Le geste et l idéologie dans le «grand opéra». «La Juive» de Fromental Halévy - article ; n°102 ; vol.28, pg 63-79
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Le geste et l'idéologie dans le «grand opéra». «La Juive» de Fromental Halévy - article ; n°102 ; vol.28, pg 63-79

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Description

Romantisme - Année 1998 - Volume 28 - Numéro 102 - Pages 63-79
Une des plus grandes réalisations lyriques du romantisme français, La Juive, de Fromental Halévy (1835), apparaît de nos jours totalement injouable, pour des raisons moins musicales et théâtrales que proprement idéologiques. Le contexte historique de consolidation du pouvoir libéral explique en partie la représentation violente qui est donnée dans cette œuvre des conflits sociaux et religieux.
One of the greatest lyrical realizations of french romanticism, La Juive by Fromental Halevy (1835) seems nowadays totally impossible to perform, for less musical and theatrical than ideological reasons. The historical context of consolidation of the liberal power explains partly the violent image of social and religious conflicts in this opera.
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 30
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mme Isabelle Moindrot
Le geste et l'idéologie dans le «grand opéra». «La Juive» de
Fromental Halévy
In: Romantisme, 1998, n°102. pp. 63-79.
Résumé
Une des plus grandes réalisations lyriques du romantisme français, La Juive, de Fromental Halévy (1835), apparaît de nos jours
totalement injouable, pour des raisons moins musicales et théâtrales que proprement idéologiques. Le contexte historique de
consolidation du pouvoir libéral explique en partie la représentation violente qui est donnée dans cette œuvre des conflits sociaux
et religieux.
Abstract
One of the greatest lyrical realizations of french romanticism, La Juive by Fromental Halevy (1835) seems nowadays totally
impossible to perform, for less musical and theatrical than ideological reasons. The historical context of consolidation of the
liberal power explains partly the violent image of social and religious conflicts in this opera.
Citer ce document / Cite this document :
Moindrot Isabelle. Le geste et l'idéologie dans le «grand opéra». «La Juive» de Fromental Halévy. In: Romantisme, 1998,
n°102. pp. 63-79.
doi : 10.3406/roman.1998.3344
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1998_num_28_102_3344Isabelle MOINDROT
Le geste et l'idéologie dans le «grand opéra»
«La Juive» de Fromental Halévy
Créée en 1835 à l'Opéra, La Juive a conduit à son apothéose le genre encore tout
récent du Grand Opéra. Or cette forme dramatique, aujourd'hui négligée, a partie liée
avec une certaine image de la représentation d'opéra, de la fonction sociale du
«geste» opératique. «Grand», l'opéra l'est en ce sens qu'il traite des sujets nobles,
héroïques, voire «grandioses», mais aussi parce que la durée de la représentation et
les moyens mis en œuvre en font un spectacle conséquent, éclatant, «spectaculaire».
De façon symbolique, la naissance du Grand Opéra a été consacrée par deux ouvrages
où le geste apparaît fondateur, dans la structure même de l'œuvre comme dans la
fable présentée : La Muette de Portici d'Auber (1828), et La Juive de Fromental Halév
y, beau-père de Bizet et oncle du petit Ludovic qui devait collaborer avec un certain
Meilhac et former avec lui l'un des duos les plus désopilants du Second Empire,
comme librettistes d' Offenbach. On a longtemps oublié que le Grand Opéra, que
l'histoire associe aux pompes musicales de Meyerbeer, souvent synonymes d'ennui et
de longueur, descend de l'ancienne «tragédie lyrique» française, dans laquelle une
place de choix était accordée au geste scénique, à la mise en scène du corps, et en
particulier du corps dansé. À l'inverse de l'opéra italien — pour résumer — l'opéra
français n'a jamais concédé à la seule vocalité l'expressivité dramatique et scénique.
L'école française se distingue en effet par une recherche aiguë de l'adéquation entre
la déclamation et le jeu, entre la musique et la scène. Ainsi lorsque Wagner écrit que
«ce qui caractérise essentiellement l'inspiration d'Halévy, c'est avant tout le pathé
tique de la plus haute tragédie lyrique» (utilisant ainsi une expression spécifiquement
réservée à l'opéra français), ce n'est pas seulement à ses compétences «techniques»
de compositeur qu'il fait allusion, mais à sa faculté de tirer parti des situations et des
gestes, c'est-à-dire des talents de comédiens de ses interprètes.
Pour la création de La Juive, on eut recours aux meilleurs chanteurs du moment.
Le ténor Adolphe Nourrit, qui créa le rôle du vieux juif Eléazar alors qu'il n'était âgé
que de trente-trois ans, avait été formé à l'école de Manuel Garcia, père de la Mali-
bran. Talma, paraît-il, l'aurait jugé digne d'entrer à la Comédie-Française. Quant au
Cardinal Brogni, il fut interprété par Nicolas Levasseur (basse), qui était passé, lui,
dans la classe de déclamation animée au conservatoire par Baptiste aîné de la Coméd
ie-Française. Enfin, Cornélie Falcon, qui prêta ses talents de comédienne et sa gran
de jeunesse (vingt et un ans) au rôle de Rachel, tous sont unanimes pour louer sa
prestation scénique. L'enthousiasme d'un chroniqueur de l'époque est d'ailleurs si
délirant que, dans son désir de la célébrer, et trouvant sans doute l'éloge plus efficace
au masculin, il en vient à écrire qu'elle s'est montrée «parfaite cantatrice, et surtout
grand comédien», signalant par là a «renoncé à ce que les femmes n'abandonn
ent jamais volontairement, la grâce et la beauté» (Le Temps, 26 février 1835).
Autant dire que ces interprètes étaient des acteurs autant que des chanteurs. Le grand
nombre d'indications scéniques et la précision des didascalies dans La Juive en apport
ent d'ailleurs un éloquent témoignage. Le Grand Opéra, comme l'ensemble du milieu
ROMANTISME n° 102 (1998-4) 64 Isabelle Moindrot
dramatique de ces années-là, subit des influences diverses. D'une part celle des coméd
iens anglais, qui jouent à Paris en 1827, et qui éblouissent par leur jeu plus virtuose,
plus physique et surtout plus extraverti que celui des acteurs français (on admire en
particulier la composition de Kean dans Richard III). D'autre part, celle des acteurs
venus du boulevard (Frederick Lemaître, ou encore Marie Dorval) dont l'expressivité
s'inspire de la pantomime, qui atteint alors un extraordinaire degré de perfection avec
le mime Deburau. L'opéra, de surcroît, est proche du ballet, par tradition mais aussi
de manière consubstantielle, puisqu'un opéra français ne se conçoit pas sans au moins
quelques petits morceaux dansés. Le terme exact pour définir l'institution est
d'ailleurs Académie Royale de Musique et de Danse. Il est donc tout naturel qu'elle
ait tenté de renouveler l'interprétation tragique non pas seulement à travers de nou
velles formes musicales (par exemple des duos et ensembles) mais au moyen de la
gestuelle. Et parce qu'il constituait une vitrine pour le pouvoir, l'opéra s'est fait aussi,
dans tous les sens du terme, terrain d'expérimentation du geste scénique.
Dans ce domaine, Halévy n'est pas en reste. La Juive constitue sa première com
mande importante, son premier opéra en cinq actes. Le sujet, qui met en scène la per
sécution subie par deux juifs, le touchait de près. Il s'est donc jeté de toutes ses forces
dans l'entreprise. Et le succès fut colossal. Aujourd'hui, personne n'ose vraiment se
pencher sur le cas de cette «misérable Juive», comme écrivait Berlioz, tant le sujet
est brûlant et met souvent mal à l'aise. Pourtant, plus qu'un autre opéra, dont la fable
serait plus neutre, La Juive permet de dégager les contradictions mettant en cause
l'ensemble du Grand Opéra. Cette forme dramatique, née aux alentours de la révolu
tion de Juillet, est en effet tiraillée entre des vocations contradictoires. Elle porte les
aspirations libérales du nouveau pouvoir, mais elle est entravée en même temps par sa
fonction politique d' autocélébration conservatrice. Dans ses grandes lignes, la dramat
urgie du Grand Opéra engage l'esprit critique du spectateur et laisse en suspens les
conclusions politiques et morales, d'une façon, si l'on ose dire prébrechtienne. C'est
ainsi que dans La Juive, ni les juifs ni les chrétiens ne sont épargnés. Mais d'autre
part elle déploie des fastes scéniques qui font pencher la balance dans l'autre sens,
celui de l'éblouissement et de l'adhésion à une représentation politique précise. Et
l'opéra d'Halévy n'échappe pas à cette exaltation du pouvoir.
Voilà notamment pourquoi La Juive, œuvre absolument splendide, paraît de nos
jours injouable. Provocante, elle n'est certainement pas «politiquement correcte».
Injouable l. Impossible à représenter. Un comble pour une œuvre dont la création fit
l'objet d'une des plus incroyables mises en scène du XIXe siècle! Injouable à cause
de son exubérance, de la violence des situations dramatiques, de l'impact visuel des
gestes qu'elles engendrent.

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