La psychologie artistique de Tade Styka - article ; n°1 ; vol.15, pg 316-356
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Description

L'année psychologique - Année 1908 - Volume 15 - Numéro 1 - Pages 316-356
41 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1908
Nombre de lectures 10
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Alfred Binet
La psychologie artistique de Tade Styka
In: L'année psychologique. 1908 vol. 15. pp. 316-356.
Citer ce document / Cite this document :
Binet Alfred. La psychologie artistique de Tade Styka. In: L'année psychologique. 1908 vol. 15. pp. 316-356.
doi : 10.3406/psy.1908.3760
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1908_num_15_1_3760. .*■»
VII
LA PSYCHOLOGIE ARTISTIQUE
DE TADE STYKA
Depuis longtemps, je lisais dans les journaux qu'un jeune
enfant de dix à douze ans s'essayait à la peinture; on disait
qu'il était élève de son père, peintre d'histoire; on ajoutait
qu'Henner lui donnait des leçons et lui avait même permis de
travailler à ses côtés dans l'atelier de la place Pigalle. Gela
paraissait extraordinaire, car Henner n'était point un maître
indulgent, ni un caractère commode, et personne, si ce n'est
ses modèles, ne l'avait encore vu travaillant.
De temps en temps, des toiles de l'enfant peintre paraissaient
aux Salons annuels et provoquaient une admiration générale.
L'idée nous vint de commencer par lui une étude sur les peint
res. J'étais curieux de savoir si une intelligence aussi jeune,
qui pratiquait déjà une technique si savante, procédait par
raisonnement ou par instinct. J'écrivis donc mes intentions à
Tade Styka, et à son père Jan Styka ; tous les deux m'accueill
irent avec une grâce, une cordialité, une franchise, une sym
pathie dont j'ai été touché.
I
Tade Styka est né le 12 avril 1889, il a donc, au moment où
j'écris, presque vingt ans. Sa famille paternelle est polonaise et
tchèque; comme profession principale, ses ancêtres sont des
soldats; son père, dont je parlerai longuement, est peintre
d'histoire; un arrière-grand-père a été compositeur de musique.
La famille maternelle est italienne, originaire de Venise; les
Olgiati sont des gens à volonté tenace; un des leurs, impliqué
dans un complot politique, fut exécuté sans qu'il fût possible
de lui arracher des aveux. Tade est actuellement le second — LA. PSYCHOLOGIE ARTISTIQUE DE TADE STYKA 317 BINET.
enfant de la famille; il a un frère plus jeune d'un an qui s'e
ssaye à la peinture, et trois sœurs, l'une plus âgée que lui, les
deux autres plus jeunes, dont les aptitudes sont encore incon
nues.
Au reste, je ne m'attarderai pas dans ces détails biographi
ques, auxquels je crois une importance nulle; l'ordre dans la
naissance ne me paraît rien signifier, je l'ai montré ailleurs ; je
ne crois pas davantage qu'on ait démontré l'influence très
grande de la nationalité et de la race. Existe-t-il même une
hérédité pour le peintre? Ce que l'hérédité donne assurément,
c'est le niveau d'intelligence, le goût du beau, l'énergie de
caractère, et quelques autres qualités générales; mais cette
extraordinaire spécialisation d'aptitudes qui est nécessaire au
peintre, vient-elle de l'hérédité? Je n'en sais rien, personne n'en
sait rien; il faudrait étudier cela longuement, sur une vaste
échelle, et cela ne serait pas facile. J'attache surtout de l'im
portance à l'éducation, et au milieu. Ici, le milieu est représenté
surtout par l'influence paternelle, influence si grande, si puis
sante qu'on aurait de la peine à parler du fils sans mettre en
scène le père. Tade a été élevé par son père, il l'a suivi dans
tous ses voyages, il a grandi dans l'atelier paternel, et il n'avait
pas quatre ans que déjà le père lui mettait un crayon dans la
main ; il avait huit ans quand le père, faisant poser un modèle
pour un tableau romain, disait à son fils : Tade, essaye de le
peindre. L'enfant hésitait, pleurait même sur sa palette, car il
ne savait pas comment s'y prendre; mais il essayait, et cette
première étude, qu'on a conservée et qu'on m'a montrée, est déjà
bien suggestive. Puis, l'enfant a continué à grandir toujours à
côté de son père. Jean Styka est un enthousiaste de peinture
et d'art. Il suffit de l'avoir entendu une fois pour comprendre
l'irradiation de sa personnalité. C'est une nature singulière; il
est à la fois exalté et calme; il est exalté, je veux dire par là
qu'il prend feu pour toutes les idées généreuses, qu'il parle
avec une mimique extraordinaire, une éloquence tumultueuse
et passionnée; mais il garde tout de même son sang-froid, car
cette exaltation n'est point du surmenage, elle est dans le fonc
tionnement normal d'une organisation très solide. Et la preuve
de tout ce qu'il y a de réfléchi chez lui, c'est le fait suivant : la
peinture du fils ne ressemble nullement à celle du père. Le
père n'a point voulu que le fils lui ressemblât. « J'ai cherché
dans mon art, me disait-il, l'expression de ma foi religieuse et
politique, j'ai peint des scènes historiques qui retracent les MÉMOIRES ORIGINAUX 318
désastres ou les espoirs de mon malheureux pays, la Pologne.
Mais j'ai dit à mon fils : Toi, tu n'as pas besoin de faire de ton
pinceau une arme, une épée; sois peintre, rien que peintre. »
Cet enthousiaste a donc raisonné aussi juste que le pédagogue
le plus froid.
Et en effet, jetons un coup d'œil autour de nous, dans ce
grand atelier de Garches où ils nous reçoivent; les murs sont
couverts de haut en bas par les œuvres du père et du fils, con
fondues fraternellement; mais on n'a pas besoin d'être grand
clerc pour les distinguer. Les œuvres du père sont immenses;
c'est lui qui a exposé en 1900 au Palais de Glace une toile de
soixante mètres de long, représentant les martyrs de Néron dans
l'arène du cirque; c'est lui qui a vivifié d'un nombre considé
rable de croquis le Quo Vadis de son compatriote Sinckiewicz.
Il y a là une dépense inouïe d'imagination, de force, d'énergie,
d'émotion, qui fait penser à un Sardou de la peinture. L'œuvre
du fils est moins abondante, plus réduite, et d'inspiration
autre. Ce sont surtout des portraits, plusieurs de son père, de
sa sœur, et de différentes dames; des petits chevaux fins, des
lions, pour lesquels le jeune artiste éprouve en ce moment une
véritable prédilection; des compositions gracieuses, comme celle
d'un ange; des paysages intimes, parmi lesquels nous remar
quons un chemin de Garches en automne ; et quelques belles
compositions mythologiques, Prométhée, enchaîné près du
vautour, Orphée charmant les animaux sauvages. Il faut
savoir gré au père d'avoir permis que le génie de son fils
prît tout son essor, et de respecter les idées personnelles de
Tade : car celui-ci en a, c'est incontestable. Malgré cette réserve,
il est évident que le père a eu une influence énorme ; il a donné
à son fils une culture intense. Ces deux hommes vivent dans le
culte passionné du beau ; en les écoutant parler dans leur atelier,
on comprend que leur art est la préoccupation, le centre de toute
leur vie; leur idéal est si grand, si continuellement présent à
leur esprit, que lorsqu'on se promène avec eux à travers les
vergers de Garches, il semble que le paysage s'efface devant
leurs idées. Qu'on se représente toutes les suggestions qui
doivent s'échanger entre ces deux cerveaux ; une curiosité tou
jours en éveil, l'attention à tout ce qui se produit de nouveau,
un sens critique qui fait que le père conseille et juge — avec
une franchise absolue, nous en avons eu des exemples — tout
ce que fait le fils; et que le fils, avec plus de réserve et de
respect, mais avec autant de sincérité, donne à son père des — LA PSYCHOLOGIE ARTISTIQUE DE TADE STYKA 319- BINET.
opinions et des conseils; on comprend qu'il y a là un échange-
d'idées, qui a tous les avantages d'une collaboration; et on sait
que dans une collaboration aussi vivante, les forces psychiques
des deux ne font pas que s'additionner, c'est plutôt une multi
plication.
Pour compléter ces quelques impressions, et connaître la
Fig. 1. — Portrait de Tade Styka par lui-même. D'après un original au:
crayon que Tade a dessiné pour notre étude.
biographie, encore si courte, de Tade Styka, j&#

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