Les sociétés imaginées : monachisme et utopie - article ; n°2 ; vol.26, pg 328-354
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1971 - Volume 26 - Numéro 2 - Pages 328-354
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 50
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jean Séguy
Les sociétés imaginées : monachisme et utopie
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 26e année, N. 2, 1971. pp. 328-354.
Citer ce document / Cite this document :
Séguy Jean. Les sociétés imaginées : monachisme et utopie. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 26e année, N. 2,
1971. pp. 328-354.
doi : 10.3406/ahess.1971.422360
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1971_num_26_2_422360sociologie des sociétés imaginées : Une
monachisme et utopie
Le concept d'utopie, à la mode aujourd'hui, est-il opérationalisable pour une
sociologie historique ? Admis qu'un type-idéal de l'utopie, décrit plus loin, peut
revêtir valeur heuristique, qu'en est-il du monachisme comme utopie, et quels
prolongements cette mise en perspective offre-t-elle pour l'histoire comme pour
la sociologie ? Le présent article n'a pas d'autre ambition que de répondre à ces
questions, par le biais d'un exercice à la fois théorique et pratique.
Idéologie et utopie
Mannheim, dans un ouvrage fameux, étudie les représentations mentales comme
forces sociales, en opposant idéologie et utopie a. Cette dichotomie de genre idéal-
typique rend compte, selon lui, d'une différenciation essentielle entre deux genres
antithétiques d'idéation collective 2. Le premier tend à renforcer l'ordre social
existant en faveur de la domination des classes au pouvoir; c'est l'idéologie. Le
second, ou utopie, se propose de changer l'ordre en vigueur en inspirant à une
collectivité, ou à une partie importante d'une collectivité, le désir de transcender
sa situation. En d'autres termes, toute protestation est utopique dans la mesure où
elle recourt, pour s'exprimer, non à une analyse rationnelle mais à des éléments
imaginés, à l'imaginaire idéal. Est-ce à dire que toute ideation non rationnelle serait,
inversement, utopie protestatrice ? Non, puisque l'idéologie appartient, elle aussi,
à ce domaine.
1. Karl Mannheim, Idéologie et utopie, traduit sur l'édition anglaise par Pauline Rollet, Paris,
Marcel Rivière, 1956.
2. Cette expression d'idéation collective vient de Durkheim et ne se trouve pas chez Mannheim.
328 MONACHISME ET UTOPIE J. SÉGUY
Mannheim justifie sa dichotomie par la fonctionnalité sociologique : l'utopie
ne joue pas la même fonction que l'idéologie. L'intérêt de cette analyse résiderait
donc dans son objectivité. Malheureusement elle se trouve liée à une philosophie
de l'histoire qui la rend moins opératoire. En tout cas, et c'est là notre principale
objection, elle fige trop la réalité, dans laquelle l'utopie peut, selon nous, devenir
idéologie (dans les définitions mêmes de Mannheim), et vice versa, ou telle ideation
jouer successivement, ou en même temps et à des niveaux divers, tel rôle plutôt que
tel autre. On voit aussi mal pourquoi les classes sociales dominantes ne pourraient
pas produire des utopies. Ni les mythes devraient entrer dans la catégorie
de l'utopie, si cette dernière mobilise des foules pour le changement social. Ni enfin,
pourquoi l'utopie appartiendrait au seul domaine de l'idéation. Ne peut-on pas
rencontrer des pratiques utopiques ?
Les vues de Mannheim permettent, cependant, une mise en perspective intéres
sante de tout un pan d'histoire occidentale trop longtemps confondu avec sa marge
tératologique ou, chez Engels, Kautsky et Bernstein, avec les précurseurs inefficaces
du marxisme1. De plus, l'œuvre de Mannheim a le mérite de mettre l'accent sur
l'importance des idées dans le processus social et de montrer le rôle de l'intelligentsia
bourgeoise dans le changement 2. Enfin elle permet, et c'est son intérêt majeur, de
récapituler, sous une étiquette unique, des phénomènes apparemment disparates
(sectes, phénomènes millénaristes, utopies écrites diverses) et de mieux les placer
dans l'histoire, en rapport, en particulier, avec la rationalisation croissante de la
pensée.
On peut placer à côté de Mannheim un philosophe marxiste contemporain,
Ernst Bloch 8. Son œuvre touffue stimule l'imagination, mais se plie mal aux exi
gences de l'histoire ou de la sociologie. Un exégète a pu détecter chez lui six diff
érenciations du domaine utopique : 1. Utopies médicales (remèdes-miracles);
2. Utopies techniques (alchimie); 3. Utopies urbanistiques et architecturales;
4. géographiques (terres inconnues des contes, etc.); 5. Utopies artistiques
(la musique surtout); 6. Utopies religieuses (sectes, hérésies), etc. *. Comme on le
voit, le champ de l'utopie est ici ouvert à l'infini et son contenu réduit à l'imaginaire.
Pour Ernst Bloch, l'utopie revêt trois fonctions sociales : 1. Manifester l'existence
du possible à autrui; 2. Permettre à l'imagination de mordre sur le réel; 3. Faciliter
l'engagement de l'intellectuel dans la construction d'un monde meilleur 5. On voit
mal comment ces « fonctions » pourraient servir à structurer autre chose qu'une
1. Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique, trad, française, Paris, Éd.
sociales, 1969; Karl Kautsky, Die Vorlâufer des neueren Sozialismus, Stuttgart, Dietz Ver lag, 1895,
5 vol.; K. Kautsky et Eduard Bernstein, Die Geschichte des Sozialismus in Einzeldarstellunger,
ibid., 1895, 2 vol. Textes divers d'Engels, pertinents à la présente discussion, dans Karl Marx-
Friedrich Engels, Sur la religion, Paris, Éd. sociales, 1968; F. Engels, « La Guerre des paysans »,
dans La Révolution démocratique bourgeoise en Allemagne, ibid., 1951, et Henri Desroche, Socia-
lismes et sociologie religieuse, Paris, Cujas, 1965.
2. Mannheim, op. cit., pp. 225-229.
3. Emst Bloch, Dos Geist der Utopie, Leipzig, 1918, Berlin, 1922, Frankfurt-s.-M., Suhrkamp,
1962; Thomas Munzer als Theolog der Revolution, Munich, 1922 et 1962, trad, française par
H. Gandillac, sous le titre : Thomas Munzer théologien de la révolution, Paris, Julliard, 1964;
Prinzip Hoffnung, Berlin, 1952, Frankfurt-a-M., Suhrkamp, 1963.
4. Selon Pierre Furter, « Utopie et marxisme selon Ernst Bloch », Archives de Sociologie des
Religions, 21, janvier-juin 1966, 3-21.
5. Ibid.
329 HISTOIRE ET UTOPIE
philosophie de l'histoire, plus ouverte certes que celle de Kautsky, mais aussi dépen
dante d'une idéologie non opérationalisable en sociologie. Le problème serait
plutôt, pour cette dernière, de savoir quelles situations sociales provoquent les
manifestations de l'imagination (ou du changement idéologique), permettent son
institutionalisation ou l'empêchent au contraire. Enfin, il s'agirait de comprendre
ce qui arrive lorsque protestatrice s'incarne en œuvres culturelles;
quelle est, en d'autres termes, la dynamique de l'utopie pratiquée. De toute façon,
une sociologie de l'imagination ou de l'imaginaire ne paraît pas possible, stricto
sensu. Au plus pourrait-on parler d'une sociologie des sociétés imaginaires — celles
des cieux religieux comme des utopies — ou d'une sociologie des sociétés ima
ginées — celles des protestations religieuses ou socio-religieuses. Une sociologie,
en somme, des sociétés autres.
Pratique de l'idéologie utopique
En parlant d'utopie pratiquée et de sociétés autres, nous nous mettons dans le
fil des suggestions d'Henri Desroche. Dès 1950, dans Signification du marxisme г, il
rapprochait marxisme théorique et monachisme, à propos, en particulier, du régime
de la propriété. Cette idée, reprise en filigrane dans certaines pages de son Marxisme
et Religion 2 ou encore dans ses Socialismes et sociologie religieuse 3, débouche
aujourd'hui dans un questionnaire sur VHomo utopicus servant de base à un sémi
naire de ГЕ.Р.Н.Е. 6e section (1969-70). La mise en parallèle de Signification du
marxisme se trouve ici reprise en termes d'alternative utopique, applicable, à titre
d'hypothèse de recherche, aux sectes et aux communautés coopératives, appelées
volontiers par l'auteur, en d'autres lieux, utopies pratiquées, aux utopies écrites,
aux messianismes et millénarismes, à certains mouvements nativistes comme les
Cargo cuits, au cénobitisme enfin. Sans donner un sens à l'histoire, ce plan de travail
tente de dessiner une grille applicable à l'histoire en sa pluralité irréductible. Il est
demandé aux détenteurs de dossiers spécifiques si et comme

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