Le proto-État africain : quelques réflexions autour de l histoire contemporaine du Mali - article ; n°93 ; vol.24, pg 127-141
16 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le proto-État africain : quelques réflexions autour de l'histoire contemporaine du Mali - article ; n°93 ; vol.24, pg 127-141

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
16 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Tiers-Monde - Année 1983 - Volume 24 - Numéro 93 - Pages 127-141
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 36
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Jacquemot
Le proto-État africain : quelques réflexions autour de l'histoire
contemporaine du Mali
In: Tiers-Monde. 1983, tome 24 n°93. pp. 127-141.
Citer ce document / Cite this document :
Jacquemot Pierre. Le proto-État africain : quelques réflexions autour de l'histoire contemporaine du Mali. In: Tiers-Monde. 1983,
tome 24 n°93. pp. 127-141.
doi : 10.3406/tiers.1983.4263
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1983_num_24_93_4263PROTO-ÉTAT AFRICAIN : LE
QUELQUES RÉFLEXIONS
AUTOUR DE L'HISTOIRE CONTEMPORAINE
DU MALI
par Pierre Jacquemot*
La controverse marxiste sur la nature de la classe de l'Etat en Afrique
subsaharienne tourne depuis une vingtaine d'années autour de deux thèses :
— En vertu de la doctrine soviétique sur la « voie de développement non
capitaliste » (vdnc), certains pays africains progressistes ayant adopté une
idéologie résolument anti-impérialiste sont dotés d'un pouvoir d'Etat « à
orientation socialiste ». Dans ces pays existerait en effet une petite bourgeoisie,
catégorie sociale « informe », regroupant certaines survivances des rapports
sociaux précapitalistes et des embryons de classes nouvelles s'étant constituées
dans le sillage de la colonisation. Ce groupe social, totalement hétéroclite, a
accédé aux fonctions de l'Etat après l'indépendance. Le caractère de classe de
cet Etat reste indéterminé, il peut donc ouvrir la voie à la transition directe
vers le socialisme si la fraction la plus dynamique de cette « classe politique »
en constitution guide l'action de l'Etat sur une base anti-impérialiste et crée
les fondements d'une accumulation « socialiste primitive ».
— Selon la thèse précédente, répandue dans les années 1 960, l'indépendance
politique crée ipso facto un Etat, et donc à terme une classe politique. En
revanche, pour un second courant marxiste, la question de la nature de classe
de l'Etat en Afrique ne se pose pas. Elle n'a aucun sens. Dans les régimes néo
coloniaux, en effet, le pouvoir d'Etat reste aux mains du capital financier inter
national. S'il arrive que les nationaux occupent effectivement des postes de
l'appareil d'Etat, ils le doivent à l'impérialisme dont ils sont objectivement les
« serviteurs ». A un niveau plus élaboré, cette thèse distingue la classe gouver
nante et la classe dirigeante. La première se compose du personnel indigène
occupant la hiérarchie de l'Etat (ministres, administrateurs, dirigeants et
cadres du parti, chefs des services répressifs); elle fait fonctionner les dispos
itifs locaux de l'Etat, sans pour autant détenir le véritable pouvoir d'Etat.
Le second contrôle les fonctions essentielles de l'Etat et la dynamique effective
* cedre, Université Paris-Dauphine.
Revue Tiers Monde, t. XXIV, n° 93, Janvier-Mars 1983 128 PIERRE JACQUEMOT
de l'économie locale; elle s'identifie à la bourgeoisie financière internationale
représentée sur place notamment par les organismes d'aide et par les sociétés
étrangères.
Chacune de ces thèses « marxistes » rencontrent une série de réfutations
sur le terrain du marxisme lui-même. Tel n'est toutefois pas notre propos1.
Soulignons seulement ici qu'elles sont très réductionnistes. Dans la première
thèse, l'Etat est pris comme une donnée : il est, alors qu'il ne peut être saisi que
dans son mouvement pour identifier son assise sociale. Dès lors le risque est
grand de confondre Etat (une « abstraction réelle ») et régime politique (sa
forme apparente résultant d'un compromis conjoncturel au sein de la classe
dominante). On peut objecter à la seconde thèse, que l'Etat dans un pays
sous-développé n'est pas un simple organe dérivé, mis en place par le Centre
impérialiste (un Etat « valet », « fantoche », compradori). S'û est incontestable
que s'y exercent des interventions extérieures pressantes, il y a aussi localement
recherche d'une autonomie relative vis-à-vis du Centre dans le but de per
mettre aux couches sociales indigènes dominantes de conserver une partie du
tribut qu'elles devaient antérieurement aider à transférer au profit du capital
international. Simultanément, elles doivent obtenir une légitimité à ce pouvoir
de rétention auprès des autres couches sociales2. L'indépendance politique, si
elle ne met pas mécaniquement fin à la domination extérieure, entraîne donc la
création d'un Etat national séparé. L'instabilité chronique des régimes poli
tiques africains est à rechercher dans l'évolution chaotique des alliances qu'ils
nouent avec les impérialismes concurrents ; cette évolution étant elle-même le
reflet de la réorganisation perpétuelle du groupe au pouvoir qui ne trouve pas
de base économique durable.
La domination extérieure n'est donc que l'un des volets de la question de
la caractérisation de l'Etat en Afrique. L'autre volet est la persistance de rela
tions sociales antécapitalistes. Les détenteurs du pouvoir d'Etat ne peuvent
trouver une assise à leur existence et à leur action sur le seul terrain écono
mique du fait de l'étroitesse relative des rapports marchands et de l'exiguïté
des bases d'accumulation. Ils doivent ainsi puiser dans le fonds culturel. Dès
lors, Д importe de savoir dans quelle mesure les relations antécapitalistes
empiètent sur l'Etat, sur les luttes autour du pouvoir comme sur les modalités
de fonctionnement de ses appareils.
L'analyse de l'Etat postcolonial en Afrique reste largement à faire. En
l'état actuel de la recherche, on observe une alternance entre une approche
phénoménale centrée sur l'analyse des régimes politiques et leur instabilité
particulière, et une approche dogmatique sur la dérivation de l'Etat — append
ice du Centre. En se référant au cas du Mali contemporain, nous allons tenter
de saisir dans son mouvement de balancier cette logique de l'Etat postcolonial3.
Il tente d'abord de s'édifier sur une reprise des instruments de contrôle des
1 . Sur cette réfutation et la controverse autour du Ghana de K. Nkrumah et de la Tanzanie
de J. Nyerere, cf. Issa G. Shivij, L'Etat dans les formations sociales dominées d'Afrique :
quelques problèmes théoriques, Revue internationale de Sciences sociales, n° 4, vol. 32, 1980.
2. Cf. pour une analyse plus détaillée : Pierre Jacquemot, Les bourgeoisies périphériques,
un essai d'identification, Cahiers d'Economies du Développement, CEDRE, n° 7, février 1980.
3 . Certaines analyses développées ici s'inspirent de l'ouvrage collectif : Mali, le paysan et
l'Etat (Me. Cisse, K. Dembele, P. Jacquemot, Y. G. Kebe et M. N. Traore), Paris, L'Har
mattan, 1982 (« Bibliothèque du Développement »). LE PROTO-ETAT AFRICAIN I29
mécanismes de prélèvements du surplus interne. Ensuite, obéissant à un objectif
de redistribution et non de production, il épuise continûment ses propres bases
économiques, au point de réclamer à échéances répétées une intervention exté
rieure accrue, donc une réduction de ses prérogatives.
I. — Le proto- Et at en formation
L'Etat indépendant, dans la pensée des leaders africains progressistes des
années i960, devait naître de l'effort d'une avant-garde décidée à briser la domi
nation étrangère. Il devait être le produit d'une dialectique ascendante ouverte
sur un horizon temporel inconnu, engageant des entités ethniques et régionales
dispersées, autour de la conquête d'une identité nationale commune. Sa cons
truction devait être achevée lorsque la société aurait totalement rompu avec
les déterminismes exogènes (en particulier ceux du marché mondial). La fusion
sociétale devait s'obtenir par la mise en œuvre d'une politique de développe
ment « autocentré » (endogène et indigène). Tel était en particulier l'idéologie
proclamée de Modibo Keita et de l'Union soudanaise — rda à l'indépendance
du Mali4.
Par rapport à cette forme idéelle, l'Etat africain contemporain apparaît
comme un système tronqué et très rudimentaire. C'est la raison pour laquelle
nous

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents