De l enfant à l homme nouveau : le « futurisme pédagogique » des années 1920 - article ; n°1 ; vol.56, pg 115-125
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De l'enfant à l'homme nouveau : le « futurisme pédagogique » des années 1920 - article ; n°1 ; vol.56, pg 115-125

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Description

Revue des études slaves - Année 1984 - Volume 56 - Numéro 1 - Pages 115-125
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 26
Langue Français

Extrait

Monsieur Wladimir Berelowitch
De l'enfant à l'homme nouveau : le « futurisme pédagogique »
des années 1920
In: Revue des études slaves, Tome 56, fascicule 1, 1984. L'utopie dans le monde slave. pp. 115-125.
Citer ce document / Cite this document :
Berelowitch Wladimir. De l'enfant à l'homme nouveau : le « futurisme pédagogique » des années 1920. In: Revue des études
slaves, Tome 56, fascicule 1, 1984. L'utopie dans le monde slave. pp. 115-125.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1984_num_56_1_5390DE L'ENFANT A L'HOMME NOUVEAU
LE « FUTURISME PEDAGOGIQUE1 » DES ANNEES 1920
PAR
WLADIMIR BERELOWITCH
De tous temps, la pédagogie fut un terrain de choix pour les utopies, dans le
squelles l'éducation de l'enfant tenait une place importante. Peut-être la sanction
du réel y est-elle moins sensible et moins immédiate que dans d'autres domaines.
Surtout, est le moyen par excellence, même s'il n'est qu'imaginaire,
de réaliser un idéal social et moral. L'enfant est en effet un territoire vierge sur
lequel tout peut pousser, même le meilleur, pourvu que le jardinier y prenne garde.
Rien d'étonnant dès lors si, après la révolution de 1917, l'utopie pédagogique
s'est trouvée aux postes de commande en R.S.F.S.R. Lunačarskij, commissaire du
peuple à l'Instruction (ou « lumières » : prosveščenie) de 1917 à 1929, put ainsi se
référer à Luther, en 1920, pour évoquer la supériorité du maître sur le prédicateur
(ou, en langage communiste, « propagandiste ») : « Combien plus enviable est le
rôle du maître qui a affaire non pas à des âmes déformées par une vie perverse,
presque incapables de renouvellement, mais à un flot d'âmes neuves et pures,
qu'il faut préserver de la politique et diriger vers le chemin de la vérité2 » .
En visitant l'U.R.S.S. en 1928, l'Américain John Dewey, célèbre chez les Sovié
tiques pour ses théories pédagogiques, fut tout à la fois séduit et effrayé de voir
ses méthodes appliquées à l'échelle d'un État3 . De fait, si l'on tentait d'imaginer
l'école soviétique d'après les programmes, les instructions, les idées qui remplis
saient les revues pédagogiques de l'époque, on en retirerait l'impression d'un im
mense laboratoire expérimental, dont les expériences étaient simplement collées
bout à bout, à mesure que les modes apparaissaient et disparaissaient, pour former
le plus formidable et le plus cocasse pot-pourri pédagogique qu'on puisse concevoir.
Tous les grands noms de la pédagogie européenne ou américaine étaient étudiés,
traduits, réinterprétés, intégrés dans les programmes, pourvu que les méthodes
prônées fussent d'avant-garde. Citons-les, pêle-mêle : Dewey, Helen Parkhurst,
1 . Expression empruntée à un article critiquant ledit « futurisme », paru dans la Правда
du 4 janvier 1921.
2. A. V. Lunačarskij, « Декларация по дошкольному воспитанию », Народное про
свещение, 69-70, 1920, р. 1.
3. John Dewey, Impressions о f Soviet Russia and the revolutionary world, New York,
New Republic Inc., 1929, p. 101-102.
Rev. Étud. slaves, Paris, LVI/1 , 1984, p. 115-125. 116 W. BERELOWITCH
Stanley Hall, Montessori (connue depuis longtemps et dont les jardins d'enfants
allaient servir de modèle pour beaucoup), Decroly, Ferrière, Kerschensteiner,
Scharrelmann et bien d'autres.
Cette ouverture à la pédagogie occidentale ne signifiait pas qu'on l'imitât humb
lement. Bien au contraire, le « premier État socialiste » devrait réaliser ce dont
les « pays bourgeois » étaient par essence incapables : « Les écoles expérimentales,
écrit le pédagogue Pistrak, suivent trois voies dans leur développement : ou bien
elles dégénèrent en écoles privilégiées pour la classe possédante, ou bien elles
rétrécissent leurs tentatives pédagogiques jusqu'aux limites permises par la société
bourgeoise, ou bien elles entrent en contradiction avec les rapports sociaux établis
et elles sombrent1 ».
En reprenant les expériences occidentales, la Russie soviétique devait faire plus
et mieux. Comme l'écrivait l'historien Pokrovskij, second personnage du Narkom-
pros (commissariat du peuple à l'Instruction), « les conquêtes les plus récentes de
la pensée pédagogique qui, à l'étranger, dans les États bourgeois, ne constituent
jusqu'à présent que l'apanage de cercles étroits de pédagogues aristocrates [...]
deviennent chez nous un objet de discussion pour les masses enseignantes. La
rapidité avec laquelle les idées pédagogiques se propagent en Russie n'a pas d'égale
dans le monde entier2 » .
En quelque sorte, c'était le thème : « Nous rattraperons et dépasserons l'Amé
rique », appliqué à la pédagogie. Il s'agissait d'étonner le monde entier. En présen
tant les programmes scolaires de 1923 (les premiers depuis la révolution), Lunaćar-
skij pousse littéralement un cri d'extase : « C'est une chose qui, si nous parvenons
à la développer, aura une importance mondiale. Dans ce programme réside une
extraordinaire élégance structurelle [...]. C'est une découverte, une illumination
géniale...3 ».
A en juger par les revues pédagogiques de l'époque4, nombre de pédagogues
croyaient pouvoir réaliser leurs projets les plus chers, un peu comme si le régime
leur offrait carte blanche pour agir. La nature de ces projets les ferait aisément
classer parmi les utopistes, même si, dans leur esprit, il n'en était rien : l'utopie
ne se donnait pas pour telle, mais héritait en quelque sorte du vieux capital uto-
pique européen. De fait, les Blonskij, Šackij, Pinkevič, Iordanskij, Medynskij,
anciens S.R., cadets, tolstoïens, crurent bon de se rallier au nouveau régime qui,
croyaient-ils, leur permettrait d'exaucer leurs rêves. L'exemple de Šackij, d'une
philosophie vaguement tolstoïenne, est à cet égard particulièrement révélateur :
« Le rêve de ma jeunesse, écrit-il, était de créer un royaume d'enfants. Les lourdes
blessures psychologiques qui m'avaient été infligées par des années stériles d'études
secondaires et supérieures avaient éveillé en moi une protestation et dès lors je me
mis à la recherche d'une issue. Cette issue, ce furent les enfants...5 ».
Il est difficile de schématiser les idées pédagogiques de l'époque, tant elles sont
fluctuantes, mêlées, fondues dans une masse quasi inextricable. Pourtant, nous
1. M. Pistrak, «École et société» in Charles Lindenberg, l'Internationale communiste
et l'École de classe, Paris, Maspero, 1972, p. 345.
2. Учительская газета, 1925, 3, p. 4.
3. Cité dans F. F. Korolev, T. D. Kornejčik, Z. I. Ravkin, Очерки по истории советской
школы и педагогики (1921-1931), М., 1961, р. 72.
4. Народное просвещение, hebdomadaire (1918-1919); même titre, mensuel (1918-
1930) \На путях к новой школе (à partir de 1922) ; Народный учитель (à partir de 1924) ;
Вестник просвещения МОНО (à partir de 1922) ; Учительская газета (à de 1924),
etc.
5. S. T. Šackij, Дети работники будущего, M., 1922, p. 3. DE L'ENFANT A L'HOMME NOUVEAU 117
croyons pouvoir établir des clivages qui s'accusèrent au cours des années vingt pour
être tranchés dans les années trente. Grosso modo, nous distinguerons trois écoles
de pensée, trois façons différentes d'envisager l'éducation de l'enfant, qui pouvaient
coexister aussi bien au sein du Narkompros que dans les conceptions de tel ou
tel pédagogue1 .
Nous les appellerons le naturalisme tolstoïen, le perfectionnisme scientiste et la
formation du « combattant communiste », mais nous nous étendrons seulement sur
les deux premiers modes de pensée, spécifiquement pédagogiques, le dernier rele
vant plutôt du régime bolchevik lui-même.
Le naturalisme tolstoïen.
Le vieux thème rousseauiste, selon lequel l'enfant était naturellement bon,
trouvait, dès avant 1917, de nombreux adeptes en Russie. Tołstoj lui-même, comme
on le sait, lui donna une impulsion nouvelle2 . Une revue se fit le porte-parole de
cette tendan

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