge les sangs, à Douai plusieurs fois son refuge, sur les
routes de Belgique qu'il arpente comme un forcené, comme une bête brute ainsi
qu'il le dira, Arthur Rimbaud aussi va jouer les poètes. A sa façon, à une allure
fulgurante et pour très peu de temps.
Objectivement bâtie contre la figure officielle, contre d'autres encore qu'il sait
nommer, l'image du poète que Rimbaud dessine, exhibe et endosse alors, portera
la trace de ce manque de maturité, de ce décalage provincial qui lorgne vers Paris,
de la marginalité délibérée où elle est créée et vécue. Rimbaud se veut poète et se
reconnaît aussitôt pour tel sans que cela lui suffise ; quelques-uns doivent le
savoir, qui lui accorderont la légitimité qu'il exige.
Afin de construire l'effigie momentanément nécessaire à sa violente volonté
de vivre pour lui-même enfin, Rimbaud reprend, restaure, élague, reformule et
combine entre eux les mythes littéraires divers que le Siècle a roulés et laissés à
sa portée. Les deux lettres du 13 et 15 mai 1871 ' sont le résultat de cette quête
passionnée que Rimbaud fait de son destin à travers les fables des époques
précédentes. Après bien d'autres, j'en reprendrai la lecture pour cerner différemment
ce nouvel ce avatar du poète, l'un des plus notoires même s'il a pu conduire son
inventeur à une impasse. Les rapports du poète avec l'artiste romantique, avec le
ROMANTISME n° 67 (1990 - 1) 78 Jean-François Massol
professeur de rhétorique, avec les travailleurs et le travail, avec, enfin, cette autre
figure de lui-même qu'est le voyant, voilà ce que je développerai successivement.
Si le poète est un élément essentiel et redondant du lexique de Rimbaud, il
n'en va pas de même pour l'artiste. Et de bien loin ! Pour l'ensemble des recueils
poétiques, les trois Tables des concordances rythmiques et syntaxiques de F.
Eigeldinger et son équipe ne relèvent que quatre occurrences du seul substantif 2 :
absent des Poésie, le « mot de passe omniprésent de la génération de 1830 » 3
apparaît trois fois seulement dans Une saison en enfer et une unique fois dans Les
Illuminations. L'on peut ajouter à ce relevé une occurrence de l'adjectif, à la fin de
la lettre du 15 mai 1871 à Paul Demeny. C'est, je crois, le seul exemple du terme
dans la correspondance du poète.
L'artiste fait son entrée dans le texte rimbaldien avec la lettre dite du voyant.
Il y joue apparemment un rôle très secondaire. Absent de la poésie versifiée, dans
laquelle il ne saurait être une référence, il prend sa place la plus marquée dans ce
récit-bilan de l'aventure poétique qu'est Une saison en enfer, et disparaît quasiment
dans Les Illuminations A. Substantif ou adjectif, trois fois répété ou bien terme
unique, le mot n'est jamais revendiqué pleinement par Rimbaud. Dans les poèmes
en prose, par exemple, le nom d'artiste n'est jamais employé seul ; il est toujours
accompagné d'un autre substantif au moins. Ici, l'artiste n'est plus cette figure de
premier plan qu'il a pu être ailleurs et plus tôt dans le siècle. Il apparaît comme
un rôle possible parmi d'autres, aussi divers que « mendiant », « bandit »,
« prêtre » ou « prince ». Il est toujours, d'autre part, inséré dans un mouvement
restrictif ou frappé de négation. Attribut du substantif « anachorète » dans le
huitième fragment d'Une saison en enfer, il est suivi aussitôt d'une formule de
refus radical : ainsi retombe brutalement le mouvement exalté où se trouvaient
évoquées la prière et la sainteté. La phrase nominale immédiatement consécutive
vient confirmer cette impossibilité d'une solution religieuse à la crise que raconte
le recueil :
Si Dieu m'accordait le calme céleste, aérien, la prière, - comme les anciens
saints. - Les saints ! des forts ! les anachorètes, des artistes il n'en faut
plus !
Farce continuelle ! Mon innocence me ferait pleurer. La vie est la farce à mener
par tous 5.
Dans « L'Eclair », le substantif « artiste » reparaît dans un passage consacré
aux divertissements de la rêverie que viennent encadrer d'autres formules négatives.
Comme les rôles grisants de « mendiant », « bandit », ou « prêtre », celui
d'artiste est une imposture où s'attarde l'imagination par une habitude ancienne et
détestable :
Ma vie est usée. Allons ! feignons, fainéantons, ô pitié ! Et nous existerons en
nous amusant, en rêvant amours monstres et univers fantastiques, en nous
plaignant, et en querellant les apparences du monde, saltimbanque, mendiant,
artiste, bandit, - prêtre ! Sur mon lit d'hôpital, l'odeur de l'encens m'est revenue
si puissante ; gardien des aromates sacrés, confesseur, martyr...
Je reconnais là ma sale éducation d'enfance... 6 De l'artiste au voyant 79
Dans « Adieu » enfin, le syntagme nominal accentué d'un point
d'exclamation, où revient une dernière fois le terme, conclut ironiquement un bref
récit au passé composé qui fait l'inventaire de l'aventure poétique pour aboutir à sa
liquidation. La tentation d'être un démiurge composait en partie la figure de
l'artiste telle que Rimbaud reconnaît l'avoir rêvée ; l'une comme l'autre sont
désormais définitivement délaissées :
J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé
d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de
nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois
enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de
conteur emportée ! 7
Auréolé des prestiges immenses de l'imagination, deux fois étroitement
intégré à la dimension religieuse de l'entreprise et, finalement, investi de la toute-
puissance du Créateur (« l'artiste est Dieu », écrivait ironiquement Félix Pyat 8),
ce mot à succès de l'époque romantique ne présente plus, pour le Rimbaud
d'octobre 1873, que son revers négatif : il n'est qu'une illusion parmi d'autres dont

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