Histoire et psychologie : à propos de la noblesse russe au XVIIIe siècle - article ; n°6 ; vol.22, pg 1163-1205
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1967 - Volume 22 - Numéro 6 - Pages 1163-1205
43 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1967
Nombre de lectures 11
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Michaël Confino
Histoire et psychologie : à propos de la noblesse russe au XVIIIe
siècle
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 22e année, N. 6, 1967. pp. 1163-1205.
Citer ce document / Cite this document :
Confino Michaël. Histoire et psychologie : à propos de la noblesse russe au XVIIIe siècle. In: Annales. Économies, Sociétés,
Civilisations. 22e année, N. 6, 1967. pp. 1163-1205.
doi : 10.3406/ahess.1967.421858
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1967_num_22_6_421858ÉTUDES
HISTOIRE ET PSYCHOLOGIE :
A propos de la noblesse russe
au xviir siècle
globale cours En possible réalité, ni dans aux la le psychologie hommes passé, ni d'aujourd'hui. la de psychologie nos psychologues de nos ancêtres, contemporains d'application n'a de
(L. Febvre, « Histoire et Psychologie »,
Combats pour l'Histoire, Paris, 1953, p. 213.)
L'historiographie s'enrichit soit en défrichant des domaines restés
jusque-là non explorés, soit en réinterprétant à l'aide de concepts nou
veaux des zones de recherche qui semblaient bien connues et profondé
ment labourées. L'histoire de la noblesse russe appartient un peu à ces
cas, apparemment contradictoires. Elle a été sérieusement étudiée, mais
elle a besoin aussi d'interprétations fraîches, faites à la lumière des pro
grès récents des sciences sociales, et en premier lieu de la sociologie et de
la psychologie.
Dans l'historiographie de ce sujet, une des premières tentatives
— hardie, brillante et spirituelle — de peindre un tableau des struc
tures mentales de la noblesse fut celle du grand historien russe Vasilij
O. Ključevskij, effectuée vers la fin du xixe siècle. La dernière en date
est celle de l'historien américain Marc Raeff qui, dans un ouvrage récent,
entreprend de réexaminer de vieux problèmes et d'y jeter une lumière
nouvelle à l'aide, précisément, de notions modernes de sociologie, de
psychologie et de psychanalyse. Quel est donc le chemin parcouru en
soixante-dix ans dans ce domaine ? Quelles questions de méthode y
sont à l'ordre du jour dans l'état actuel de la recherche ? Comment la
psychologie s'intègre-t-elle dans l'analyse historique globale ? Que
savons-nous, enfin, de l'outillage mental de la noblesse russe ? C'est à
ces questions que nous tenterons de répondre dans les pages suivantes, en
exposant d'abord la thèse classique de V. O. Ključevskij sur l'évolution
psychologique de la noblesse russe, en examinant ensuite la thèse récente
de M. Raeff sur les structures mentales de ce groupe social.
1163
Annales (22» année, novembre-décembre 1967, n° 6) 1 ANNALES
La thèse de V. O. Kljucevskij
V. Kljucevskij nous a laissé des pages de valeur, consacrées au sujet
qui nous intéresse ici 1. On les trouve au chapitre intitulé « Influence du
servage sur la vie intellectuelle et spirituelle de la société russe », dans
le cinquième volume de son célèbre Cours ď histoire russe ; il y a aussi des
développements du plus haut intérêt dans une conférence qu'il fit en
1887, à l'occasion de l'anniversaire de Pushkin, intitulée « Evgenij
Onegin et ses ancêtres » 1. Ces « ancêtres » d'Evgenij Onegin, qui s'avèrent
être précisément les trois générations de la noblesse russe ayant précédé
celle de Pushkin et des Décembristes, représentent un point de départ
commode et approprié de notre exposé.
Les pères des Onegin — écrit Kljucevskij — , commençaient leur édu
cation sous l'impératrice Elisabeth, ils la terminaient aux temps de
Catherine II, et faisaient de vieux jours sous Alexandre Ier. Leur enfance
se déroulait sous l'impression des gaîtés de la vie mondaine, encouragée
par la « très douce et sage fille » de Pierre le Grand. Vers l'âge de cinq à
six ans, les jeunes nobles étaient inscrits aux régiments de la Garde avec
le grade de soldat ; à quinze ans, ils étaient promus officiers, et partic
ipaient déjà aux fêtes de la cour en observant strictement toutes les att
itudes des adultes. Mais en même temps, conformément à la tradition
léguée par Pierre Ier, les jeunes étudiaient, lisaient et prenaient surtout
connaissance de la littérature et de l'histoire d'Europe occidentale. Le
sergent de douze ans apprenait par cœur Racine, Corneille, Boileau et
même Voltaire 2.
Sous Catherine II, le noble se rendait aux sources de la lumière et
du savoir. Suivant le désir de l'impératrice, il visitait le patriarche de
Ferney avec une foule de jeunes officiers russes, avides de voir de près et
d'entendre le fameux philosophe. Ces derniers n'omettaient pas non plus
de se rendre à Paris, « l'enfer des jeunes gens » ; et là, parmi leurs nom
breuses activités, ils fréquentaient les salons en vogue, y racontaient des
anecdotes sur la Russie, débattaient de l'immortalité de l'âme, et discu
taient morale, sciences et esthétique.
Revenu en Russie, et ayant quitté le service au régiment de la Garde,
le jeune noble se voyait chargé de quelque fonction administrative.
Cependant, ne pouvant s'habituer à expédier les affaires, il quittait cette
charge peu après et retournait dans son gouvernement. Là, il pouvait
être élu au tribunal de la noblesse, mais bientôt, par manque d'activité,
l'ennui s'emparait de lui, car d'habitude cette cour n'était saisie que de
deux ou trois procès par an, dont aucun n'était évidemment jamais
terminé. A ce moment, le noble prenait le parti de s'établir définitivement
sur ses terres ; il essayait alors de diriger les travaux agricoles et les
1. V. O. Kljucevskij, Kurs russkoj istorii, cast' 5, in Soiinenija, t. V, Moskva,
1958, pp. 160-185 ; « Evgenij Onegin i ego predki », in Sočinenija, t. VII, Moskva, 1959,
pp. 403-422.
2. Signalons toutefois que Kluče vskij exclut de cette description la petite noblesse
(melkoe sel'skoe dvorjanstvo), dont il mentionne et l'ignorance et les mœurs passabl
ement rudes (Kurs, V, p. 170),
1164 NOBLESSE RUSSE AU XVIIP SIÈCLE
activités économiques de la propriété, mais ne réussissait qu'à gêner
l'intendant et à l'empêcher de faire convenablement sa besogne. Enfin, le
noble décidait qu'il ne lui restait plus qu'à essayer de vivre gaiement : il
s'entourait d'artistes, donnait des bals, allait à la chasse, et haussait les
épaules lorsqu'on lui montrait les livres de comptes et le montant des
dettes qui s'y accumulaient. Ainsi, s'étant définitivement installé au
domaine, « il terminait le long et laborieux chemin qui le conduisait
inexorablement à son isolement complet de la réalité russe ». Son monde
était à présent la pénombre silencieuse de son cabinet de lecture, les tristes
pensées qui hantaient son esprit et le livre français qu'il feuilletait. Avec
ce livre étranger en main, le noble représentait un phénomène étrange
dans son coin perdu des gouvernements de Tula ou de Penza. Ses manières,
ses habitudes, ses sympathies, son langage même, étaient étrangers et
importés ; tout le poussait vers des lieux lointains au delà de la frontière,
tandis que chez lui, « dans sa maison, il n'avait aucun lieu vivant et orga
nique avec l'environnement, aucune occupation vitale, aucun travail
qu'il considérât comme sérieux [...]. Ni la sympathie, ni l'intérêt, ni les
souvenirs d'enfance, ni même la conscience du devoir, ne le liaient à ce
milieu et à ces lieux » К
Ainsi présentait Ključevskij ce qu'on pourrait appeler la carrière-type
du noble « moyen ». Mais outre cette carrière — brossée à grands coups de
pinceau par l'artiste qu'était Ključevskij, qui excellait dans ce genre de
tableaux — , y avait-il d'autres causes encore — sociales, économiques et
psychologiques — , qui renforçaient « l'isolement du noble des réalités
russes »? Il y en avait certainement, et Ključevskij en donne un aperçu
détaillé.
Une cause fondamentale de cet isolement est ce que Ključevskij
appelle « la situation anormale et étrange de la noblesse au sein de la
société russe ». Cette situation, qui se trouvait en voie de crista

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