Le goût de la cour - article ; n°1 ; vol.9, pg 172-182
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1957 - Volume 9 - Numéro 1 - Pages 172-182
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1957
Nombre de lectures 27
Langue Français

Extrait

Professeur W. G Moore
Le goût de la cour
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1957, N°9. pp. 172-182.
Citer ce document / Cite this document :
Moore W. G. Le goût de la cour. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1957, N°9. pp. 172-182.
doi : 10.3406/caief.1957.2106
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1957_num_9_1_2106LE GOUT DE LA COUR
Communication de W.G. MOORE
{Oxford)
au VIII6 Congrès de l'Association, le 4 septembre 1956
Je voudrais soulever devant vous une question dont j'entrevois
l'importance, mais pas du tout la solution, à savoir : quel a été
au juste le goût, ou les goûts, de la cour de Louis XIV ? question
globale, renfermant bien des nuances, exigeant bien des précisions.
De quelle époque parlera-t-on ? la cour de Saint Simon n'est pas
la cour du jeune roi. A qui pense-t-on ? aux marquis écervelés,
aux gens de robe officiers de la maison du roi, à Monsieur, à
Mme de Sévigné ?
Il est évident d'abord que la cour a beaucoup fait pour la
vie de théâtre en France à une époque où les moyens de la nou
velle bourgeoisie ont permis un véritable épanouissement des
théâtres de Paris... Il est évident que les artistes du théâtre n'au
raient pas fait ce qu'ils ont fait sans l'appui du roi et de la cour.
Rappelons-nous que la cour a disposé de moyens artistiques plus
efficaces que ceux de la ville. Je n'en citerai que trois. L'argent
d'abord. Aux fêtes de la cour on a pu dépenser bien plus d'argent
qu'à n'importe quel théâtre. On n'a qu'à voir les représentations
de Psyché en 1671, d'abord devant le roi aux Tuileries, et six
mois après au théâtre du Palais Royal. Mesnard fait observer que
la troupe de Molière n'avait rien épargné pour se rapprocher autant
qu'il était permis « de ces splendeurs que Гог du roi pouvait
seul payer ». En second lieu, la cour était à même d'imposer par
la seule présence du roi, une discipline que la ville n'a jamais
atteinte : je veux dire un spectacle ordonné, bienséant, élégant,
sans parterre bruyant, la scène n'étant pas encombrée de specta
teurs, sans cohue à l'entrée, sans bagarre à la fin. La salle neuve W.-G. MOORE 173
des Tuileries fut appelée le théâtre le plus magnifique de l'Eu
rope, chaque spectateur pouvait voir et entendre très commodément
et sans aucun embarras. (Germain Brice, 1684, cité TP, 377).
N'exagérons pas toutefois : même à la cour l'encombrement était
tel qu'on n'était pas sûr de sa place. A Versailles, en 1668, selon
Huyghens, « il y avoit une si grande foule de gens qu'à la comédie
le Roy mesme eut de la peine à faire placer les dames et il fallut
faire sortir pour cela quantité d'hommes malgré qu'ils en eussent ».
Plus important encore peut-être que l'argent et la discipline
dont la cour disposait a dû être le fait qu'on travaillait pour un
maître et non pas au gré d'une troupe plus ou moins attachée à
un directeur qui n'était que comédien. C'était le roi qui command
ait le spectacle, et qui entendait qu'on l'obéît, et sur le champ.
Pour ce maître on faisait l'impossible : dans un délai de quelques
jours parfois, les machines et les décors se rassemblaient, les vers
et les scènes se trouvaient écrits, les rôles s'apprenaient. Molière
lui-même s'en est plaint. « Le Roi ne veut que des choses extra
ordinaires dans tout ce qu'il entreprend », disait-il à deux reprises
après 1670 (G.E., VII, VIII).
La marque de ces divertissements de cour c'est donc le luxe,
l'élégance, mis au service de tout ce qu' « il y a de plus poli,
de plus galant comme on disait. Les vers de Benserade, selon
Costar, avaient un air si galant qu'ils l'emportent au-dessus de
tous les autres au jugement de la Cour ».
Nous voilà ramenés à notre problème, qu'est-ce que c'est que
ce jugement-là ? Que veut-on dire par le galant ? C'est Taine, je
crois, qui le premier a posé la question : « Ce beau courtisan doré
qui tourne anxieusement autour des carpes de Marly, savez-vous
quelles idées se remuent dans sa tête ?... un mot du roi... une sail
lie ingénieuse». Ce courtisan, Taine le retrouve jusque dans les
tragédies de Racine : « Quand Hippolyte parle des forêts où il vit,
entendez les grandes allées de Versailles. Et savez-vous ce qu'il
faisait dans les forêts dont il parle si souvent et si bien ? Des
madrigaux» (N. Essais, 114, 127).
Qu'est-ce en effet que le galant ? Est-ce le goût des madri
gaux, le goût du mièvre, du précieux ? autre chose que le
goût de la ville ? M. Erich Auerbach a étudié cette question : il 174 VCr.-a MOORE
en a conclu que l'usage courant du xvn* siècle accouplant les
deux termes en parlant de « la cour et la ville », dans la bouche
d'Alceste par exemple ou de Boïleau, est en lui-même une indi
cation de l'identité de goût, au moins des grands bourgeois et
de la noblesse. Ce serait aussi l'avis de Baillet écrivant en 1685
au sujet de Racine : « Britannicus est maintenant de toutes ses
pièces celle que la cour et le public revoient le plus volontiers ».
Quarante ans plus tôt, Vaugelas ne parlait guère autrement :
« Quand je dis la Cour, j'y comprens les femmes comme les
hommes, et plusieurs personnes de la ville où le Prince réside,
qui par la communication qu'elles ont avec les gens de la Cour
participent à sa politesse». Il paraît évident que le public ou la
ville comprend bien moins que la ville, exclut le peuple et même
le parterre. On a en vue les gens aisés, gens de robe ou mar
chands, ceux dont Boursault disait que « tout ce que la rue Saint-
Denis a de marchands se rendent régulièrement à l'Hôtel de Bour
gogne », en un mot les honnêtes gens. Honnêteté et politesse se
confondent dans les écrits du temps. Doit-on conclure que le
goût de la ville ne différait pas sensiblement de celui de la cour ?
M. Auerbach a en effet tiré cette conclusion. Pour moi, je doute
que les faits recueillis par Mélèse lui donnent raison. Je signale
d'abord quelques indices d'une réaction consciente de l'un contre
l'opinion de l'autre. Selon Grimarest, témoin qui n'est guère digne
de foi, bien des gens se sont récriés contre Sganarelle (dans le
Mariage forcé) « qui avait pourtant fait rire l'homme de cour ».
Ensuite Pierre Perrault, au sujet de l'opéra (ou tragédie lyrique)
de Quinault en 1674 :
« Croiriez-vous que l'approbation que cette pièce a receue à
la Cour quand elle y a esté répétée est cause en party du décry
où elle est dans la Ville, et où Га mise la Cabale pour se
venger du chagrin qu'elle en a eu ».
Vingt ans plus tard, la Judith de Boyer a eu, selon Dangeau,
beaucoup d'appels à Paris et moins à la cour. Rapportant le fait,
Tralage ajoute :
« Depuis quelque temps on s'est mis en tête à la Cour de
trouver mauvais ce que l'on avait approuvé au théâtre à
Paris ». W.-G. MOORE 175
Deux ans plus tard, et c'est Tralage encore :
« En I696 la petite comédie de La Foire de Bezons qui a
valu 20.000 francs aux comédiens françois a esté rebutée à
Fontainebleau devant la Cour, et l'on a dit hautement qu'on
s'étonnoit comment elle n'avoit point encore esté sifflée dans
le commencement. Les gens de Cour, et surtout les dames,
affectent de mépriser ce que les Bourgeois ont estimé ».
En deuxième lieu, il faut se garder de croire que la cour et
la ville ont vu les pièces montées de la même façon, ni en bien
des cas les mêmes pièces. L'essentiel à la ville était la pièce, à
la cour c'était la musique ou le décor, l'ensemble d'un spectacle
qui se composait de maint attrait accessoire. Ecoutons la Gazette
à l'occasion de la création de Monsieur de Pourceau gnac à Cham-
bord en septembre 1669 :
« Leurs Majestés continuent de prendre ici le divertissement
de la chasse; et hier Elles eurent celui d'une nouvelle coméd
ie, par la Troupe du Roi, entremêlée d'entrée

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