Figures de l animal dans la Leçon de langue morte d Andrzej Ku?niewicz - article ; n°2 ; vol.64, pg 273-285
14 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Figures de l'animal dans la Leçon de langue morte d'Andrzej Ku?niewicz - article ; n°2 ; vol.64, pg 273-285

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
14 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Revue des études slaves - Année 1992 - Volume 64 - Numéro 2 - Pages 273-285
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 31
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Patrice Lieberman
Figures de l'animal dans la Leçon de langue morte d'Andrzej
Kuśniewicz
In: Revue des études slaves, Tome 64, fascicule 2, 1992. pp. 273-285.
Citer ce document / Cite this document :
Lieberman Patrice. Figures de l'animal dans la Leçon de langue morte d'Andrzej Kuśniewicz. In: Revue des études slaves,
Tome 64, fascicule 2, 1992. pp. 273-285.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1992_num_64_2_6043DE L'ANIMAL FIGURES
DANS LA LEÇON DE LANGUE MORTE
D'ANDRZEJ KUŚNIEWICZ
PAR
PATRICE LIEBERMAN
Jusqu'à présent la Leçon de langue morte ď Andrzej Kuśniewicz a été
approchée par les commentateurs sous deux angles principaux. On a voulu y
voir, d'une part, une nouvelle pierre apportée a l'élaboration d'un édifice qui
ne serait rien d'autre (ni de moins) qu'une reconstitution de cet « espace
mémorial1 », paré aujourd'hui d'un éclat mythique qu'est l'Europe centrale du
dernier quart de siècle précédant la chute de la monarchie des Habsbourg2, de
l'autre, une espèce de manuel de thanatologie, un catalogue de rites de mort
rédigé dans une écriture somptueusement décadente par un archiviste faisant
ses perverses délices d'une mort envisagée non pas comme un pénible et
définitif adieu à la vie ou, au contraire, une transcendante expérience méta
physique voire mystique, mais marquée au coin d'un cruel et troublant
érotisme3. En accord avec ces deux approches, on n'a pas manqué de relever le
luxe de détails apporté à la reconstitution d'un monde disparu et à une patiente
description de diverses manières de recevoir et d'infliger la mort. Nul
cependant ne s'est jusqu'ici, à notre connaissance, penché sur une composante
importante de ce texte, à savoir le rôle (ou la fonction) qu'y occupent les an
imaux4. Nous allons voir que les fonctions dévolues à l'animal sont au nombre
de cinq, que nous aborderons par ordre de complexité.
1 . Pour reprendre l'heureuse expression de Micha (1980 : 1 148).
2 . Cf. Queffélec 1981. Nonobstant le titre, l'accent y est surtout mis sur le rôle de la
mémoire.
3 . Cf. Bugajski 1978 et Pieszczachowicz 1977. Zaworska (1978) part de ce point de
vue-là, mais finit par voir dans ce texte une œuvre à la gloire de la vie se perpétuant par ľart et
par la nature (éternels) au-delà de la mort.
4 . Ce point mérite, à notre avis, d'autant plus d'être examiné que Kuśniewicz fait en
général assez peu appel à la nature, sa sensibilité le portant plus naturellement vers un cadre
urbain et la culture cultivée.
Rev. Étud. slaves, Paris, LXIV/2, 1992, p. 273-285. P. LIEBERMAN 274
1. L'ANIMAL EFFET DE REEL
Les animaux apparaissent dans leur fonction la plus simple, la plus ano
dine : celle d'éléments du décor, d'ingrédients de la couleur locale, autrement
dit ils participent à l'effet de réel5. Après tout, dans un récit situé presque
entièrement en milieu rural — et plus exactement sylvestre — , il n'est rien
moins que tout à fait naturel que nous soyons amenés à rencontrer un grand
nombre des hôtes de ces bois.
Aussi, quoi d'étonnant à ce que nous trouvions dans les forêts de
Smorze/Felizienthal et des Carpates environnantes une abondante faune :
renards, lynx, loups, cerfs, chevreuils, sangliers, ou qu'on déplore de ne plus y
trouver désormais d'ours ? On peut y rencontrer par hasard un lézard, et les
insectes y sont fort nombreux : fourmis, nécrophores, cloportes, perce-
oreilles, scolytes, moustiques, bourdons, taons, abeilles, et même quelques jolis
papillons : vulcain, citron, grand porte-queue. Le lieutenant Kiekeritz ayant
(faute de mieux) élu domicile dans le très modeste et unique hôtel de la petite
bourgade de Turka, au pied des Carpates, nous sommes moins surpris que lui
de voir des punaises faire leur apparition dans sa chambre et nous sourions à la
terrible scène faite par Kiekeritz au brave hôtelier Szlima Wasserzug, lequel il
est vrai (et ce malgré des preuves accablantes) nie la chose avec la dernière
énergie (52-53/1 12-1 ІЗ6).
L'effet de réel est aussi bien illustré par les abeilles, taons et papillons qui
tournoient dans la chaleur de l'été (60/128) que par les lourds oiseaux noirs se
détachant sur la neige de novembre (67/143). La gent ailée est d'ailleurs elle
aussi bien représentée. Nous rencontrons certains de ses membres — busards,
autours, hiboux, corneilles — dans leur milieu naturel, alors que d'autres —
tétras, grand-ducs, bécasses, busards, coqs de bruyère et même un aigle — font
partie, empaillés par les soins experts de M. Szostak, taxidermiste, de la
remarquable collection de trophées de M. Alois Szwanda, conservateur des
Eaux et Forêts de Smorze/Felizienthal — remarquons au passage que ladite
collection comporte également trente-neuf paires de bois de cerfs, sans
compter ceux de chevreuils (21/43, 25/51-52). Certains oiseaux nous sont
présentés peuplant, dans leur noble fonction gastronomique, les rêveries
éveillées du lieutenant Kiekeritz : cailles (à la Sacher), litornes (sur canapé) et,
à nouveau, bécasses (façon chasseur) (49/104-105). Dans un registre plus
familier, nous apprenons que des nuées d'oiseaux, « surtout des moineaux »,
nichent dans des broussailles et qu'un peu plus loin des poules « picorent,
grattent la terre, fouillent, caquettent» (55/117-118). Le spectacle nous est
aussi offert de pigeons tournoyant au-dessus des toits de calmes bourgades
écrasées par la chaleur estivale, pendant que dans la rue passent chèvres et ânes
« lourdement chargés de paniers pleins de légumes et de raisins »
(62-63/134).
5. Cf. Barthes 1966.
6. Les numéros de pages donnés sans autre information renvoient à Kuśniewicz
1977/Kuśniewicz 1981. (N. B. Nous avons légèrement modifié la version française en
quelques endroits.) DE L'ANIMAL 275 FIGURES
2. L'ANIMAL REFLET?
Avant d'avancer dans l'examen de cette catégorie, il convient de se
référer à ce qu'écrit Cirlot sur le symbolisme animal, à savoir que « alors que
"masqué" ou complexe, l'animal est univoque, l'homme est un être équivoque,
car ses qualités — positives ou négatives — demeurent toujours constantes »
(1962: 11). Cette qualité de constance, de stabilité, fait que l'animal,
parfaitement fiable, se prête idéalement à la fonction de deuxième terme dans
une comparaison dont le premier sera un humain. Et, en effet, le texte
comporte de nombreux exemples de cet usage fait de l'animal comme d'un
réfèrent stable, employé pour illustrer une analogie ou une ressemblance.
Ainsi, le conservateur des Eaux et Forêts Szwanda parle d'une sorcière laide
comme un crapaud, ayant en plus « des pattes comme des serres d'épervier ou
de hibou» (11/20). Le narrateur évoque à un autre endroit une possible
identification « entre l'effigie d'un ancêtre moustachu et un animal également
moustachu, un lynx, par exemple » (24/50). Nous assistons aussi, dans une
remarquable scène, au passage à tabac d'un Hofrat viennois qui crie comme un
coq et frétille comme une carpe suite au traitement que lui inflige, refusant de
l'admettre dans le palais viennois qu'il garde férocement, un intraitable et
brutal portier (qualifié bien sûr de cerbère), doté d'une « stature de gorille »
et de « crocs de bouledogue » (40-41/85-86).
L'exemple qui précède illustre bien un emploi particulier de l'animal
comme emblème de ce qui est indistinct, inarticulé, immature, infra-humain
(et qui à ce titre peut paraître comme digne de peu d'intérêt, voire, méprisable,
ou, au contraire, menaçant car évoquant une nature non domestiquée). Ainsi,
les humains qui se voient comparés à des animaux paraissent ici justement
privés de ces qualités (d'intelligence, de langage, de jugement, d'introspection,
de maîtrise de soi et du monde — de culture en somme) qui feraient d'eux des
êtres humains véritablement dignes de ce nom. Pensons à la biblique (ici plutôt
strausso-wildienne) Salomé, que Kiekeritz imagine comme « une génisse
dénuée d'âme », dansant, nue, avec une « hébétude bestiale de génisse sans
cervelle »

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents