L amour de l apparence : Baudelaire, Nietzsche - article ; n°115 ; vol.32, pg 83-91
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L'amour de l'apparence : Baudelaire, Nietzsche - article ; n°115 ; vol.32, pg 83-91

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Romantisme - Année 2002 - Volume 32 - Numéro 115 - Pages 83-91
L'article étudie la rencontre de Nietzsche et de Baudelaire sur la question de l'art. La problématique est celle du rapport de l'apparence à la vérité (et plus généralement celle du lien entre poésie et pensée, entre littérature et philosophie), qui apparaît transformé en profondeur dans leurs esthétiques, et de façon convergente. Quelles sont, par ailleurs, les implications éthiques du culte du beau? L'étude aborde les thèmes du bonheur, du mal, du féminin. Elle pose en outre la question du théâtre en y inscrivant les problèmes centraux de la modernité fondée par les deux auteurs : la disparition de Dieu et l'éternel retour de l'identique.
This work deals with the encounter of Nietzsche and Baudelaire in the matter of art. The main question is that of the relations between appearance and truth (and, in general, between poetry and thought, literature and philosophy). These relations seem to be deeply and in a convergent way transformed in both authors' aesthetics. Yet what are the ethical limits to the cult of the beautiful ? The article deals with such themes as happiness, evil and the feminime, it also considers, among other matters, the central problems of modernity discussed by both authors in their reflections on the theater, that is, the disappearance of God and the eternal repetition of the identical.
9 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 77
Langue Français

Extrait

M. Laurent Schneider
L'amour de l'apparence : Baudelaire, Nietzsche
In: Romantisme, 2002, n°115. pp. 83-91.
Abstract
This work deals with the encounter of Nietzsche and Baudelaire in the matter of art. The main question is that of the relations
between appearance and truth (and, in general, between poetry and thought, literature and philosophy). These relations seem to
be deeply and in a convergent way transformed in both authors' aesthetics. Yet what are the ethical limits to the cult of the
beautiful ? The article deals with such themes as happiness, evil and the feminime, it also considers, among other matters, the
central problems of modernity discussed by both authors in their reflections on the theater, that is, the disappearance of God and
the eternal repetition of the identical.
Résumé
L'article étudie la rencontre de Nietzsche et de Baudelaire sur la question de l'art. La problématique est celle du rapport de
l'apparence à la vérité (et plus généralement celle du lien entre poésie et pensée, entre littérature et philosophie), qui apparaît
transformé en profondeur dans leurs esthétiques, et de façon convergente. Quelles sont, par ailleurs, les implications éthiques du
culte du beau? L'étude aborde les thèmes du bonheur, du mal, du féminin. Elle pose en outre la question du théâtre en y
inscrivant les problèmes centraux de la modernité fondée par les deux auteurs : la disparition de Dieu et l'éternel retour de
l'identique.
Citer ce document / Cite this document :
Schneider Laurent. L'amour de l'apparence : Baudelaire, Nietzsche. In: Romantisme, 2002, n°115. pp. 83-91.
doi : 10.3406/roman.2002.1078
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_2002_num_32_115_1078Laurent SCHNEIDER
L'amour de l'apparence : Baudelaire, Nietzsche
II s'opère chez Baudelaire et chez Nietzsche — et l'opération les lie étroitement -
une rupture, au reste problématique, entre art et vérité. A celle-ci est retirée la valeur
qui lui est généralement accordée ; mais elle n'est pas trahie. Dans l'art le mensonge
s'avoue, s'affirme comme tel. Pour Baudelaire il semble même être le moyen d'attein
dre un Idéal plus vrai que la plate vérité. A moins pourtant que son esthétique, de
même que le perspectivisme de Nietzsche, n'opposent à la vérité telle que la conçoit la
tradition de la métaphysique - celle indifféremment de l'idéal ou d'un positivisme de
même essence - une vérité qui se rapporterait au devenir plutôt qu'à l'être. À moins
que tous deux ne dénoncent l'absence de la vérité ; ce qui reviendrait toujours à
l'énoncer et alors même qu'il n'y aurait plus que de l'art.
Le poète et le philosophe (si l'on peut les distinguer ainsi) ont repris à leur compte
la définition stendhalienne de l'art : une «promesse de bonheur» [. Il s'agit pour l'un
de se démarquer d'un médiocre académisme ; pour l'autre d'opposer au «désin
téressement» kantien la force du désir. L'art n'est pas étranger à la vie, mais tourné
vers elle au contraire. L'idée de bonheur pourtant ne va de soi pour aucun des deux.
On sait le rôle que joue le malheur dans la modernité baudelairienne. Nietzsche, de
son côté, ne voit dans l'avenir que la guerre, et le bonheur est abandonné au dernier
des hommes : refusant la violence, il dévoile la faiblesse, le nihilisme de fond - celui
qui s'exprime dans tel poème des Fleurs du Mal : «Je veux dormir, dormir plutôt que
vivre» 2. Ce désir Nietzsche ne l'a combattu que pour l'avoir éprouvé, et avoir résisté à
l'invite d'un voyage sans retour : «II aime à croire que là-bas, auprès des femmes,
habiterait son meilleur moi. Là le plus violent tumulte s'apaiserait en un silence de
mort et la vie deviendrait le rêve même de la vie. » 3 La promesse de bonheur prise
dans l'étau du devenir - dans sa cruauté — n'atteindra pas à l'éternel. Et l'art tend
moins sans doute (même chez Baudelaire) vers un impossible ailleurs qu'il ne tient le
réel à distance par la puissance propre du mensonge. Mais Nietzsche jugerait peut-être
cette définition «réactive»4. L'art n'est-il pas plutôt l'affirmation — suspendue, donc -
d'un monde à transfigurer? «Oh! si les poètes voulaient redevenir ce qu'ils furent
1. «[...] Stendhal, esprit impertinent, taquin, répugnant même, mais dont les impertinences provoquent
utilement la méditation, s'est rapproché de la vérité plus que beaucoup d'autres, en disant que le Beau n'est
que la promesse du bonheur» (Le Peintre de la vie moderne. Œuvres complètes, éd. C. Pichois, coll.
«Bibliothèque de la Pléiade», II, 1976, p. 686. C'est moi qui souligne «vérité»). Nietzsche cite Stendhal
dans La Généalogie de la morale, «Que signifient les idéaux ascétiques?» (§ 6).
2. Le Léthé.
3. Cité par Jacques Derrida dans Éperons. Les styles de Nietzsche, Flammarion, coll. «Champs», 1978,
p. 35.
4. Il y a en fait une évolution, ainsi que l'observe Sara Kofman : «Plus tard [après La Naissance de la
tragédie], Nietzsche ne fera plus de la religion et de l'art une réaction défensive contre la douleur universell
e. L'origine de l'art sera mise dans un sentiment affirmatif, la reconnaissance d'une vie forte envers la vie»
{Nietzsche et la scène philosophique, Galilée, 1986, p. 76). Baudelaire serait-il le décadent que Nietzsche
après avoir lu Bourget a voulu qu'il fût, du moins serait-on en droit de le rapprocher du premier Nietzsche.
ROMANTISME n° 1 15 (2002-1) 84 Laurent Schneider
probablement autrefois : des voyants qui nous racontent quelque chose du possible.
Où êtes- vous, astronomes de l'idéal?»5
Leur accord est avéré sur ce point : la volonté de vérité s'oppose à la création.
«Ce serait un événement tout nouveau dans l'histoire des arts qu'un critique se faisant
poète, un renversement de toutes les lois psychiques, une monstruosité ; au contraire,
tous les grands poètes deviennent naturellement, fatalement critiques.» 6 Ce serait
quelque chose comme Socrate, au sujet de qui Nietzsche écrit : «Tandis que chez tous
les hommes productifs l'instinct est une force affirmative et créatrice, et la conscience
une force critique et négative, chez Socrate l'instinct devient critique et la
créatrice — c'est une véritable monstruosité par carence» 7. Le philosophe grec apparaît
dans l'œuvre de Baudelaire, à deux reprises. Dans un drame de jeunesse resté inache
vé, Idéolus ; et, surtout, dans Assommons les pauvres ! Ce poème déplore la présence
en Socrate de ce même démon qui, selon Nietzsche, «l'avertit toujours de s'abstenir
de certains actes. Chez cette nature anormale, la sagesse instinctive ne se manifeste
que pour s'opposer de temps à autre à la connaissance consciente» 8. Baudelaire écrit :
«II existe cette différence entre le Démon de Socrate et le mien, que celui de Socrate
ne se manifestait à lui que pour défendre, avertir, empêcher, et que le mien daigne
conseiller, suggérer, persuader. Ce pauvre Socrate n'avait qu'un démon prohibiteur, le
mien est un grand affirmateur, le mien est un Démon d'action, un Démon de
combat» 9. Un combat qui, dans ce poème, renvoie au thème nietzschéen de la dureté.
Le poète prend la posture du philosophe actif. Et l'« antique carcasse», la «machine si
singulièrement détraquée» mise à l'épreuve rappelle assez le Socratès débile et ivre
d' Idéolus, s 'employant à décourager le sculpteur d'accomplir son œuvre — et se pré
sentant lui-même comme une «affreuse machine» 10. Dans Assommons les pauvres!
l'affirmation n'est cependant pas, comme le dionysiaque, le produit d'une surabondan
ce de vie ; c'est au contraire, comme il est dit dans Le Mauvais Vitrier, où le poète
désespérant de voir jamais «la vie en beau» brise les pauvres vitres d'un marchand,
«une espèce d'énergie qui jaillit de l'ennui et de la rêverie» n. Si le satanique ne va
5. Aurore, trad. J. Hervier, § 551.
6. Baudelaire, Œuvres complètes, II, éd. cit., p. 793.
7. La Naissance de

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