La vision rouge de la Révolution...  De Germinal à Thermidor - article ; n°82 ; vol.23, pg 3-16
15 pages
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Description

Romantisme - Année 1993 - Volume 23 - Numéro 82 - Pages 3-16
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 34
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Henri Mitterand
"La vision rouge de la Révolution... " De Germinal à Thermidor
In: Romantisme, 1993, n°82. pp. 3-16.
Citer ce document / Cite this document :
Mitterand Henri. "La vision rouge de la Révolution.. " De Germinal à Thermidor. In: Romantisme, 1993, n°82. pp. 3-16.
doi : 10.3406/roman.1993.5905
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1993_num_23_82_5905MUTERAND Henri
"La vision rouge de la Révolution..."
De Germinal à Thermidor
L'image surgit au détour de Germinal, dans ce chapitre où la femme du
directeur de la compagnie minière, trois jeunes filles qui raccompagnent, et
l'ingénieur Négrel, dissimulés derrière la porte d'un hangar, regardent passer sur
la route le flot furieux des mineurs en grève :
C'était la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous, fatalement, par une
soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait
ainsi sur les chemins ; et il ruissellerait du sang des bourgeois, il promènerait des têtes,
il sèmerait l'or des coffres éventrés [...] Oui, c'étaient ces choses qui passaient sur la
route, comme une force de la nature, et ils en recevaient le vent terrible au visage '.
La révolte ouvrière des mines de Montsou porte à la fois le souvenir de 93,
avec cette hache brandie qui a "dans le ciel clair le profil aigu d'un couperet de
guillotine", et l'annonce des terreurs populaires à venir.
A l'échelle de l'Histoire, Zola s'est trompé de peu. L'implosion annoncée se
produira non pas en France, à la fin du XIXe siècle, mais à l'Est de l'Europe, au
début du siècle suivant, à trente ans de là. Qu'importe. L'intuition n'en était pas
moins profonde, ni la vision moins puissante, moins terrifiante : chronique d'un
cataclysme annoncé, pour le siècle à venir, bombe verbale explosant sous les
pieds de l'institution, de l'argent, du pouvoir, du savoir, des idées reçues, de la
satisfaction, de la répression. Tout allait donc recommencer, en France même,
comme en 93, comme en 30, comme en 48, comme en 71 ? Cet imaginaire du
soulèvement, cette mythologie de la Terreur, avait traversé tout le XIXe siècle, et
n'en finissait pas d'empoisonner la vie des "honnêtes gens", au sens où Claude
Lantier employait le mot, à la fin du Ventre de Paris, en s'écriant : "Quels gredins
que les honnêtes gens ! ".
D'une certaine façon, notre 93 à nous, un siècle plus tard, est rassuré et
rassurant. Les défilés de grévistes ne nous font plus peur. A la différence des
portes de la guerre, que le Destin ouvre à la fin de La Guerre de Troie n'aura pas
lieu, de Giraudoux, les portes de la Révolution, restées entrouvertes depuis deux
siècles dans la société française, ou du moins dans son imaginaire populaire et
dans le discours de ses théoriciens et de ses militants, se sont refermées. Le mot
même a subitement vieilli ; c'est toute une sémantique et une symbolique qui se
meurent avec lui ; il ferait presque sourire, comme les vieillards de Giraudoux,
précisément. Nous sommes nombreux à avoir grandi avec lui, dans les années qui
ont suivi la Seconde Guerre mondiale, comme nos pères l'avaient accompagné
dans l'exaltation des années 20 et des années 30, aux temps des Cloches de Bale et
de La Condition humaine ; et nous voilà dépouillés, comme lui, de toute illusion
et de toute espérance : curieuse et dérisoire aventure intellectuelle.
ROMANTISME n°82 (1993-4) 4 Henri Mitterand
H reste que penser la Révolution ne peut pas être pour un Français
d'aujourd'hui un exercice complètement inutile, ni d'ailleurs complètement
innocent. Selon la place que nous avons occupée dans la durée historique du
présent siècle, dans la succession des générations, et aussi sur l'échiquier des
classes et des idéologies, selon nos expériences politiques aussi, nous avons tenu
et nous tenons encore un discours ou un autre. Nous avons été micheletistes entre
les deux guerres, marxistes, ou au moins jaurésiens, après la Seconde Guerre
mondiale, nous serions maintenant plutôt tocquevilliens, voire tainiens — si l'on en
juge par la profusion des ouvrages révisionnistes. Les clichés ont changé d'époque
en époque.
H faut admettre cette variabilité, essayer d'en rendre compte, ne serait-ce que
pour mettre en perspective nos propres engagements passés et nos désabusements
présents. Je voudrais simplement tenter une rapide exploration de quelques écrits
du XIXe et du XXe siècles, pour montrer que le siècle de Balzac ne présente pas
un éventail de discours moins étendu que le nôtre ; pour esquisser quelques profils
témoins de cette variation ; et aussi pour tenter d'atténuer quelque peu la dureté de
l'historiographie contemporaine à l'égard des intellectuels français d'hier et
d'avant-hier, déjà bien mis à mal par le gigantesque ébranlement européen de
1989-1990.
Commençons d'ailleurs par là, et prenons l'exemple du livre de notre collègue
américain Tony Judt, traduit en français, en 1992, sous le titre Un passé
imparfait 2. L'auteur y étudie les positions politiques, idéologiques, morales des
intellectuels de la gauche non-communiste après 1945, notamment à l'égard des
grands procès politiques qui se sont déroulés en France au moment de l'épuration,
puis dans les pays de l'Est autour de 1950. A ses yeux, leur sévérité à l'égard des
collaborateurs lors des procès de l'épuration, et leur aveuglement relatif devant les
procès truqués des régimes staliniens relèvent d'une même conception des droits,
qu'ils ont héritée des extrémistes jacobins de 1793 : "Le gouvernement de la
Révolution, écrivait Robespierre en février 1794, est le despotisme de la liberté
contre la tyrannie". Et Tony Judt de commenter : "Dans une situation
révolutionnaire, l'intérêt public (au sens de Saint-Just) l'emporte non seulement
sur l'intérêt de l'individu, mais aussi sur toute conception préexistante de la justice
et du droit" 3. П en sera ainsi en France, selon lui, en 1944-1945 ; et le même
présupposé fera taire, ou parler mezzo voce, les grandes consciences françaises
face aux procès de Budapest et de Prague quelques années plus tard.
Depuis deux siècles, la pensée politique de la gauche française serait ainsi
ancrée sur une sorte de travestissement de la notion de "droits de l'homme" : la
pratique de 93, se substituant à l'idéal de 89, aurait fait en sorte que les droits de
l'individu, socle de la sensibilité libérale, se voient supplantés par les du
citoyen, ce qui n'est pas du tout la même chose, et plus généralement, plus
dangereusement encore, par les droits du peuple. "Au cours de la Révolution, écrit
Tony Judt, le langage des droits connut un rapide quoique subtil changement : de
stratagème pour défendre l'individu contre le dirigeant tout-puissant, il devint le
moyen de faire valoir les droits de la collectivité contre les intérêts de ses
membres. Loin de protéger le citoyen contre les caprices de l'autorité, les droits
devinrent la base consacrée légitimant les actions et caprices de cette autorité Germinal à Thermidor 5 De
contre les citoyens mêmes au nom desquels et pour lesquels on exerçait le
pouvoir" 4. De là le durcissement de la pensée politique de gauche au fur et à
mesure que se succèdent les révolutions du XIXe siècle, et plus encore à partir de
l'émergence d'une pensée socialiste fécondée par l'influence hégélienne et
marxiste : la primauté que la "théorie des droits" accorde à l'individu va à
rencontre d'une nécessaire révolution économique, sociale et institutionnelle, qui
seule pourrait libérer les classes exploitées ; elle va aussi à rencontre de la
discipline, de la rigueur d'Etat qui doit préserver les conquêtes du droit
révolutionnaire après le renversement des pouvoirs aristocratiques et bourgeois.
La terreur est une question de sauvegarde des pouvoirs du peuple, et plus
généralement une des formes de la dialectique hist

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