La corruption : un délit contre l’ordre social. Les qādī-s de Bukhārā - article ; n°6 ; vol.57, pg 1561-1589
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La corruption : un délit contre l’ordre social. Les qādī-s de Bukhārā - article ; n°6 ; vol.57, pg 1561-1589

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Annales. Histoire, Sciences Sociales - Année 2002 - Volume 57 - Numéro 6 - Pages 1561-1589
Des textes juridiques de la Transoxiane des XIe et XIIe siècles sur la corruption sont analysés à la lumière des hypothèses sur la differentiation entre sous-systèmes sociaux développées par la théorie des systèmes, textes comparés aux House Rules de la Chambre des représentants sur les cadeaux et les contributions au regard des notions de souveraineté exprimées dans ces deux systèmes normatifs.
On corruption: against the social order. Qādī-s from Bukhārā.
Eleventh- and twelfth-century legal texts from Transoxiana on problems of corruption are analysed in the light of the hypotheses on the differentiation of social sub-systems developed in the theory of systems. The texts are compared with the House Rules of Representatives on gifts and contributions with a view to the notion of sovereignty embodied in both normatives systems.
29 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 13
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Baber Johansen
La corruption : un délit contre l’ordre social. Les qādī-s de
Bukhārā
In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 57e année, N. 6, 2002. pp. 1561-1589.
Résumé
Des textes juridiques de la Transoxiane des XIe et XIIe siècles sur la corruption sont analysés à la lumière des hypothèses sur la
differentiation entre sous-systèmes sociaux développées par la théorie des systèmes, textes comparés aux House Rules de la
Chambre des représentants sur les cadeaux et les contributions au regard des notions de souveraineté exprimées dans ces
deux systèmes normatifs.
Abstract
On corruption: against the social order. Qādī-s from Bukhārā.
Eleventh- and twelfth-century legal texts from Transoxiana on problems of corruption are analysed in the light of the hypotheses
on the differentiation of social sub-systems developed in the theory of systems. The texts are compared with the House Rules of
Representatives on gifts and contributions with a view to the notion of sovereignty embodied in both normatives systems.
Citer ce document / Cite this document :
Johansen Baber. La corruption : un délit contre l’ordre social. Les qādī-s de Bukhārā. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales.
57e année, N. 6, 2002. pp. 1561-1589.
doi : 10.3406/ahess.2002.280125
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2002_num_57_6_280125La corruption :
un délit contre Tordre social
Les gâç//-s de Bukhara
Baber Johansen
La théorie des systèmes suggère que les sociétés complexes se forment par un
processus de différenciation qui mène à la constitution de sous-systèmes sociaux
avec leurs propres systèmes de valeurs et de normes1. Celles-ci ne peuvent être
transférées à d'autres sous-systèmes sociaux sans mettre en question leur capacité
à assurer leur fonctionnement interne2. Ainsi, on ne peut appliquer les normes du
système commercial au service public ou au système de la maisonnée sans menacer
l'existence même de ceux-ci. C'est à partir de cette hypothèse que l'analyse qui
suit est construite. La corruption, dans la pensée juridique aussi bien occidentale
du XXe que musulmane des XIe et XIIe siècles, constitue un délit, parce qu'elle
menace la différenciation des sous-systèmes sociaux et des sphères de valeur qui
leur sont liés. Par conséquent, elle est vécue comme une menace du fondement
de l'ordre politique, social, culturel et religieux. Elle devient donc un problème
manifeste dans les sociétés complexes où les relations entre sous-systèmes sociaux
changent. Leur mutation crée une instabilité des normes, un flou dans les relations
Ce texte est la version élaborée et révisée d'une conférence donnée, le 26 janvier 1999,
au séminaire organisé par MM. Jean-Pierre Olivier de Sardan et Giorgio Blundo, du
SHADYC (EHESS, Marseille), sur « Approches comparatives de la corruption ». Je tiens
à remercier les organisateurs et les participants pour leurs commentaires.
1 -NlKLAS Luhmann, Rechtssoziologie, Rowohlt, Reinbek bei Hamburg, 2 vols, 1972.
2 - Pour l'héritage de Max Weber que la théorie des systèmes - dans la version de
Pearson et de Luhmann - s'approprie, voir Wolfgang Schluchter, Die Entwicklung
des okzidentalen Rationalismus, Tubingen, Mohr (Siebeck), 1979, pp. 20, 30-38, 40-59 et
78-80.
Annales HSS, novembre-décembre 2002, n°6, pp. 1561-1589. BABER JOHANSEN
entre les membres et les rôles d'une société qui entraîne des réactions religieuses,
morales et juridiques. Il importe donc de suivre la réaction à l'encontre de cette
menace sur le plan normatif. C'est à ce niveau que peuvent être étudiées les
motivations qui poussent les juristes à définir et sanctionner certains comporte
ments de corruption. Deux cas, très différents, se prêtent particulièrement bien à
une analyse dans les termes de l'approche théorique choisie et dont la comparaison
permettra d'offrir quelques observations générales concernant leur spécificité his
torique et culturelle. Les exemples concernent les définitions des actes qui consti
tuent le fait de corruption dans la doctrine des juristes de Bukhara, en Asie centrale,
entre le XIe et le XIIe siècle et dans la « réforme des cadeaux » (gift reform) votée
par la Chambre des représentants américaine le 16 novembre 1995 et entrée en
vigueur le 1er janvier 1996. Prévenons d'emblée le lecteur que cette comparaison
reste boiteuse : c'est la doctrine des juristes de Bukhara qui est au centre de l'ana
lyse. La référence à cette réforme sert seulement, ici, à souligner ce qui est commun
à toutes les sociétés complexes et à faire ressortir ce qui est spécifique aux normes
que les législateurs d'une société démocratique s'imposent.
Le débat des juges et des juristes musulmans de Bukhara porte sur la défini
tion et les conséquences judiciaires et juridiques de la corruption (rušwa). Toutef
ois, ce modèle ne présente ni la position de tout l'islam sunnite ni celle de toute
l'école hanéfite du droit sunnite (fiqh) en la matière. Le fiqh est un système de
règles éthiques et juridiques qui, dans sa totalité, constitue le droit musulman.
D'après les juristes qui se réclament de ce système, ses règles sont dérivées des
textes de la révélation, c'est-à-dire du Coran, de la pratique normative du prophète
(la sunna) et du consensus de la communauté musulmane (ijmâ'). Elles sont
construites par analogie avec ceux-ci ou développées par l'effort individuel pour
établir, par le biais du raisonnement juridique (ijtihâd), des normes qui cadrent avec
l'ensemble de ces règles. La dérivation de nouvelles normes par la construction des
analogies et par le juridique individuel est l'œuvre de spécialistes
au fiqh (fuqaha*), soit des juristes du droit musulman. Il n'y a, dans la période qui
nous concerne, aucune instance de législation qui pourrait revendiquer le droit
d'établir et promulguer des lois ou des normes. Ce sont les juristes qui composent
les systèmes normatifs en s'appuyant sur la tradition juridique et religieuse qu'ils
adaptent à leur situation historique, sociale et politique. Le droit musulman est
donc un droit de juristes. Ici, la production des normes dépend très souvent d'une
lecture individuelle développée par un juriste, souvent un qudï, pour un milieu
social et politique spécifique, et acceptée sous des conditions différentes mais
comparables par les juristes d'autres régions et d'autres époques. C'est pourquoi
les textes du fiqh doivent être étudiés dans un contexte historique précis. En
revanche, l'étude du modèle spécifique reste sans profondeur et larg
ement incompréhensible s'il n'est pas confronté à la doctrine classique dont il utilise
les éléments pour les changer et les adapter à sa propre situation. L'histoire des
changements régionaux de la doctrine classique permet donc de suivre le dévelop
pement de la pensée juridique. Le modèle des juges de Bukhara du XIIe siècle
n'est identique ni à celui des Hanéfïtes de l'Iraq des VIIIe et IXe siècles ni à celui DE LA CORRUPTION
des autres écoles du XIIe siècle. Il a cependant exercé une forte influence sur le
hanéfisme égyptien et syrien aux XVe et XVIe siècles et sur la doctrine post-classique
de toute l'école hanéfite.
L'exemple américain
II semble utile de commencer par une brève description de la gift reform récemment
votée par la Chambre des représentants. Ce texte distingue, de manière casuis
tique, les situations dans lesquelles l'acceptation des cadeaux est licite de celles
qui la rendent illicite. Il s'agit d'un règlement intérieur (house rule) qui s'inscrit
dans la tradition des textes qui, depuis 1968, ont été votés par cette institution
pour s'adapter aux attentes du public en matière d'éthique3. Dans un long article
intitulé « In D. C. giving has become a fine art under new rules » («À Washington,
le don est devenu un art subtil sous des règles nouvelles »), The Wall Street Journal
montre comment l'interprétation de la nouvelle règle et de sa casuistique oblige
les représentants à chercher des guides juridiques qui leur permettent de s'orienter
dans le labyrinthe de ce qui, désormais, constitue une corruption et de ce qui reste

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