Le « dangereux supplément » : lecture d un aveu de Rousseau - article ; n°4 ; vol.29, pg 1009-1022
15 pages
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1974 - Volume 29 - Numéro 4 - Pages 1009-1022
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1974
Nombre de lectures 71
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Philippe Lejeune
Le « dangereux supplément » : lecture d'un aveu de Rousseau
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 29e année, N. 4, 1974. pp. 1009-1022.
Citer ce document / Cite this document :
Lejeune Philippe. Le « dangereux supplément » : lecture d'un aveu de Rousseau. In: Annales. Économies, Sociétés,
Civilisations. 29e année, N. 4, 1974. pp. 1009-1022.
doi : 10.3406/ahess.1974.293532
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1974_num_29_4_293532Le dangereux supplément
Lecture ïun aveu de Rousseau
es aveux de Rousseau
Les aveux de sur la pratique de la masturbation frappent par
leur discrétion Jacques Derrida analysé ce que ce dangereux supplément
représente pour Rousseau dans la chaîne des actes ou des choses qui suppléent
une absence originaire un manque inscrit dans la nature Mais il pu
le faire en rassemblant un petit nombre de textes épars et souvent très
brefs et rapprochant ensuite emploi qui est fait du mot supplément
des autres emplois de ce mot dans uvre de Rousseau lui-même supplée
ainsi un manque évident dans oeuvre autobiographique Dans les Confessions
Rousseau garde une attitude allusive et fuyante qui semble en contradiction
la fois avec le courage presque la provocation mise en uvre dans les autres
aveux sexuels mais aussi avec importance dramatique que lui-même accorde
cette funeste habitude dans les textes non autobiographiques En efret le pré
cepteur de Emile le romancier de la Julie pas hésité lancer de specta
culaires avertissements On voit au livre IV de Emile une solennelle mise
en garde le précepteur préférerait mille fois Emile abandonne la
débauche plutôt au plaisir solitaire qui anéantit la volonté Julie la
tendre Julie hésitera pas mettre Saint-Preux en garde contre les séduc
tions et les dangers de la masturbation Mais dès il agit de parler en son
Dans une précédente étude La punition des enfants Littérature 1973 no io)
ai analysé les aveux de Rousseau touchant sa perversion masochiste Pour le texte des
Confessions les références sont celles de édition des uvres complètes dans la Bibliothèque
de la Pléiade 1959)
Jacques DERRIDA De la grammatoîogie ditions de Minuit 1967 pp 203-234
uvres complètes Bibliothèque de la Pléiade IV pp 662-663
Ibid. II pp 236-237 La Nouvelle Héloïse Seconde partie lettre XV Cf aussi
la note de Bernard Guyon sur ce passage pp 1481-1482 et portant non sur le point
particulier de la masturbation mais sur le problème plus général de la chasteté la lettre VI
de la Sixième partie pp 664 ss
1009 ET SEXUALIT HISTOIRE
propre nom non plus dans le rôle de éducateur répressif mais dans le rôle du
coupable réprimé Rousseau change de tactique arrange pour avouer sans
véritablement avouer pour être insaisissable aucun moment le lecteur des
Confessions en face de lui un qui avoue clairement il est tou
jours masturbé et il se masturbe encore Tout se passe comme si onanisme
était une chose dont on pouvait parler mais qui ne pouvait pas parler elle-
même aveu est toujours de biais On tourne autour un silence Quand il en
parlera le narrateur arrangera pour que le vice en question soit un souvenir
une hypothèse un risque tout sauf une réalité Il en parlera toujours
sévèrement honteusement en pédagogue qui échoué dans sa propre éduca
tion jamais bien sûr en masturbateur qui assume son vice comme était le
cas pour enfant-fesse
Pourquoi cette différence La perversion masochiste de enfant fessé avait
aux yeux de Rousseau le mérite être exceptionnelle originale défaut
être glorieuse elle était unique elle répondait la revendication du
préambule Si je ne vaux pas mieux au moins je suis autre Tandis que
la masturbation est un vice trivial largement répandu dont aveu vous fait
rentrer dans le troupeau commun dans la fange vulgaire sans compensation
aucune sorte Mais aussi la fessée voluptueuse est un événement datant
de enfance dont personne est finalement responsable et qui déterminé
les voies dans lesquelles est développée affectivité de Rousseau Si on met
part les tête-à-tête assez vifs avec Mlle Goton et exhibitionnisme Turin
elle est origine aucune pratique concrète mais plutôt une absence
de pratique La masturbation au contraire apparaît comme habitude
concrète elle englobe une suite actes répétés un nombre considérable de
fois tout au long de la vie adulte en reconnaît responsable et il acceptait
être sincère le récit de ces pratiques devrait apparaître chaque page du
livre Or il en est rien
dire vrai il est parlé longuement du dangereux supplément une
seule fois dans les Confessions au livre III pp 108-109 Dans la suite du texte
ne figurent que quatre allusions indirectes ou très brèves
Au livre III la découverte de la masturbation est pas racontée sa place
dans ordre du récit est en Italie que Jean-Jacques découvert le plaisir
solitaire nous dit-il Or il en est pas question dans le récit du séjour Turin
On voit Rousseau horrifié de exhibitionnisme obscène du bandit maure mais
on ne le voit pas tirer parti de cette découverte la nature aidant est pourtant
ce qui dut arriver La chose est racontée que rétrospectivement après le
retour Annecy un moment où elle peut intégrer dans le récit et finalement
dissoudre Loin être isolé mis en relief comme épisode de la fessée celui-
ci est intégré dans un vaste développement sur les relations de Jean-Jacques
et de Maman Jacques Derrida analysé partir de ce paragraphe la logique
paradoxale du supplément je vais reprendre ce même texte un autre
point de vue pour mettre en lumière la stratégie de aveu En effet pris dans
son ensemble ce paragraphe apparaîtra subtilement incohérent logiquement
vicieux en un mot sophistique Loin avouer la pratique réelle un vice très
commun Rousseau met en scène aspect extraordinaire un vice dont la
funeste pratique après avoir été nommée est progressivement escamotée
Jacques DERRIDA op cit. 220
1010 PH LEJEUNE ROUSSEAU ET ONANISME
Le paragraphe sur la masturbation se présente comme une sorte de preuve
appui ou explication venant éclairer affirmation de la fin du paragraphe
précédent
En un mot de moi amant le plus passionné il avait une différence
unique mais essentielle et qui rend mon état presque inconcevable la raison
Cette différence unique est nous le devinons absence de tout désir
sexuel en face de Maman La masturbation est avouée appui une
déclaration de chasteté et de calme Cette pureté rejaillit sur elle et efface
finalement... de même que extraordinaire va aussitôt envelopper une aura
isolante La découverte très triviale de la masturbation apparaît dès le départ
comme une sorte de prodige le prodige étant il ne soit pas allé plus loin dans
usage de son sexe est non seulement un moindre mal mais presque un
miracle de chasteté Cette mise en scène de extraordinaire repose sur une
distinction subtile entre virginité est-à-dire absence de toute activité sexuelle
et pucelage absence de tout coït
étais revenu Italie non tout fait comme étais allé mais comme
peut-être jamais mon âge on en est revenu en avais rapporté non ma virgi
nité mais mon pucelage
accent est mis abord non sur ce qui est perdu mais sur ce qui est pré
servé et sur le caractère unique de ce sauvetage comme peut-être jamais
mon âge Une fois situé dans exceptionnel le trivial peut être raconté
encore le récit souligne-t-il chaque fois le caractère involontaire de la
découverte les alarmes qui mettent en lumière innocence est en suivant
sans jugement la pente de la nature faute un précepteur qui avertisse
comme dans Emile que Jean-Jacques sombré dans le vice
avais senti le progrès des ans mon tempérament inquiet était enfin déclaré
et sa première éruption très involontaire avait donné sur ma santé des alarmes
qui peignent mieux que toute autre chose innocence dans laquelle avais vécu
alors
Mais de involontaire Jean-Jacques est vite passé non au volontaire mais
une sorte abdication de la volonté Bientôt rassuré appris ce dangereux
supplément qui ...
Le récit cède la place une description théorique et générale du vice dans
laquelle Rousseau résume ses thèses de Emile
... ce dangereux supplément qui trompe la nature et sauve aux je

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