Les historiens allemands et la réhabilitation de la Prusse - article ; n°1 ; vol.15, pg 130-150
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1960 - Volume 15 - Numéro 1 - Pages 130-150
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1960
Nombre de lectures 15
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre-Paul Sagave
Les historiens allemands et la réhabilitation de la Prusse
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 15e année, N. 1, 1960. pp. 130-150.
Citer ce document / Cite this document :
Sagave Pierre-Paul. Les historiens allemands et la réhabilitation de la Prusse. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations.
15e année, N. 1, 1960. pp. 130-150.
doi : 10.3406/ahess.1960.421751
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1960_num_15_1_421751NOTES CRITIQUES
Les historiens allemands
et
LA RÉHABILITATION DE LA PRUSSE
LE 25 février 1947, à Berlin, le Conseil de Contrôle Inter-allié a
promulgué une loi portant dissolution de l'Etat prussien : dans
l'exposé des motifs, l'existence de la Prusse est considérée comme un
obstacle à la paix et à la sécurité des peuples européens. Cette mesure
du Conseil de Contrôle soulève un problème historique et politique. La
Prusse, en tant qu'Etat, n'avait-elle pas cessé d'exister en novembre 191 8,
en même temps que la monarchie des Hohenzollern, la survivance d'un
land prussien sous la République de Weimar et sous le régime hitlérien ne
présentant, dès lors, qu'une curieuse particularité de droit constitutionnel
et administratif? Vue sous cet angle, la loi du 25 février 1947 prend une s
ignification symbolique plus que juridique. En supprimant l'Etat prussien,
les Alliés semblent avoir manifesté la volonté d'anéantir une tradition plu
tôt qu'une puissance réelle : le militarisme et le bureaucratisme de la mo
narchie prussienne pouvaient compter à leurs yeux parmi les forces géné
ratrices de l'Allemagne impériale et impérialiste d'où est finalement sortie
l'Allemagne hitlérienne. L'appareil administratif de la Prusse a réussi,
jusqu'à un certain point, à maintenir le peuple dans un esprit de docilité
et de soumission à l'autorité établie. Et l'appareil militaire a toujours
pleinement joué son rôle d'auxiliaire, et parfois même de promoteur,
d'une politique d'agression ; la ligne de l'évolution historique paraît nette.
Depuis l'effondrement du National- Socialisme se pose, pour le peuple
allemand, pour les intellectuels allemands en particulier, et surtout pour les
historiens, la grave question de savoir dans quelle mesure assumer le passé
national. Au seuil d'une étape nouvelle, l'homme peut, à la rigueur, renier
son passé individuel ; mais nul ne saurait, nous semble-t-il, se désolidar
iser du passé de la nation à laquelle il appartient. En Allemagne, comme
ailleurs, ce sentiment inéluctable de solidarité avec le passé national se man
ifeste de deux façons : ou bien le ressentiment né de la défaite incite à
une justification pleine et entière du passé historique quel qu'il soit. Erreurs,
fautes, forfaits et leurs conséquences catastrophiques apparaissent — alors
130 LA PRUSSE
— comme les expressions d'un mauvais sort immérité, effets d'une conjonc
tion de forces maléfiques qui se sont acharnées sur la nation. Cette manière
d'interpréter l'histoire, qui est celle de Hans Grimm et de tant de тепкь
rialistes hitlériens, constitue, en fait, une apologie de crimes. Ou bien
l'historien procède à l'examen critique du passé national, ce qui peut, à
l'occasion, impliquer pour lui-même un examen de conscience individuel.
Depuis 1945, les historiens allemands se demandent si certains éléments
du passé national doivent être condamnés et d'autres justifiés. Dès 1946,
le grand historien Friedrich Meinecke a dressé un bilan de l'histoire na
tionale et conclu à une condamnation du passé militariste prussien \
Depuis, les positions se sont nuancées. Chacun admet, certes, qu'une
analyse nouvelle du passé prussien de l'Allemagne est urgente.
Mais certains rappellent que les Allemands de nos jours pourraient
trouver des inspirations précieuses dans leurs traditions historiques, en
particulier dans certaines traditions prussiennes. Il faudra donc tenter
de redécouvrir l'esprit de la Prusse authentique, dissimulée sous le
masque de l'impérialisme et du totalitarisme, et de souligner que le
patrimoine spirituel de la nation comprend non seulement des éléments
antiques, chrétiens et humanistes, mais encore la morale de Kant, dont
la conception du devoir serait spécifiquement prussienne.
La science historique allemande procède ainsi, actuellement, à une
réhabilitation de la Prusse. Il ne s'agit certes pas de revaloriser intégra
lement un passé caractérisé par le militarisme et le bureaucratisme ;
mais ces deux phénomènes dangereux sont analysés de manière à en
faire ressortir certains aspects positifs. Une politique en apparence bru
tale et agressive peut, parfois, se révéler comme l'expression louable de
l'intérêt patriotique ou du sentiment de la grandeur nationale. Des gou
vernants, en apparence autoritaires, peuvent parfois se révéler comme
les serviteurs du bien public, inspirés par le plus pur esprit d'abnégation
et de sacrifice. Ainsi, l'interprétation de certains faits par la science
historique peut contribuer à justifier l'intervention de la puissance prus
sienne dans le développement de l'Allemagne moderne.
Trois auteurs ont ainsi voulu redonner une valeur d'actualité au
passé prussien de l'Allemagne. Ce sont : Gerhard Ritter, qui justifie
l'influence de la Prusse sur l'évolution allemande jusque vers la fin de
l'époque bismarckienne et qui oppose la raison constructive de Bismarck
à la folie destructive d'Hitler , Hans Joachim Schoeps, qui exalte le
rôle de la Prusse telle qu'elle était avant Bismarck et qui voudrait voir,
dans une Allemagne réunifiée, se reconstituer un land prussien ; et enfin
Walther Hubatsch, qui voit dans l'histoire de Prusse, depuis les Cheval
iers teutoniques jusqu'au XXe siècle, l'accomplissement d'une mission
défensive face à l'Est, mission dont l'hitlérisme a dénaturé le sens.
1. Friedrich Meinecke, Die Deutsche Katastrophe, 4e éd. 1954, p. 156.
131 ANNALES
Gerhard Ritter, âgé de soixante et un ans, originaire du duché de
Hesse-Nassau annexé par la Prusse en 1866, est professeur honoraire de
l'Université de Fribourg-en-Brisgau, membre de plusieurs académies
allemandes et étrangères et docteur honoris causa de facultés.
Il est actuellement considéré comme le grand maître de la science histo
rique allemande. Ses recherches portent sur l'histoire européenne des
religions, des idées et des phénomènes politiques depuis le xve jusqu'au
XXe siècle. Il participe à la direction de plusieurs revues historiques. Le
prestige de sa personnalité n'est pas seulement dû à son rayonnement
universitaire et à l'importance de ses travaux, mais encore à son attitude
exemplaire pendant la seconde guerre mondiale. Membre du réseau de
résistance groupé autour de Karl Goerdeler (le chef désigné du gouver
nement insurrectionnel qui devait prendre le pouvoir le 20 juillet 1944),
Ritter a été arrêté après l'attentat manqué contre Hitler ; il a été traduit
devant les tribunaux d'exception; emprisonné pendant de long mois,
il a survécu à la répression grâce à la soudaineté de l'effondrement all
emand.
Parmi les publications ayant trait au problème prussien, il convient
de citer ses biographies de Frédéric II et du Baron de Stein, son édition
critique des Mémoires de Bismarck, son enquête minutieuse sur le plan
Schlieffen, ses considérations sur le caractère démoniaque du pouvoir,
et, enfin, le premier volume d'une étude extrêmement détaillée du mili
tarisme en Allemagne, parue sous le titre : Art politique et métier des
Armes l.
L'auteur y décrit, tout d'abord, le rôle de l'armée de métier en Prusse
au début du xvine siècle. L'armée apparaît alors comme un instrument
fragile et coûteux dont le souverain ne se sert qu'en cas de légitime
défense ; car un prince chrétien a le devoir d'éviter à ses sujets les horreurs
de la guerre et la ruine financière, entraînée par le coût des opérations
militaires. D'une façon générale, le xvine siècle est représenté comme
l'

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