Le Mal d amour - article ; n°103 ; vol.27, pg 43-72
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Description

L'Homme - Année 1987 - Volume 27 - Numéro 103 - Pages 43-72
30 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 25
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Giordana Charuty
Le Mal d'amour
In: L'Homme, 1987, tome 27 n°103. pp. 43-72.
Citer ce document / Cite this document :
Charuty Giordana. Le Mal d'amour. In: L'Homme, 1987, tome 27 n°103. pp. 43-72.
doi : 10.3406/hom.1987.368856
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1987_num_27_103_368856GlORDANA CHARUTY
Le Mal d' amour <
Giordana Charuty, Le Mal d'amour. — Sous l'apparente diversité des conduites et des
temps de la vie où la maladie se manifeste — transgression des rapports réglés entre les
sexes, suspension des distinctions sociales, confusion des âges et des rôles — être
hystérique c'est rechercher l'affirmation de son identité sexuelle dans le déplacement
paradoxal des repères symboliques qui servent à sa construction sociale. Les
représentations coutumières de ce destin singulier tirent leur cohérence et leur
originalité de la mise en relation de trois définitions — morphologique, psychique
et sociale — de la féminité et de ses défaillances. Des rituels thérapeuthiques se sont
transmis de la Renaissance jusqu'au début de ce siècle pour restituer aux femmes
hystériques la jouissance de leur identité de femme, mais d'autres usages de
la collectivité féminine peuvent se substituer à ces cures pour apaiser le mal
d'amour.
« Quand elle voyait un garçon, tu vois, un garçon si ça lui allait bien, c'est
quelque chose ça, elle était folle. C'est malheureux ça. On appelle ça l'hystérie,
ça c'est l'hystérie. » Ce terme a surgi un jour, à notre étonnement, dans le dis
cours d'une vieille villageoise des Pyrénées audoises pour désigner une forme
particulière de folie féminine. Invitée à aller plus loin dans la description du
mal, notre interlocutrice évoque alors avec véhémence les comportements de
femmes dont la « mauvaise conduite » a scandalisé le village. Devenu attribut,
ce mot, à l'évidence, perd toute neutralité pour qualifier de manière péjorative
des manières de vivre violemment réprouvées. Les aliénistes à la fin du
xixe siècle faisaient la même expérience : lorsqu'ils formulaient le diagnostic
d'« hystérie » pour des symptômes sans lésion organique, vive était l'indigna
tion des familles qui voyaient là une offense injustifiée1. Et c'est bien le dis
crédit que les hommes entendent encore aujourd'hui porter lorsqu'ils déclarent
d'une femme qu'« elle est complètement hystérique ».
Ne pouvant définir l'hystérie, on désigne l'hystérique et puis on la raconte
en d'inépuisables récits qui restituent, à partir de faits et gestes isolés et amplif
iés, l'histoire exemplaire d'une vie de femme.
L'Homme 103, juil.-sept 1987, XXVII (3), pp. 43-72. GIORDANA CHARUTY 44
La maladie des hommes
Son mal, à ce qu'il paraît, était une manière de
brouillard qu'elle avait dans la tête, et les médec
ins n 'y pouvaient rien, ni le curé non plus [. . .]
Puis, après son mariage, ça lui a passé, dit-on.
— Mais moi, reprenait Emma, c'est après le
mariage que ça m'est venu.
Gustave Flaubert, Madame Bovary, 2e partie,
chap. 5.
Escortée de son mari récemment épousé et de jeunes gens apparentés, Alice
sort du café où elle vient de passer l'après-midi alors que la plupart des
femmes, jeunes et vieilles, jouent aux quilles sur la place de Cazelles, village
montagnard du Pays de Sault. Spectateurs et joueuses semblent l'ignorer tandis
que, silencieuse, elle observe le jeu puis s'éloigne, toujours suivie de ses
hommes, vers la sortie du village où se dresse sa maison à la lisière des champs.
Les « fadaises » d'Alice sont l'objet quotidien de commentaires inlassables,
mais alors qu'elle est aujourd'hui âgée d'une cinquantaine d'années, c'est à sa
jeunesse que l'on se reporte pour nous décrire la « maladie des hommes » qui
fait d'elle une hystérique : « Elle avait cette passion, elle avait ce vice, elle cher
chait partout. Quand elle savait un chantier quelque part, elle était déjà jeune,
les hommes qui travaillaient aux chemins, ils étaient cinq ou six, elle allait les
chercher, leur prendre la casquette, les taquiner, les chercher pour ça. » Aux
veillées familiales, elle préfère les réunions à l'école autour de la télévision
communale. Ainsi cette fille trop précoce « rôde », ses parents ne peuvent la
« tenir »2. A ses cousines, elle énumère avec complaisance lieux et partenaires
de l'amour, qui changent chaque jour. « Comme ça je me marierai, elle nous
disait, je me marierai. » Mais cette « vie de jeune fille » vécue dans la multiplic
ité de relations sexuelles qu'elle est la première à solliciter, loin de conduire à
un mariage approuvé, fait d'Alice une « fille-mère » pourvue d'enfant mais
dépourvue de mari. Mal élevé, dit-on, son fils devient au fil des années l'inno
cent du village tandis qu'Alice, négligeant aussi sa mère âgée, poursuit son
errance amoureuse : « elle, toujours rôdait, toujours rôdait ». Son mariage
avec un vacher d'une vallée voisine a fait scandale. Son beau-frère, maire du
village, refuse de célébrer la cérémonie civile. La pauvreté et la mauvaise répu
tation du mari, « un fainéant qui a fait de la prison », servent à justifier un
désaveu général : « Personne plus ne la regarde... alors cette maison va
n'importe comment. » La cuisine, dit-on, est plus sale qu'une écurie, le jardin
envahi de mauvaises herbes suscite la colère des promeneuses, on évite toute
cueillette le long du parc où s'entasse l'unique troupeau de chèvres du village et
l'on met en garde les estivants contre les dangers de ce lieu malodorant. Les
tenues vestimentaires d'Alice trahissent à la fois un goût excessif de la dépense
et une négligence extrême. C'est le mari qui fait la lessive et parfois la cuisine
puisque son épouse, « vaillante » lorsqu'elle travaille à la journée pour d'autres Le Mal d'amour 45
maisons, néglige chez elle les tâches ménagères et devient « méchante » lor
squ'on la contrarie. La ruine de cette maison malmenée pèse comme une
fatalité : « Un jour, il arrivera un malheur ! Un jour, il y aura un crime ! »
D'une tout autre tonalité apparaît la vie de Madeleine, pourtant qualifiée
elle aussi d'hystérique. Cette fille d'une maison pauvre de la montagne Noire a
fait « un beau mariage » en épousant un exploitant forestier originaire d'un vil
lage voisin. Mais, très vite, le mari qui travaille toute la journée dans les bois ne
suffit plus aux désirs d'ascension sociale de son épouse. Chaque soir, à son
retour, elle l'expédie au lit en le rabrouant : « Allez, vite, mange un bout, va te
coucher, va ! » Le jour, elle vit des amours clandestines qui, à travers leur mult
iplicité, révèlent la même attirance pour des hommes exerçant, à la ville, des
professions chargées de prestige. Car la vie villageoise ennuie Madeleine. Elle
détaille avec avidité les gravures des journaux de mode, rêvant de toilettes
dignes d'une existence au-dessus des autres : « Elle était toujours en tailleur
Chanel, couverte de bijoux, les ongles faits, maquillée n'en parlons pas, au
coiffeur toutes les semaines, c'était choquant. » L'arrivée du nouveau docteur
apporte enfin l'extraordinaire tant attendu. Devenue sa maîtresse, il la charge
d'établir la liste des malades à visiter au village et dans les métairies voisines.
Avec l'amour, la passion de la lecture gagne Madeleine : « C'était lui qui l'ini
tiait, si vous voulez, à la littérature. Parce qu'elle, elle n'avait pas du tout de
culture. »
Mais c'est d'abord une pathologie féminine, « des champignons mal
placés », que cette amoureuse soumet au regard médical dont elle sollicite
inlassablement l'attention, obligeant le médecin à demander l'aide de voisines
compréhensives, lorsqu'elle « se monte la tête sur ses espèces de mycoses ». Et
devant la porte close de Madeleine qui, deux

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