Le diable de Gogol´ est-il romantique ? (suite) - article ; n°1 ; vol.50, pg 73-85
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Description

Revue des études slaves - Année 1977 - Volume 50 - Numéro 1 - Pages 73-85
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 21
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Jacqueline de Proyart
Le diable de Gogol´ est-il romantique ? (suite)
In: Revue des études slaves, Tome 50, fascicule 1, 1977. pp. 73-85.
Citer ce document / Cite this document :
Proyart Jacqueline de. Le diable de Gogol´ est-il romantique ? (suite). In: Revue des études slaves, Tome 50, fascicule 1, 1977.
pp. 73-85.
doi : 10.3406/slave.1977.2044
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1977_num_50_1_2044LE DIABLE DE GOGOĽ EST-IL ROMANTIQUE ?
(suite)
PAR
JACQUELINE DE PROYART
Abandonnant rapidement la poésie pour la prose, Gogoľ se tourne vers une
source d'inspiration plus familière : la tradition orale de sa terre natale.
On peut considérer, en un sens, que la re-création littéraire de certains contes et
légendes d'Ukraine entreprise par Gogoľ au début de sa carrière est, à l'origine, une
vaste tentative 1) d'identification et d'évacuation du merveilleux (divo ou čudo) et
2) de repérage et de démythification et de la présence du diabolique
qui s'y cache.
La caractérisation du diabolique cherchera à prendre ses distances à l'égard de
l'archétype populaire en se voulant de moins en moins mythique et primitive et de
plus en plus pratique et adéquate à la réalité contemporaine. Cette double tentative
n'aboutira jamais totalement. Dans l'œuvre ultérieure, le divo ne sera pas vraiment
évacué, mais transformé1 . Quant au čort « vantard gonflé de son importance »
alors qu'il n'est qu'« une bulle », « vêtu de l'habit vert des fonctionnaires »2 ou du
«frac» des civils», jamais «d'un magnifique costume à la Byron »3 il n'en
montrera pas moins jusqu'à la fin, le bout des cornes et la queue du čort populaire4 .
1 . Ce phénomène de transformation est particulièrement frappant quand on lit La Perspect
ive Nevskij, juste après La Nuit de Noël. En règle générale, le lecteur de Gogoľ devra prêter
une attention spéciale à la charge sémique de tous les divo, čudo et leurs dérivés qui peuvent se
rencontrer dans son œuvre.
2. Dans la première lettre qu'il écrit à Žukovskij le 10 septembre 1831, Gogoľ se plaint du
cordon sanitaire qui protège Saint-Pétersbourg d'une épidémie de choléra et l'empêche de voir
librement Puškin. De façon humoristique, il rend le Diable responsable de ce malheur :«3наете-
ЛИ что я узнал на-днях только ? Что э... Но вы не поверите мне и назовете меня суевером.
Что всему этому виною не кто другой, как враг честного креста и церквей господних и
всего ограденного святым знамением... Это чорт надел на себя зеленый мундир с гербо
выми пуговицами, привесил к боку остроконечную шпагу и стал карантинным надзира
телем. Но Пушкин, как ангел святой, не побоялся сего рогатого чиновника, как дух про
несся его мимо и во мигновение ока очутился в Петербурге на Вознесенском проспекте
и воззвал голосом трубным ко мне, лепившемуся по низменному тротуару под высоки
ми домами. Это была радостная минута ». (X р. 207, G p. 270).
3. Lettre à Aksakov du 16 mai 1844. Voir note 1, p. 74.
4. En réponse à une lettre ď A. O. Smirnova qui se plaignait des médisances répandues sur
son compte, Gogoľ écrit le 6 décembre 1849 : « Их распугает чорт, а не люди, за тем, чтобы
смутить и низвести с того высокого спокойствия, которое нам необходимо для жития
жизнью высшей, стало быть, той, какой следует жить человеку. Эта длиннохвостая бе
стия как только приметит, что человек стал осторожен и неподатлив на большие соблаз
ны, тотчас спрячет свое рыло и начинает заезжать с мелочей, очень хорошо зная, что и
N. В. Les références des lettres de Gogoľ renvoient à l'édition des Oeuvres complètes de Go
goľ en quatorze volumes de 1940-1952 (numérotation en chiffres romains).
Sauf mention particulière, les œuvres littéraires sont citées d'après l'édition des œuvres en six
volumes (Moscou, « Gosizdat », « Xudlit », 1953) ; numérotation en chiffres arabes.
Revue des études slaves, Paris, L/l, 1977, pp. 73-85. J. DE PROYART 74
La seule différence est qu'à partir de 1844, la nom du čort n'est plus tabou. Gogoľ
n'a plus peur d'appeler le Diable par son nom1 et avec le recul du temps, nous pou
vons voir en cet écrivain, l'un des créateurs de l'archétype du mythe moderne de la
criminalité en col blanc. Le nom du Diable peut rester « Légion » sous sa plume :
mais čort, demon ou d'javol ne désignent plus depuis longtemps qu'une seule et
même réalité spirituelle, celle du Mal, et c'est bien toujours de Satan qu'il s'agit.
Il convient de noter dans cette perspective, que Gogoľ ne s'est jamais intéressé
qu'à une minorité de récits et de farces populaires où apparaît le Diable, alors qu'il
en est tant d'autres où il n'intervient d'aucune façon. Est-ce par goût romantique2
ou s'agit-il d'autre chose ? Fascination ? Obsession ? Violence du désir à sublimer ?
De quoi Gogoľ cherche-t-il au juste à se libérer « en écrivant pour se distraire » ?3
Quoi qu'il en soit, en cette année 1829, je verrais volontiers l'activité littéraire de
Gogoľ s'organiser autour de deux pôles d'attraction, l'un tragique, l'autre comique,
selon qu'il éprouve le besoin de se distraire en se faisant peur (besoin qu'il n'avoue
pas) ou se faisant rire (besoin qu'il avoue). Pour se faire peur et conjurer par là-
même sa propre peur, il écrit La Dépêche perdue et Le Lieu ensorcelé (nouvelles co
miques sous bien des rapports), puis la terrifiante Nuit de la Saint-Jean. Pour se
faire rire, il écrit dans un premier temps La Nuit de Mai ou La Noyée (d'où tout tra
gique n'est cependant pas absent) et un peu plus tard, La Foire de Soročincy.
Si l'on procède à l'analyse de ces nouvelles, avec le désir d'en retracer la genèse
et l'espoir d'y déceler quelque indice sur l'évolution de leur auteur, en prenant
бесстрашный лев наконец должен взреветь, когда нападут на него бессильные комары
со всех сторон и кучею » (XIV, 154).
Dans une lettre du 10 juillet 1850, également à A. O. Smirnova, nous pouvons lire: «A на
счет чортика и всяких лезущих в голову посторонних гостей скажу вам просто : плюньт
е на них. Скажите : мне некогда... Некогда, некогда, Сатана, убирайсь себе в свою пре-
исподобнюю ! Он, скотина, убежит, убежит, поджавши хвост ». (XIV, р. 194).
Dans l'œuvre, la présence de la queue diabolique permet d'identifier un actant hypotaxique
du Diable. La première à être ainsi marquée de ce signe distinctif est Xavron'ja Nikiforovna
dans La Foire de Soročincy. Il s'agit dans son cas, d'un signe extérieur rapporté, mais révélateur
de ses goûts. (Voir plus bas, p. 81.)
Dans La Brouille des deux Ivan, la présence de la queue est mise en doute. Gogoľ ironise. Le
signe semble dévalorisé. « C'est une invention absurde, ignoble, inconvenante pour le lecteur éc
lairé » (2, p. 196) et donc peu crédible. Il n'empêche que l'évocation même de se signe devenu
congénital, laisse planer le doute sur la véritable nature (diabolique ou non) d'Ivan Nikiforovič.
En réalité il n'y a pas dévalorisation du signe, mais incertitude sur le sens. Cette incertitude est
aggravée par le caractère velléitaire, voire dénégatoire des préoccupations matrimoniales expri
mées par le contexte. Elle peut être tenue pour révélatrice des hésitations intimes de Gogoľ sur
son propre sexe.
Enfin, dans Les Ames mortes, le signe a perdu tout caractère légendaire. Il est moderne. Il
n'est plus ambigu, mais parfaitement clair. C'est le geste inconscient qui révèle subtilement la
nature morale d'un individu. Au bal du Gouverneur, Čičikovtire sa révérence aux dames « en
décrivant du pied une sorte de queue ou de virgule » (chapitre VIII, 5, p. 171).
Enfant, il ajoutait des queues à ses lettres quand son travail l'ennuyait (5, p. 234).
1. Dans la lettre déjà citée du 16 mai 1844, Gogoľ après avoir dit qu'il n'a jamais changé
intérieurement depuis l'âge de de uze ans, donne cependant à Aksakov les précisions suivantes:
« И теперь я могу сказать, что в существе своем все тот же, хотя, может быть, избавился
только от многого мешавшего мне на моем пути и стало быть, чрез то сделался несколь
ко умней, вижу ясней многие вещи и называю их прямо по имени, т. є. чорта называю
прямо чортом, не даю ему вовсе великолепного костюма &

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