El Desdichado -38 - article ; n°33 ; vol.11, pg 35-58
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Description

Romantisme - Année 1981 - Volume 11 - Numéro 33 - Pages 35-58
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1981
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Pierre Laszlo
El Desdichado -38
In: Romantisme, 1981, n°33. pp. 35-58.
Citer ce document / Cite this document :
Laszlo Pierre. El Desdichado -38. In: Romantisme, 1981, n°33. pp. 35-58.
doi : 10.3406/roman.1981.4508
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1981_num_11_33_4508Pierre Laszlo
El Desdichado —38
Pour Martine, en souvenir de l'Osiris souterrain.
Le sonnet de Nerval (1) est étrange :il déploie avec splendeur son
obscure limpidité, et sa sombre beauté nous fixe, sereine et lointaine
à la fois. Central à notre culture, mais néanmoins excentrique ; rendu
banal par l'usage, mais résistant à l'usure ; nous touchant profondément
sans que nous puissions bien identifier ce qu'il soulève en nous. Tel
la Joconde, il est à part. Comme la Joconde, « El Desdichado » ainsi
que les autres sonnets des Chimères échappent par leur opacité à un
sort d'objet culturel stéréotypé, qui aurait perdu de ce fait toute magie
et tout pouvoir coruscant. Leur charge émotionnelle, leur surcharge
d'allusions erudites à la mythologie, à l'histoire, à la géographie,
à l'occultisme, maintiennent ces poèmes sous tension. Et ils nous
restent insaisissables et comme hors d'atteinte.
Ma lecture vise à restituer la dynamique du poème, à le remettre
en marche. Nerval y fusionne mythologie classique, médiévale et per
sonnelle : il s'agit de rétablir pour le lecteur le foisonnement des allu
sions historiques ou mythiques pour ranimer le poème, de sorte que
chacune des notes — sème ou phonème — de ce sonnet, au lieu de
rester solidifiée par notre ignorance en un bloc compact, retrouve son
vibrato, et qu'elles jouent toutes à nouveau entre elles. A l'origine
du mouvement qui s'établit entre les éléments du poème, intercon
nectés comme en un micro circuit, il y a une parole : qui parle ? La
réponse à cette question de l'identité du locuteur nous montrera un
ego à la fois fort, avec une conscience nette de son identité, et néan
moins émietté ; ce qui se traduit en une sorte de vaticination lyrique
contrôlée. Et comment nous parle t'on ? Je veux montrer qu'il y a
tension, comme dans un roman policier, entre deux modes du discours,
(1) Je citerai les textes de Nerval d'après l'ancienne édition de la Pléiade, Oeuvres
(2 vols.), Albert Béguin et Jean Richer, Gallimard, 1961 et 1966. Pour Aurélia,
j'utiliserai l'édition présentée par A. Béguin, coll. « Les Trésors de la littérature
française », Genève, Skira, 1944. Je me référerai aussi à l'édition des Chimères
avec exégèses de J. Moulin, Lille-Genève, Giard-Droz, 1949. Je remercie très viv
ement David Bellos, de l'Université d'Edimbourg, Lester K. Little, de Smith College,
et Michel Zink, de de Toulouse, pour leur lecture d'une première
version de ce manuscrit et pour leurs précieuses suggestions. 36 Pierre Laszlo
habilement interpénétrés et presque fusionnés : — le mode énigmati-
que (2), le mode narratif.
Je veux montrer aussi qu'il y a déformation, procédé de style
par lequel Nerval donne à des mots prélevés dans la langue usuelle
un autre sens dans le contexte du poème : utilisation d'adjectifs com
me noms propres, adjectifs aux emplois inhabituels allant jusqu'à
l'oxymoron.
Bref, ma lecture fera lever, je l'espère, la pluralité des sens et
des époques évoquées. Elle sera syncrétique et « lambertienne » (3) :
« Le verbe n'a rien d'absolu : nous agissons plus sur le mot qu'il n'agit
sur nous ; sa force est en raison des images que nous avons acquises
et que nous y groupons » (4). Et certes, Nerval fait penser à Louis
Lambert, qui « possédait toutes les mémoires : celles des lieux, des
noms, des mots, des choses et des figures ». Il était extrêmement
familier de la mythologie, et avait une culture classique extraordinaire :
« D apprenait avec étonnement que vous n'aviez jamais lu Origène ni Appo-
lonius de Thyane ; que vous n'étiez pas en état de faire la distinction ďHillel
l'Ancien et dTOllel le Saint ; que vous ignoriez jusqu'au nom d'Asclépiode
ou de Wigbode. Les formules suivantes ne tarissaient pas dans sa bouche :
— vous avez lu dans Maïmonide ... Vous vous rappelez ce passage de Brawa-
bouti... D faudrait n'avoir jamais lu les Préadamites de Lapeyrere, etc.,
etc. » (6).
Nerval non seulement joue de toute l'étendue de son érudition, les
traces du savoir lui sont encore toutes vivantes et le passé historique lui
est un vaste jadin à l'anglaise ; mais il est également fasciné par les
signes du savoir, nombres et mots, qu'il travaille inlassablement.
(2) Les poèmes des Chimères peuvent être considérés comme autant d'énigmes et
plus d'un s'est risqué à les élucider, en dépit de l'admonition du gentil Gérard :
« Et puisque vous avez eu l'imprudence de citer un des sonnets composés dans
cet état de rêverie supernaturaliste, comme diraient les Allemands, il faut que
vous les entendiez tous. Vous les trouverez à la fin du volume. Ils ne sont guère
plus obscurs que la métaphysique d'Hegel ou les Mémorables de Swedenborg,
et perdraient de leur charme à être expliqués, si la chose était possible ; concédez-
moi du moins le mérite de l'expression ; —la dernière folie qui me restera probable
ment, ce sera de me croire poète ; c'est à la critique de m'en guérir », Les Filles
du feu, Introduction (à Alexandre Dumas, Oeuvres I, p. 158-159). Au dernier
décompte, (J. Geninasca, Les Chimères de Nerval. Discours critique et discours
poétique, Larousse-Université, 1973, p. 88) plus d'une trentaine de déchiffrements
de « El Desdichado » ont été tentés dans la seule période 1926-197 1 . D'où l'intitulé
de cette étude et le clin d'oeil à Giraudoux.
(3) « Quel beau livre ne composerait-on pas en racontant la vie et les aventures
d'un mot ? Sans doute, il a reçu diverses impressions des événements auxquels
il servit ; selon les lieux, il a réveillé les idées différentes ; mais n'est-il pas plus
grand encore à considérer sous le triple aspect de l'âme, du corps et du mouve
ment ? » (Balzac, Louis Lambert, « Folio », Gallimard, p. 28).
(A) Ibid., p. 44.
{S) p. 30.
(6) Auguste de Belloy, cité par R. Jean, Nerval, « Ecrivains de toujours », Editions
du Seuil, 1964, p. 95. Desdichado - 38 37 El
Ses préoccupations numérologiques, étymologiques doivent nous inté
resser ; sa fascination pour les jeux de mots est une indication à suivre
aussi. (7) Nerval vit le passé et rêve le présent.
Ma méthode est simplement une écoute du poème dans sa poly
phonie, une analyse du dit nerv alien suivant les axes de la philologie
et de l'étymologie, de la mythologie et de l'histoire, de l'iconographie et
de la géographie, de la littérature enfin.
Voici le texte du sonnet liminaire des Chimères :
El Desdichado
Je suis le Ténébreux, — le Veuf, — l'Inconsolé
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie
Ma seule Etoile est morte, — et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
Là fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phoebus ? ... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la Syrène ...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les Cris de la Fée.
Entendre, c'est comprendre
La saisie d'un poème est une écoute et une lecture. A l'audition,
le retour de la rime, les assonances et paronomases, toutes ces répéti
tions bercent, rassurent et se renforcent. Elles fonctionnent en sourdine
comme la basse continue sur laquelle d'autres phonèmes, plus singuliers,
se succèdent dans leur musicalité. Nous avons tous en mémoire des
bribes de ce poème, ne serait -ce que son ouverture martelée : « Je
suis le Ténébreux, — le Veuf, — l'Inconsolé »

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