Les poètes de la résistance polonaise (1939-1944) - article ; n°2 ; vol.63, pg 297-310
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Description

Revue des études slaves - Année 1991 - Volume 63 - Numéro 2 - Pages 297-310
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 40
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Claire Briend-Bobiec
Les poètes de la résistance polonaise (1939-1944)
In: Revue des études slaves, Tome 63, Fascicule 2. pp. 297-310.
Citer ce document / Cite this document :
Briend-Bobiec Claire. Les poètes de la résistance polonaise (1939-1944). In: Revue des études slaves, Tome 63, Fascicule 2.
pp. 297-310.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1991_num_63_2_5978LES POÈTES DE LA RÉSISTANCE POLONAISE (1939-1944)
PAR
CLAIRE BRIEND BOBIEC
Toute une légende romantique s'est cristallisée autour de la génération des
poètes qui firent leurs débuts pendant l'occupation allemande et périrent presque
tous dans l'Insurrection de Varsovie (1944). Le plus souvent, on a vu dans ces
poètes de jeunes kamikases désincarnés, au patriotisme exacerbé, et dans leurs
œuvres le calque réactualisé d'une certaine poésie romantique qui visait avant tout
à la restauration d'une Pologne indépendante. Mais, si nous dépassons l'analyse
pseudo-littéraire, en réalité biographique et idéologique, pour interroger les poètes
eux-mêmes, c'est-à-dire nous attacher aux textes, nous nous apercevons que, loin
de correspondre à cette image stéréotypée, les jeunes poètes de Varsovie, tout en
refusant d'adhérer à la religion de la patrie qui renaît de ses cendres après le court
entracte de l'entre-deux-guerres, ne cessent de rappeler la vocation propre de toute
parole poétique. De plus, venus d'horizons très divers, ils n'ont pas joui de la
même faveur auprès des critiques de l'après-guerre.
En effet si Krzysztof Kamil Baczyński (1921-1944) se voit immédiatement
célébrer comme le Juliusz Słowacki de sa génération, les écrivains qui gravitent
autour de la revue Sztuka i Naród (Art-et Nation), du fait surtout de leur coloration
politique aux antipodes de celle du régime d'après-guerre, sont pendant longtemps
restés dans l'ombre. Et, pourtant, leur étude est indispensable pour connaître et
comprendre le milieu culturel le plus dynamique de l'époque. C'est dans cette
sphère qu'ont évolué Tadeusz Gajcy (1922-1944), un des poètes qui, aux côtés de
Baczyński, est souvent considéré comme le plus doué de sa génération, Andrzej
Trzebiński (1921-1943) et Wacław Bojarski (1921-1943) à qui l'on doit plus part
iculièrement toute une série d'articles polémiques et frondeurs dans lesquels ils
tentent d'élaborer un programme littéraire original, ainsi que Zdzisław Stroiński
(1921-1944) dont les vers et les petits poèmes en prose, réunis sous le titre Okna
(Fenêtres), sont injustement méconnus. Tadeusz Borowski occupe une place un
peu à part. Son cycle de poèmes d'inspiration catastrophiste, Gdziekolwiek ziemia
(Où que soit la terre), est trop souvent laissé de côté sans doute parce que,
contrairement à ses contemporains, le poète a survécu à la guerre, abandonnant
Rev. Étud. slaves, Paris, LXIII/2, 1991, p. 297-310. 298 CL. BRffiND BOBIEC
alors plus ou moins la poésie pour la prose. Et, pourtant, son œuvre de jeunesse fait
intégralement partie du paysage littéraire de l'époque.
Les problèmes auxquels semblent se heurter les poètes dans l'élaboration d'un
style qui leur est propre sont éternels, bien qu'ils s'inscrivent dans une tradition
nationale et un contexte contemporain spécifiques : il s'agit avant tout de définir le
rôle que va tenir la littérature ou plus particulièrement la poésie en face d'une
histoire qui tient d'office le devant de la scène et exige que tout lui soit sacrifié.
Bref, une culture indépendante est-elle possible ? Peut-on rendre compte du réel
sans se laisser submerger par lui ? Les poètes craignent avant tout de retomber
dans le piège d'une poésie stratégique ou didactique, la première que la guerre voit
éclore, car ils comprennent qu'il n'y a pas de langage direct du mal souffert ou
commis. Or, comment passer de l'impressionnisme passif et douloureux à une
participation imaginaire active ?
Dans son journal de guerre, Zofia Nałkowska, reprenant le célèbre adage latin
« Inter armas silent musae » pose l'alternative, l'émigration ou le silence. En effet,
écrire n'est-ce pas dérisoire lorsque le monde court à sa perte ? Car la réalité est
avant tout l'innommable, l'inqualifiable. C'est ce que nous rappelle Baczyński
dans un poème intitulé Bez imienia (Sans nom) ou Gajcy dans Trójgios (Voix
triple). Dans Żelazne słupy (Pylônes d'acier), Stroiński met en évidence le tumulte
qui environne le poète, neutralise l'inspiration et supprime le recul indispensable à
la création :
A ziemia bitwami bez przerwy wybucha
a trudno w chrzęście wojny siebie się dosłuchać
Et la terre de batailles sans cesse retentit
et qu'il est dur, dans le vacarme de la guerre,
d'entendre sa propre voix.
T. Borowski dans Struny (Cordes) évoque à son tour la difficulté de la création :
Dźwięk we mnie rośnie jak drzewo
wpija się we i ginie
Le son, en moi, croît comme un arbre
il me suce et il meurt.
Convient-il alors de baisser les bras et de laisser mourir l'inspiration ? C'est la
question que pose le poème intitulé Orfeusz w lesie (Orphée dans la forêt).
K. K. Baczyński y récapitule, dans une tonalité naïve, l'itinéraire d'un poète en six
étapes : Orphée, archétype et idéal du poète, laisse d'abord libre cours à sa détresse
et supplie la nature qui l'entoure de ressusciter son Eurydice : la poésie. Après
avoir hésité entre la « tendresse » inspirée par une coccinelle et la « force »
conseillée par un épervier, il choisit « les pleurs », c'est-à-dire l'expression directe
de ses sentiments, l'aveu de son impuissance. Alors les animaux le rappellent à
l'ordre :
Przenieś
ból i w siebie z powrotem wgarnij
Reprends ta douleur et garde-la en toi.
C'est le vieux chêne qui lui offre la solution : POÈTES DE LA RÉSISTANCE POLONAISE 299 LES
me milczenie jest strumieniem a ma pieśń liściasta
mon silence est un ruisseau et mon chant est feuillu
— solution contradictoire qui souligne le caractère paradoxal de la poésie qui en
optant pour une parole non intellectualisée s'apparente plus au silence qu'à l'él
oquence, un silence imagé, plus expressif et suggestif que tous les discours. On
retrouve ce même thème chez T. Gajcy dans Do zmarłej (À la morte), invocation
au Créateur promu garant de la qualité de l'inspiration poétique :
Po obu stronach mej drogi De part et d'autre de ma route
milczenia białego strzeż soit le gardien du blanc silence
abym, gdy głos mój jak storoczyk afin que, lorsque ma voix soudaine
wypryśnie nagły — wciąż szedł fusera, telle une orchidée, je ne cesse
nieśmiałej trawy lazurem de fouler ľazur de l'herbe craintive.
Plus que la métaphore de la poésie, le silence est, dans ce poème, l'expression de
la distance nécessaire au poète pour ménager un espace à la création.
Dans. Wczorajszemu (À celui qui était), Gajcy aborde apparemment le
problème de façon bien différente :
A tu śpiewne słowa trzeba zamienić
by godziły jak oszczep
Mais il faut remplacer les mots mélodieux
qu'ils soient affûtés comme une lance.
On a souvent interprété ces vers comme un appel à une littérature engagée
renouant avec l'épopée de la littérature romantique du XIXe siècle. Ainsi
A. Tauber-Ziółkowski affirme :
La tragédie du poète T. Gajcy réside justement dans l'obligation d'abandonner les
mots mélodieux au profit de mots durs, meurtriers. . . Dans ces vers Gajcy écrit son « hic
natus est »*.
Un article de Gajcy intitulé Poezja o nucie dostojnej apporte un flagrant
démenti à cette vision des choses :
La poésie d'aujourd'hui demeure l'expression facile d'une douleur facile. Le lecteur
ne veut plus d'une telle poésie qui tout simplement l'ennuie..., il veut des vers libres de
tout didactisme, sans rapport avec la guerre.2
Dans le cycle de poèmes de T. Borowski Gdziekolwiek ziemia, on retrouve la
même mise en garde contre une poésie stratégique. Nous y voyons les vainqueurs
et les vaincus s'emparer de la pour la faire sienne et la plier à leurs
exigences :

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