Les thèmes sexuels dans la mythologie des Carpates - article ; n°4 ; vol.69, pg 545-557

Elena Levkievskaja

Description

Revue des études slaves - Année 1997 - Volume 69 - Numéro 4 - Pages 545-557
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: REVUE_DES_ETUDES_SLAVES
• Publié le: 01 janvier 1997
• Nombre de lectures: 20
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Madame Elena Levkievskaja
Marie Tournié
Les thèmes sexuels dans la mythologie des Carpates
In: Revue des études slaves, Tome 69, fascicule 4, 1997. pp. 545-557.
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Levkievskaja Elena, Tournié Marie. Les thèmes sexuels dans la mythologie des Carpates. In: Revue des études slaves, Tome
69, fascicule 4, 1997. pp. 545-557.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1997_num_69_4_6431LES THEMES SEXUELS
DANS LA MYTHOLOGIE DES CARPATES
PAR
ELENA LEVKIEVSKAJA
Communiquer avec le monde de l'au-delà a toujours été au centre des pré
occupations mythologiques de l'homme. La possibilité même de cette communic
ation, ses formes et ses principes sont directement liés au problème du compor
tement rituel correct de l'homme, y compris son comportement sexuel. La trans
gression des interdits existants et des prescriptions provoque des contacts amour
eux de l'homme avec la force du Mal, mais elle est aussi la cause de son exis
tence, ce que révèle très nettement la mythologie carpatique des Ukrainiens.
Dans le présent article nous nous attarderons sur ces deux thèmes principaux de
la mythologie des Carpates, liés par une même condition : la déviation du com
portement correct. Il s'agira, en premier lieu, de traiter des relations amoureuses
de l'homme avec un personnage mythique, puis de ces personnages mythiques
engendrés par l'homme à la suite d'une transgression des interdits sexuels. Les
matériaux des Carpates constituent un excellent fonds pour une étude comparat
ive avec les sujets slaves du Sud et de l'Est qui permet de dégager des motifs
slaves communs et des particularités locales dans le domaine étudié.
L'AMOUR DU PERSONNAGE MYTHIQUE
EST-IL UNE NORME OU UNE PATHOLOGIE ?
La réponse à cette question est conditionnée par la perception qualitative
traditionnelle du représentant de l'au-delà, selon qu'il est considéré comme une
divinité ou comme un démon. La caractéristique du « héros-amant » surnaturel,
son comportement et ses signes révélateurs, mais aussi les « conséquences »
d'une relation amoureuse pour le partenaire terrien peuvent servir ici d'indica
teurs sûrs. L'existence de moyens pour se protéger et pour repousser l'amant
mythique est un facteur important. L'appréciation d'un enfant issu d'une telle
union est également significative. Ainsi, dans la mythologie grecque, l'amour
d'un(e) habitant(e) de l'Olympe pour un simple mortel était perçu comme l'une
des variantes de la norme acceptée, puisqu'il en résultait des héros dotés de traits
nobles et d'aptitudes surnaturelles.
Dans la tradition slave, tout rapport d'un humain avec l'au-delà est apprécié
de la même façon : il faut se protéger le plus efficacement possible du monde
dangereux et funeste des démons, et chercher à éviter tout contact avec les
Rev. Étud. slaves, Paris, LXIX/4, 1997, p. 545-557. 546 ELENA LEVKIEVSKAJA
représentants de ce monde, mais, si la rencontre a eu lieu, il faut se protéger avec
des défenses sûres. Cette attitude s'applique aussi aux sujets qui nous intéres
sent, où l'attirance amoureuse de la part d'un personnage mythique est interpré
tée comme un mal certain dont il faut absolument se préserver et, au cas où il se
serait produit, s'en débarrasser. Du point de vue de la tradition slave, un contact
amoureux, comme tout autre contact avec la force du Mal, est extrêmement dan
gereux et conduit l'homme à sa perte.
Pour comprendre la raison d'une telle position, essayons d'appliquer les
facteurs précités et de déterminer quels personnages mythiques peuvent jouer le
rôle d'amant(e) d'un être mortel, quelle est la cause d'une telle relation et
quelles en sont les conséquences pour l'homme : quels sont les moyens de la
conjurer, et enfin quelles sortes d'enfants naissent de cette union.
QUI EST L'AMANT(E) MYTHIQUE ?
Il faut noter que tous les personnages mythiques slaves, à degré variable,
peuvent entrer en relation amoureuse avec les humains : d'après les croyances
russes, l'esprit des forêts (lešij) prend pour épouse des jeunes filles maudites, et
le génie de la maison peut avoir des relations sexuelles avec la maîtresse de mai
son. D'après les croyances populaires slaves, les génies des eaux sont libidineux,
ils cohabitent avec les femmes noyées et celles qui se sont suicidées par noyade,
tandis que, d'après les croyances des Russes du Nord, les génies des eaux épou
sent les filles des autres génies des eaux ; chez les Slaves de l'Ouest, ces génies
attirent les femmes avec de jolis rubans et des bibelots, ils vont même de village
en village et se cherchent des jeunes filles en mariage ; chez les Slaves de l'Est,
les ondines attirent et séduisent les garçons des villages. Néanmoins, la relation
amoureuse de tous ces personnages avec un humain n'est qu'une de leurs nomb
reuses attributions, souvent secondaire, qui se situe à la périphérie de leurs
spécificités principales.
Chez les Slaves, il existe un nombre de créatures mythiques pour qui la
relation amoureuse avec l'homme est la fonction principale, fondamentale (par
fois l'unique, comme par exemple chez le dragon- Ijubak). Dans la mythologie
des Carpates, il existe ainsi des personnages masculins : il s'agit du mari (ou de
Y amant) mort qui revient chez sa femme vivante et entre en relation amoureuse
avec elle : « NN, même après sa mort, revenait chez sa femme. Il la visitait tout
l'été. La nuit, après minuit, il couchait avec sa femme. » (Région de L'viv ;
Gnatjuk 1912, 1 : 160).
Dans les récits épiques, il est souligné que, si un défunt était mort jeune à la
suite d'un accident ou de mort violente, il s'agissait d'un mort prématuré qui
n'avait pas vécu tout son temps ; il était alors classé dans la catégorie des
« morts impurs » (založnye, le terme est de D. K. Zelenin) : « Les jeunes se sont
mariés et, peu de temps après, il a été tué dans la forêt. Elle resta seule, sans
mari, avec deux jeunes enfants. Elle se lamentait à tel point, pleurait tellement
après lui, qu'il s'y attacha. » (Transcarpatie, KA 1989). « Le gars fut tué à la
guerre et la jeune fille languissait. Et il revenait. » (Région d'Ivano-Frankivsk,
KA 1990).
On considère souvent que c'est le diable qui revient sous l'apparence de
l'homme aimé : « Lui, ce diable, ce Satan, il se rend chez la femme ou la jeune
fille. Ils vivent comme mari et femme, il se transforme en quelqu'un de connu et LES THÈMES SEXUELS DANS LA MYTHOLOGIE DES CARPATES 547
c'est ainsi qu'il trompe les gens. » (Région d'Ivano-Frankivsk, KA 1990). Le
Malin, sous l'apparence d'un beau jeune homme qui séduit les femmes peut
avoir des appellations particulières : pereléstnik ou Utavec'.
Parfois, c'est le « démon-enrichisseur » qui peut apparaître dans le rôle
d'amant, et la maîtresse de maison doit alors coucher avec lui pour devenir
riche : « L'œuf non fécondé, on dit qu'il faut le porter sous l'aisselle pendant
neuf jours et sans parler à personne. [Il en naîtra] un výxovanec. Il vous aidera,
mais pour cela vous devrez coucher avec lui. » (Région d'Ivano-Frankivsk, KA
1988).
Ces thèmes carpatiques ont leurs variantes dans d'autres traditions slaves.
Chez les Slaves de l'Est (ici et infra, excepté l'aire des Carpates) des sujets
semblables concernent des créatures démoniaques du type dragon-ljubak, dra
gon de feu, etc., qui, sous l'apparence du bien-aimé mort ou absent, arrive chez
la femme : « On dit que ça existe, que lorsque l'homme meurt et que la femme
pleure beaucoup, il se transforme en mari et chaque nuit couche avec elle. »
(Région de Žitomir, PA 1981). « Le de la femme est mort. Elle pleurait
beaucoup. La nuit il lui semblait que son mari était venu s'occuper de la maison.
Puis, il se couchait dans son lit et la prenait dans ses bras. C'était le domovik, un
génie de la maison. » (Région de Gomel, PA 1983). « Cette sorcière n'avait pas
de mari. On disait qu'elle vivait avec le diable, la force du Mal, comme avec le
mari. Et ce fils-là, il était de lui. On disait que le serpent volant allait chez ces
sorcières. Et lui, ce serpent-là, leur apportait la richesse. Les j