Le mystère de la peinture - article ; n°1 ; vol.15, pg 300-315
17 pages
Français

Le mystère de la peinture - article ; n°1 ; vol.15, pg 300-315

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
17 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

L'année psychologique - Année 1908 - Volume 15 - Numéro 1 - Pages 300-315
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1908
Nombre de lectures 27
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Alfred Binet
Le mystère de la peinture
In: L'année psychologique. 1908 vol. 15. pp. 300-315.
Citer ce document / Cite this document :
Binet Alfred. Le mystère de la peinture. In: L'année psychologique. 1908 vol. 15. pp. 300-315.
doi : 10.3406/psy.1908.3759
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1908_num_15_1_3759VI
LE MYSTÈRE DE LA PEINTURE
I
Mettons à part les peintres, du moins ceux chez lesquels on
trouve non seulement du talent, mais encore une conscience
claire des procédés dont ils se servent; mettons à part la bande
des fins renards qui est composée de collectionneurs et d'experts ;
et aussi les rares critiques d'art qui ne sont pas des littérateurs
déguisés. Après ces éliminations, on peut se demander si à
Paris, où les expositions de peinture sont si nombreuses
et attirent tant de foule, et une foule payante, il existe seul
ement deux cents personnes qui sachent distinguer un bon
tableau d'une croûte, qui se rendent compte surtout en quoi,
pour quelle raison, une peinture est supérieure à une autre.
Je parie que si demain on mettait en vente, dans un magasin
du boulevard des Italiens, au prix de cent francs, un Rem
brandt inconnu, personne, sauf des professionnels (peintres,
experts ou critiques), n'offrirait de l'acheter.
Tout ceci est dit simplement pour souligner le contraste remar
quable, et plaisant, qui existe entre le goût pour la peinture,
qui est aujourd'hui si répandu, et l'impuissance des gens à la
comprendre. Nous parlons ici, bien entendu, de la peinture
comme expression des formes, des couleurs, des lumières, et non moyen de représenter des sujets ou des anecdotes. Il
est bien évident que toutes les personnes un peu cultivées savent
comprendre le sujet d'un tableau, goûter la ressemblance d'un
portrait, le piquant d'une scène de genre, la curiosité d'une
reconstitution historique, le drame d'un tableau de bataille;
c'est le sujet seul qui attire la foule et la retient; on peut s'en
rendre compte aux expositions en voyant l'écrasement des visi
teurs devant certaines toiles, où il se passe quelque chose. Mais
les peintres ont l'habitude d'opposer au sujet le morceau; et A. BINET. — LE MYSTÈRE DE LA PEINTÜRE 301
quoique cette dernière expression soit de sens étroit, elle suppose
bien qu'il existe un art pictural qui a sa valeur propre et com
plètement indépendante du sujet traité et pouvant même se
passer de tout sujet. Le public ne comprend rien au morceau.
Devons-nous demander aux peintres de nous expliquer le
morceau? Sans doute, nous nous ferons un devoir d'affirmer
que, malgré les divergences d'école, de modes, de temps et de
tempérament, des peintres réussissent assez bien à se mettre
d'accord sur la valeur de certaines peintures. Les Rembrandt
sont beaux d'une beauté absolue qui rayonne pour tous; et
les jugements des gens compétents, des professionnels, seront
tout aussi concordants sur des toiles de valeur moindre. Ce
n'est donc pas simple affaire de fantaisie ni de suggestion.
Certainement, il existe un critérium de la beauté picturale.
Mais nous constatons que les peintres ne réussissent pas, le
plus souvent, à nous donner une description claire, logique,
et vraiment scientifique de ce critérium. Quand ils font de la
critique d'art, il ne sont pas beaucoup moins littéraires que
des littérateurs : témoin Fromentin ; et de plus, ils sont sou
vent plus nerveux, plus absolus, plus injustes, plus sectaires,
et surtout moins compréhensifs, ce qui est leur droit de créa
teurs. Quand ils enseignent, ils ne jugent guère que sur la qual
ité de l'impression ressentie, et non les moyens à employer
pour obtenir l'effet; quant à l'impression ils ne la décrivent
que d'une manière ou très banale ou très littéraire. « Ce n'est
pas assez naïf. — C'est sec. — C'est dur. — C'est creux. — Ça
n'est pas sensible. — Cette peinture manque d'air. — Ça n'est
pas de la chair. — C'est lourd, c'est vulgaire. — Ça y est. —
Ça n'y est pas. »
Le meilleur procédé d'enseignement serait de travailler long
temps et sincèrement devant des élèves attentifs, en leur expl
iquant par un commentaire précis, la raison de tous les gestes.
Y a-t-il beaucoup de maîtres qui consentent à payer ainsi de leur
personne et à dévoiler sans réticence leurs méthodes de travail
les plus personnelles, les plus intimes, celles qu'ils ont imagi
nées, qui sont leur œuvre, la raison de leur succès? Quelques-
uns refusent même de laisser voir leurs ébauches, car une
ébauche est une confidence; et le regard curieux qu'on y jette
rait leur paraît aussi coupable que l'acte de violer le secret
d'une lettre.
Quant aux critiques d'art, nous ne pouvons pas espérer
qu'ils nous donneront les renseignements que les peintres nous ."s- ■■■
■fl-f
302 MÉMOIRES ORIGINAUX
refusent. La lecture de leurs articles et de leurs salons nous ren
seigne sur les goûts du jour ou les maîtres qui se vendent; mais
les questions hautes de technique et de philosophie n'y sont
point traitées. C'est que d'une part, beaucoup de critiques d'art
n'ont jamais touché à un pinceau, et malgré l'intelligence la
plus pénétrante il est difficile de comprendre un art dont on n'a
pas essayé soi-même les opérations ; d'autre part, ceux qui pour
raient parler le plus savamment de ces choses sont obligés de
se mettre à la portée d'un public ignorant, sous peine de n'être
pas lus, or quand on est ignorant , on ne peut comprendre
qu'une chose, la littérature. Mais ici faire de la littérature, c'est
tricher.
Essayons, pour notre part, de tricher le moins possible.
Les pages qu'on va lire sont une introduction à une étude
plus complète, et rigoureusement expérimentale, que nous
avons l'ambition de faire sur quelques maîtres contempor
ains. Il nous a semblé qu'avant de les interroger, il faut avoir
quelques idées des questions à leur poser. En écrivant notre
introduction nous nous sommes mis fréquemment au point de
vue de l'amateur, qu'un goût très vif porte vers la peinture, et
qui désire ne pas rester devant une toile sans la comprendre,
comme un chien qui écoute avec intérêt le tic tac d'une montre.
Du reste, l'éducation artistique répond actuellement à une
préoccupation générale, puisqu'on veut même la populariser.
Enfin nous avons cherché à glaner dans ce domaine tout ce qui
peut intéresser la psychologie, et nous avons essayé de nous
représenter quelle est la vision du peintre, en nous mettant par
un artifice à sa place, et en nous donnant ce plaisir si délicat
qui consiste dans les métamorphoses d'âme.
Il
Je me rappelle avoir aperçu un jour, dans le Bas-Samois, le
peintre Neuville qui travaillait à une de ses grandes toiles de
bataille; je le regardai longtemps par la porte entr'ouverte de
sa villa. Il s'était installé dans une petite cour, et il avait devant
lui une forme d'osier qui ressemblait à un cheval, sur lequel
il avait campé un mannequin habillé d'un costume militaire.
Avec ce rien de réalité, que vivifiait et amplifiait son ardente
imagination, il composait un tableau nourri de détails précis
et émouvants.
Ce souvenir va me servir pour établir les premières divisions BINET. — LE MYSTÈRE DE LA. PEINTURE 803 A.
d'une étude dans laquelle je m'engage, sans compétence
personnelle, et en utilisant les confidences amicales de quelques
peintres. Une œuvre de peinture suppose trois opérations :
II y a d'abord la vision, que l'artiste se forme des choses à
peindre; il y a ensuite, le sentiment qui inspire cette vision, qui
la corrige et qui la transforme : il y a enfin l'exécution, c'est-
à-dire la matérialisation de la vision sur la toile. La vision est
comme la clef de voûte de toute l'œuvre ; les peintres le savent
bien. C'est par la vision que se distingue un vrai peintre, un
peintre de génie. Lorsqu'un débutant ou un raté fait de la
mauvaise peinture, c'est que sa vision est défectueuse. Enfin,
ce qui sépare les modernes des anciens, par exemple les
maîtres actuels, des maîtres qui sont au Louvre, ce sont moins
des changements de technique que des changements — nous ne
disons pas des progrès — dans

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents