Décolonisation, développement et acculturation selon une théorie récente - article ; n°41 ; vol.11, pg 183-196
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Description

Tiers-Monde - Année 1970 - Volume 11 - Numéro 41 - Pages 183-196
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1970
Nombre de lectures 18
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Carmel Camilleri
Décolonisation, développement et acculturation selon une
théorie récente
In: Tiers-Monde. 1970, tome 11 n°41. pp. 183-196.
Citer ce document / Cite this document :
Camilleri Carmel. Décolonisation, développement et acculturation selon une théorie récente. In: Tiers-Monde. 1970, tome 11
n°41. pp. 183-196.
doi : 10.3406/tiers.1970.1691
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1970_num_11_41_1691DÉCOLONISATION
DÉVELOPPEMENT ET ACCULTURATION
SELON UNE THÉORIE RÉCENTE
par C. Camilleri*
Dans une lettre qu'il adressait à Le Monde (i), G. Gurvitch, caractérisant
les tendances des sociologues francophones dans leurs analyses du Tiers
Monde, citait d'abord « celle de mon collègue Berque et de ses disciples, qui
idéalisent la décolonisation et, en ce qui concerne le Maghreb, attendent des
bienfaits sociaux venant du retour à la pure tradition culturelle islamique ».
En portant ce jugement, Péminent sociologue disparu avait-il conscience de
dire tout haut ce que plus d'un dirigeant, cadre, technicien ou étudiant maghréb
ins pensent peut-être tout bas ? Et de fait, à considérer les choses massive
ment, il y a paradoxe : pendant que les hommes qui ont charge de ces nouvelles
nations attendent leur rédemption de l'intériorisation des modèles occidentaux,
voici qu'un Européen particulièrement averti de leurs affaires paraît se mettre
en travers de leurs efforts, en leur conseillant d'inverser la démarche et de
retourner à eux-mêmes !
Nous n'ignorons certes pas que ces responsables nous contesteraient le
premier point : pour les pays maghrébins, particulièrement, il n'y a eu volonté
d'indépendance que dans la mesure où l'on a fini par se désigner comme
différents, après certaines hésitations assimilationnistes. Mais après ? Si nous
en jugeons par celle de ces sociétés que nous avons observée de près, la société
tunisienne, une curieuse conduite s'est instaurée de la part du « sous-groupe
pilote » envers cet « ancestral » (pour reprendre l'expression de J. Berque)
dont le rôle de préservation fut eminent. On le vénère sur le plan verbal et des
principes; sur celui des faits on manifeste envers lui une réelle agressivité,
dans la mesure où il est rendu responsable du « passé décadent » ou de l'actuel
«' sous-développement ». Affirmer que l'on distingue, dans ce passé, ce qui est
* Chargé d'enseignement à la Faculté des Lettres et Sciences humaines d'Orléans-Tours,
(i) G. Gurvitch, Les sociologues francophones et la décolonisation, Le Monde,
7-8 novembre 1965.
183 TIERS MONDE
« sain » de ce qui est « sclérosé » est, pour le moment, plutôt verbal. Quant
aux mesures effectivement prises pour produire les transformations, il est
évident qu'elles concrétisent des modèles « modernes » (c'est-à-dire européens)
visant à l'éradication des anciens. Avec des corrections finalement secondaires,
cette attitude ambiguë nous semble être celle de la majorité des sociétés du
Tiers Monde. Si Ton consent à des modifications de ces modèles importés,
ce sont davantage des accommodements dus à des prudences circonstancielles
que des inventions impliquant la reconnaissance d'une positivité de l'originel.
A la limite, l'ancestral devient la simple pétition de l'ancestral, c'est-à-dire une
pure forme, le symbole d'une spécificité qu'on pose a priori comme condition
de l'identité nationale mais qui, s'étant vidée de son contenu propre, couvre
un contenu étranger.
D'autre part, il est intéressant de le constater, une théorie implicite de la
causalité sociologique sous-tend cette démarche spontanée. Il s'agit d'une
espèce de behaviorisme première manière : les attitudes, « mentalités », sont
de purs reflets des institutions, des structures objectives, bref des stimuli
extérieurs. En changeant ceux-ci, par exemple en installant les systèmes
technologiques et organisationnels des pays développés, celles-là « finiront
par s'aligner». En outre, on postule l'indépendance des séries, selon un point
de vue atomistique, ce qui mène à des comportements pratiques forcément
déficients. Par exemple, du système complexe qui commande la procréation
au Maghreb, on extrait le nombre des enfants comme si c'était un élément
ponctuel indépendant; puis on prétend le réduire en le bombardant, si nous
osons dire, à l'aide d'une série unilatérale d'arguments et mesures d'ordre
purement économique, dont la représentation et la manipulation sont direct
ement tirées du modèle industriel moderne. Le psychosociologue ne s'étonnera
pas, dans ces conditions, du peu d'étendue et de l'instabilité de l'effet ainsi
obtenu. Mais on ne peut guère attendre une rétroaction corrective, car elle
est annulée d'emblée par l'interprétation que l'on donne de la situation :
l'efficacité est faible, dit-on, parce qu'il y a des « résistances » venant de la
« mentalité rétrograde », des « traditions périmées », qui se maintiennent par
une espèce d'inertie et, de ce fait, sont converties en « freins du développement ».
Ainsi des réalités positives sont-elles verbalement transformées en des résidus
négatifs et inexplicablement têtus, grâce à un langage réducteur animé par
des images mécanistes élémentaires, étrangères à la spécificité du fait culturel
et humain. Du point de vue épistémologique, ces images sont du même niveau
que la représentation proprement balistique que nous avons vue en œuvre
dans la lutte pour la réduction des naissances : il faut « délimiter » l'objectif
et « concentrer le tir », pour l'atteindre. On voit par là même que ces arché
types inconscients, sous-jacents à la pensée transformatrice des dirigeants,
sont liés en un modèle dont l'origine est facilement assignable. Ajoutons que
184 DOCUMENTATION
ce modèle et le style de conduites qu'il commande sont constamment renforcés
par l'assistance étrangère que reçoivent ces pays. Parce qu'ils veulent sortir
de la tragédie de la pauvreté, leurs dirigeants ont spontanément réalisé le
primat de l'économique, opérant ainsi une première et importante distorsion
par rapport à l'équilibre de leurs cultures originelles. Par là même c'est à la
pensée économique occidentale qu'ils sont sensibles en priorité, car ils extra
polent à toutes les situations l'efficacité qu'elle a eue dans celles qui l'ont
engendrée. Or on sait que cette idéologie commence à peine à mettre en ques
tion ses schémas qu'elle croyait rationnels et qui n'étaient qu'abstraits, c'est-à-
dire indûment séparés de la réalité humaine concrète dont elle commence à
mesurer l'importance. Mais ce début d'autocontestation paraît encore ignoré
au niveau des experts et autres praticiens qui apportent leur assistance à ces
sociétés et les renforcent dans cette interprétation défectueuse de l'action
sociale.
C'est là précisément que l'on peut commencer à situer l'effort de J. Berque.
Il s'évertue à faire comprendre ceci : ce qui résiste n'est pas du négatif, le dyna
misme de résistance est aussi réel que celui de l'action transformatrice. Cette
assertion peut elle-même être saisie à deux niveaux, qu'il importe de distinguer.
Le premier intéresse la pensée technique, soucieuse de réelle efficacité.
Quand elle est sérieuse, elle s'impose de respecter la réalité sur laquelle elle
prétend agir, c'est-à-dire de reconnaître qu'elle a une constitution à inventorier
soigneusement. Voilà qui est d'une extrême banalité, mais qui éviterait déjà
certaines erreurs. En Tunisie, par exemple, n'est-il pas vrai qu'il y eut un
premier stade dont nous ne sommes pas sûrs qu'il ait été dépassé, du moins
au niveau décisif des responsables locaux et des agents d'exécution ? Celui où,

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