La possession et son interprétation thérapeutique. Un système singulier chez les Taita du Kenya - article ; n°142 ; vol.37, pg 49-67
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Description

L'Homme - Année 1997 - Volume 37 - Numéro 142 - Pages 49-67
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 19
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean-Luc Ville
La possession et son interprétation thérapeutique. Un système
singulier chez les Taita du Kenya
In: L'Homme, 1997, tome 37 n°142. pp. 49-67.
Citer ce document / Cite this document :
Ville Jean-Luc. La possession et son interprétation thérapeutique. Un système singulier chez les Taita du Kenya. In: L'Homme,
1997, tome 37 n°142. pp. 49-67.
doi : 10.3406/hom.1997.370247
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1997_num_37_142_370247Jean-Luc Ville
La possession et son interprétation thérapeutique
Un système singulier chez les Taita du Kenya
Jean-Luc Ville, La possession et son interprétation thérapeutique. Un système singulier chez
les Taita du Kenya. — Nous exposons le cas spécifique de la transe saka des Taita du Kenya
en montrant qu'il s'analyse d'abord comme phénomène adaptatif et que l'interprétation en
termes de possession ne doit son existence qu'à une reformulation syncrétique du phénomène.
La transe se présente davantage comme une crise de désir délirant et l'étude de ses fonde
ments psycho-pathologiques ainsi que celle de la nosographie taita viennent éclairer sa véri
table nature. En s 'interrogeant sur le sens de l'interprétation thérapeutique qu'offre l'exégèse
indigène, nous aboutissons, après un exposé rapide du contexte socio-historique et de la
cosmogonie taita, à une définition de l'objet comme expression de l'ambivalence du contact
de la société taita avec le macrocosme.
Les phénomènes de possession africains sont aujourd'hui bien connus et
ont fait l'objet d'analyses multiples. Olivier de Sardan s'élevait récem
ment contre 1'« évidence thérapeutique » qui entache souvent ces ana
lyses, montrant d'une part comment fonctionne la surinterprétation anthropolo
gique, expliquant d'autre part que certains cultes se « thérapisent » pour résister
à quelque idéologie religieuse hégémonique, pour faire pendant au poids institu
tionnel de la médecine occidentale, ou encore pour répondre à quelque déséquil
ibre psycho-sociologique à l'œuvre dans la communauté comme c'est souvent
le cas en contexte urbain. L'auteur apporte ainsi la preuve que l'aspect théra
peutique d'un système doit être considéré comme une variable, non comme une
constante, et qu'il dépend en dernier lieu de processus socio-historiques. Il avait
déjà montré ailleurs, en effet, que les systèmes de possession sont des phéno
mènes essentiellement syncrétiques et évolutifs (Olivier de Sardan 1986, 1994).
Le cas analysé ici — la crise saka chez les Taita du Kenya — présente une
double singularité. Bien qu'elle fût toujours décrite comme une possession par
les différents observateurs, saka ignore l'une des caractéristiques esssentielles
des phénomènes de possession : l'alternative exorcisme/adorcisme. Pourtant,
L'Homme 142, avril-juin 1997, pp. 49-67. JEAN-LUC VILLE 50
l'exégèse indigène reste ambiguë sur ce point, ambiguïté qui se révèle porteuse
de sens, comme nous le verrons. Par ailleurs, elle fait une large place à l'inte
rprétation thérapeutique sans qu'il s'agisse d'une « thérapisation » qui jouerait
comme ruse ou prétexte, au sens où l'entend Olivier de Sardan. Ce n'est qu'en
resituant l'attaque saka dans son contexte socio-historique que l'on éclairera
cette singularité. Considérer les manifestations de type possessif engageant une
interprétation thérapeutique comme des phénomènes évolutifs et syncrétiques
reste, à notre sens, la contribution principale d'Olivier de Sardan.
Les Taita sont des agro-pasteurs de langue bantoue qui occupent trois îlots
montagneux isolés dans une vaste plaine semi-aride, à 150 km environ de
l'océan Indien. Les cités côtières regroupent des populations swahili qui prat
iquent l'islam depuis dix siècles environ, et l' arrière-pays est peuplé de groupes
bantous plus ou moins islamisés (Giriama, Digo, Segeju...). Les pratiques de
possession sont l'un des traits culturels les plus marquants de ces sociétés. Elles
coexistent avec l'islam et peuvent être rapprochées des systèmes classiques {zar
éthiopien et soudanais, cultes ouest- africains). L'attaque saka s'en distingue très
nettement, en dépit d'une certaine proximité culturelle entre le groupe taita et les
populations côtières. Or cette divergence tient justement à la spécificité socio-
historique du destin taita et en particulier au rapport des Taita à l'espace côtier,
l'attaque saka jouant en quelque sorte comme un commentaire de cette réalité
spécifique. Son analyse passe nécessairement par une référence au contexte
rituel global et au système de représentations taita, impossible à décrire ample
ment dans ces pages mais dont on trouvera ailleurs l'analyse détaillée (Ville
1994).
Rappelons brièvement les deux événements historiques majeurs qui ont
marqué le destin taita. Le développement du commerce à longue distance entre
la Côte et l'intérieur durant le xixe siècle tout d'abord. S'il fut un point de ravi
taillement obligé des caravanes swahili, le massif taita a toutefois résisté à la
pénétration de l'islam. Mais ce commerce est à l'origine de bouleversements
régionaux qui ont provoqué une crise écologique grave dans la décennie 1880 et
ont poussé les Taita à la razzia, créant même une forme de mercenariat. La colo
nisation britannique ensuite, qui entraîna, dès le début de notre siècle, une
conversion massive au christianisme.
La première mention de saka date des années 1930, mais il existe des témoi
gnages de « transe » au siècle dernier (New 1971 ; Patterson 1979). Ce n'est
qu'en 1957, alors que les autorités s'inquiètent de la prévalence des troubles
mentaux dans le district taita, qu'une étude s'intéresse à la folie et à la « posses
sion » qui touche de nombreuses femmes. Les pratiques de « possession » sont
alors décrites par un médecin colonial et une ethnologue américaine (Harris
1957 ; Margetts 1957). Ces descriptions correspondent point par point à ce
que nous avons pu observer trente ans plus tard1. Alors que la société taita
1. Nous avons observé des danses thérapeutiques liées à la crise saka entre 1985 et 1992 dans deux
localités à l'ouest du massif principal (Dawida). Une interprétation de la possession 51
s'est considérablement modernisée, l'attaque saka et la danse thérapeutique
perdurent, pratiquement inchangées, même au sein de la jeunesse.
Une « maladie du cœur »
Les Taita désignent souvent le phénomène par le simple terme saka qui
signifie « maladie ». Pepo est également utilisé comme abréviation de saka y a
pepo (la « du pepo »), mais on dit parfois saka y a mbeo et l'expression
saka y a mlungu est citée comme désignation originelle de l'attaque saka. Pepo
est emprunté au swahili et signifie « vent », « esprit ». Parmi les populations
côtières islamisées, il désigne le complexe de possession (Giles 1987). Dans le
contexte taita, il traduit à la fois le terme taita mbeo qui signifie « vent », « froid »
et le terme mlungu désignant l'entité incorporelle et sensible propre à toute créa
ture vivante qui, chez les êtres humains, survit à la mort physique de l'individu
et se trouve doué de volonté. Les Taita désignent également par mlungu toute
chose possédant un caractère inhabituel ou extraordinaire, créature ou objet, et
ils font alors référence au caractère insondable du principe divin (Dieu est appelé
mlungu). Or le principe vital se confond avec l'organe cœur (ngolo) et c'est
pourquoi l'attaque saka est considérée comme une « maladie du cœur ».
Un petit détour est ici nécessaire pour expliciter la place centrale du « cœur »
dans la représentation des rapports sociaux. Les Taita pensent en particulier
qu'on ne doit pas « cacher les mots dans le cœur ». Le ressentiment que l'on
éprouve à l'égard des parents, s'il reste trop longtemps contenu, devient en effet
colèr

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