Le cauchemar de Des Esseintes - article ; n°19 ; vol.8, pg 79-89
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Description

Romantisme - Année 1978 - Volume 8 - Numéro 19 - Pages 79-89
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 26
Langue Français

Extrait

M Michel Collomb
Le cauchemar de Des Esseintes
In: Romantisme, 1978, n°19. pp. 79-89.
Citer ce document / Cite this document :
Collomb Michel. Le cauchemar de Des Esseintes. In: Romantisme, 1978, n°19. pp. 79-89.
doi : 10.3406/roman.1978.5153
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1978_num_8_19_5153COLLOMB Michel
Le cauchemar de Des Esseintes
« Faire » un cauchemar.
Le récit du cauchemar de Des Esseintes est probablement la plus
réussie de ces « erudites hystéries » dont la répétition constitue l'une
des trames à' A Rebours l. A la lecture l'impression est forte ; comme
si elle collait à l'angoisse de Des Esseintes succombant à l'étreinte de
la Femme-Fleur, la phrase se trouble, s'accélère, halète, se débat et
se rompt dans le réveil libérateur2.
Curieuse entreprise pour un écrivain naturaliste que celle de
« faire » un cauchemar, et grande nouveauté dans la littérature fran
çaise où, si l'on excepte les songes très fonctionnels du théâtre, le
récit de rêve n'abonde pas 3.
Pour Huysmans, contemporain et observateur attentif des pre
mières recherches sur le rêve dans ses rapports avec l'inconscient,
« faire » un cauchemar ne se limite pas à en produire un compte rendu
exact : il faut encore rendre l'impact émotionnel, l'effet-trauma des
fantasmes qui s'y manifestent, produire un véritable « effet de cau
chemar », en trouvant des modalités de récit qui lui soient spécifiques.
La conscience de cette spécificité explique la coupure nette par
laquelle Huysmans délimite et constitue comme tel le récit du cau
chemar. Le passage à l'univers onirique est emphatisé : « Et il roula
dans les sombres folies du cauchemar « tout comme le sera le retour
à la réalité rassurante : « Ah ! ce n'est, Dieu merci, qu'un rêve. »
Etape dans le déroulement d'une névrose- « modèle », le cauchemar
doit être lui-même un archétype de cauchemar, un cauchemar « in
vitro ». Appliquant ici la méthode naturaliste à l'étude d'une névrose 4,
Huysmans ne saurait donner libre cours au discours de la folie. D'où,
à la place du délire névrotique, cette ekphrasis, cette mise à distance,
cette délimitation étroite du texte onirique ( « les sombres folies du
cauchemar »). Le cauchemar naturaliste vient à sa place logique dans
la série progressive des manifestations de la névrose, au même titre
que les hallucinations visuelles ou auditives.
Ainsi découpé dans sa , spécificité, le cauchemar s'offrira donc
comme un morceau d'écriture onirique, mettant en œuvre des procédés
de poétisation propres à produire cet effet-trauma, cette intensité
d'angoisse qui le distingue d'un rêve banal. Il faudra qu'en outre l'im
pression produite serve à dissimuler, tout en la laissant entendre, la 80 Michel Collomb
présence d'un fantasme. dans ce « Faire récit » d'un un sens cauchemar, latent, d'une c'est à intelligibilité la fois l'écrire profonde, et le
lire, intégrer à son écriture ses diverses possibilités de lecture, inscrire
sous l'évidence de l'émotion, les masques du sens.
Ce sont ces procédés de fabrication d'un cauchemar à l'époque
où s'inaugurent les recherches sur le langage de l'inconscient, que nous
voudrions étudier, faire donc la narratologie d'un récit de rêve natur
aliste.
Analyse narrative - scénario.
Le cauchemar de Des Esseintes, même s'il fait intervenir, à la fin,
des détails explicitement empruntés à l'activité diurne, est rédigé de
façon à ressembler à un véritable rêve nocturne. Affranchi de toute
fonctions prédictique ou symbolique dans l'économie générale du
roman, ce cauchemar littéraire imite soigneusement les caractéristiques
du langage onirique : mélange d'indications réalistes et de traits irréa
listes, succession brusque d'événements insolites, apparition de per
sonnages énigmatiques, distribution d'un même rôle à plusieurs actants,
temporalité contractée et décor à métamorphoses. L'unité du récit
semble assurée par une tonalité d'angoisse croissante qui culmine dans
la scène finale. L'effet émotionnel produit à la lecture brouille la per
ception des articulations du récit. Pourtant celui-ci apparaît, à l'ana
lyse, assez rigoureusement composé selon un scénario d'une dizaine
de séquences dont voici les incipit 5 :
« II se trouvait au milieu d'une allée... » I
« II scrutait encore sa mémoire... » II
« Talonné par la peur... » III
IV « A ce moment, le galop d'un cheval... »
V « Devant lui au milieu d'une vaste clairière... »
« Alors les pas d'un cheval s'arrêtèrent... » VI
« II rouvrit en frissonnant les yeux... » VII
VIII « II n'eut pas le temps de répondre... »
« Alors, il observa l'effrayante irritation des seins... » IX
« Une épouvantable angoisse lui fit sonner le cœur... » X
Ce scénario peut se résumer en deux actions dont Des Esseintes
est le sujet principal :
— Fuite - Poursuite : I à VI,
— Fascination - Répulsion : VII à X.
La séquence centrale VI a, de par son contenu également, un
statut privilégié puisqu'on y assiste à un changement de décor et à
un renversement complet des rôles : Des Esseintes de poursuivi deve
nant, malgré lui, poursuivant.
Outre Des Esseintes, le scénario met en scène quatre actants : la
femme-bouledogue, les pierrots, les Amorphophallus et la Femme-Fleur.
Cette dernière, présente dans neuf séquences, est le principal agent
moteur du cauchemar. Son action unique consiste à poursuivre et à
étreindre Des Esseintes, mais elle se dédouble, selon une procédure
de dissémination fréquente dans le rêve : « figure ambiguë, sans sexe... »
dans la première partie où Des Esseintes l'interprète comme une allé- Le cauchemar de Des Esseintes 81
gorie de la grande vérole6, elle devient dans la deuxième partie, la
femme pâle et fascinante dans laquelle, prolongeant la métaphore
diurne, il reconnaît la Fleur, symbole du Virus 7. Ce n'est qu'en X que
Des Esseintes reconnaît l'identité de ces deux personnages grâce à
leurs yeux « d'un bleu clair et froid, terribles » 8, découverte qui met
un comble à son angoisse en même temps qu'elle consolide la cohé
rence du scénario.
En V et en IX apparaissent des personnages collectifs qui avec
leur occurrence symétrique dans chaque partie du scénario et leurs
caractéristiques parallèles composent une sorte de doublet antithéti
que : ce sont les blancs pierrots et les noirs Amorphophallus. Ces deux
actants ont en effet des traits distinctifs analogues : jaillissement, pro
lifération, production d'une impression de terreur et de dégoût sur
Des Esseintes 9. Ils ont aussi un rôle commun : celui de faire obstacle
à Des soit en décourageant tout espoir de fuite, soit en faisant
écran entre lui et le ventre fascinateur. Remarquons que ces actants
collectifs, hostiles à Des Esseintes sont les seuls personnages masculins
du cauchemar.
Reste un personnage très énigmatique, celui de la femme-boule
dogue dont l'apparition aux côtés de Des Esseintes est le point de
départ du cauchemar. Elle ne joue guère de rôle que par l'énigme que
pose sa présence à Des Esseintes puis par le danger qu'elle risque de
lui faire courir, danger contre lequel Des Esseintes se prémunit en
l'étranglant (IV). Elle ne se contente pas d'être présente aux côtés
de Des Esseintes, elle s'installe en lui, au cœur de sa vie 10. L'effroi
la fait se coller à lui au point qu'ils ne forment plus qu'un seul et
même être. En elle, semblent s'objectiver sur le mode féminin, les
angoisses personnelles de Des Esseintes. Sa nature féminine est d'ail
leurs démentie par certaines pièces plutôt masculines de son accou
trement n et par la métaphore du bouledogue 12, métaphore canine
reprise un peu plus loin dans le texte (VI), mais, cette fois,

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