Les usages de la méthode biographique en sciences sociales - article ; n°1 ; vol.1, pg 89-99

Jean Joana

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Pôle Sud - Année 1994 - Volume 1 - Numéro 1 - Pages 89-99
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: POLE_SUD
• Publié le: 01 janvier 1994
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Mr Jean Joana
Les usages de la méthode biographique en sciences sociales
In: Pôle Sud, N°1 - 1994. pp. 89-99.
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Joana Jean. Les usages de la méthode biographique en sciences sociales. In: Pôle Sud, N°1 - 1994. pp. 89-99.
doi : 10.3406/pole.1994.1328
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pole_1262-1676_1994_num_1_1_1328Les usages de la méthode biographique
en sciences sociales
/. Joana
Mode fugace ou redécouverte d'un par duation d'une vie d'individu"4 : d'un coté,
adigme, la biographie bénéficie d'un montrer l'effet des contraintes objectives
engouement notable depuis quelques sur le déroulement d'une vie, de l'autre,
années et est devenue un débat récurrent comment l'action des individus peut
qui agite la communauté des chercheurs en influer sur l'évolution de celles-ci. Partant
sciences sociales. Les Annales ESC ou la de la conviction que cette définition mini
Revue Française de Sociologie publient des male correspond à ce qui fait l'intérêt et la
articles de réflexion sur le sujet de plus en spécificité de cette méthode, on voudrait
plus nombreux, tandis que des ouvrages présenter un rapide bilan des discussions
consacrés au problème sont édités1. On menées dans les deux disciplines, histoire et
peut cependant penser que loin d'être une sociologie. Dans cette perspective, on
toquade passagère, l'intérêt suscité par cette reviendra sur les quelques travaux réalisés
méthode, qui s'accompagne de tentatives en science politique afin d'en mieux mesur
de rapprochement entre historiens et socio er les profits pour cette dernière.
logues2, correspond à une volonté de pro
fond renouvellement.
Constatons d'abord que le terme de
"biographie" est investi d'acceptions diffé La biographie entre histoire
rentes selon les auteurs, et l'on retrouve
et sociologie
ainsi sous une même appellation des
démarches très disparates. Cette référence à Les historiens ont été les premiers à utili
la biographie devient un enjeu dans les ser la biographie, mais aussi les premiers à
luttes qui divisent chacune des communaut s'en détourner. La reconnaissance nouvelle
és entre objectivistes et subjectivistes. dont elle bénéficie en sociologie a cepen
C'est, sans doute, avant tout un malaise dant contribué à la réhabiliter.
que traduit l'ampleur du discours produit
La biographie : "Une histoire au ras sur ce thème, mais on tentera cependant de
du sol" dégager de la masse de propositions émises
quelques traits caractéristiques d'une
C'est avant tout pour des raisons pra
authentique méthode biographique.
tiques que l'historien a recours à la biogra
On peut, avec J.C. Passeron3, affirmer phie. Ne pouvant se plier aux impératifs du
que le projet central de l'analyse biogra modèle épistémologique des sciences
phique est de mesurer ce qui "fait l'indivi- exactes, au moment même où les
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sociales s'en revendiquent, l'école histo dans chaque événement il est possible de
rique française du XIXe siècle, derrière relever des régularités. Le dialogue qu'il
C. Seignobos, va renoncer à toute préten souhaite instaurer avec la Sociologie n'est
tion scientifique - au sens d'E. Durkheim. selon lui possible que si l'Histoire se prête à
C. Ginzburg rappelle notamment que dans une analyse des "longues durées" qui carac
cette perspective, plus une discipline s'inté térise l'évolution des structures sociales...
resse à des traits individuels, comme c'est Ce tour quantitativiste et objectiviste
alors le cas de l'histoire, et moins elle est donné à la discipline frappe d'interdit tout
réputée susceptible de produire une projet de biographie, qui relève par nature
connaissance scientifique5. Dans ce débat d'un temps court renvoyé à l'épiphénomè-
qui oppose les deux communautés, les his nal. Dans la nouvelle "science historique",
toriens en acceptant la définition de la l'individu est devenu un objet d'étude ill
science produite par l'épistémologie-philo- égitime.
sophie, se placent en situation défavorable
Comment dès lors, sauf à diagnostiquer face à des sociologues "dont la formation
la fin de l'école des Annales qui est loin passe par l'agrégation de philosophie"6.
d'être vérifiée dans les faits, parler d'un Travaillant sur des phénomènes par nature
renouveau de la biographie historique ? A non reproductibles, l'histoire est réputée ne
la faveur d'un retour au subjectivisme, on pas pouvoir produire de lois. Cette imposs
assiste cependant à une réhabilitation de la ibilité oblige l'historien qui veut comp
méthode biographique. Se fondant sur une rendre les causes d'un événement, sans en
critique de l'objectivisme braudélien, ce oublier aucune, à reconstituer la totalité du
nouveau courant tente de renouveler les contexte dans lequel il est survenu. Pour
canons épistémologiques dont est justiéviter d'être submergé par la documentat
ciable la discipline. G. Noiriel emprunte à ion, il limite son champ d'investigation,
la sociologie les trois concepts caractérisen travaillant à des monographies ou bio
tiques selon lui du subjectivisme : "l'expégraphies. C'est donc d'abord par souci de
Tobjectivation" et "l'intériorience vécue", simplification que ces dernières se dévelop
risation"9 Une attention accrue à la "charge pent. En 1942 par exemple, L. Febvre
émotive"10 qu'un événement revêt pour un illustre cette démarche en étudiant le pro
acteur permet à l'observateur de voir dans blème de l'incroyance au XVIe siècle à tra
toutes les choses qui nous paraissent natuvers la figure de Rabelais7.
relles un produit arbitraire de l'histoire
F. Braudel va s'opposer à cette "abdica
sociale"11.
tion" des historiens, et tenter un rappro
C'est à l'école de la Micro-Histoire itchement entre Histoire et Sociologie pour
faire profiter la première de la scientifîcité alienne qu'il convient cependant de recon
naître un rôle d'initiative : formée au naissante de la seconde. Refusant de se can
tonner à l'étude du "particulier", il pose milieu des années soixante-dix autour de la
comme point de départ l'idée que "l'inédit revue Quaderni Storici, elle regroupe des
n'est jamais parfaitement inédit"8 et que auteurs dont les plus connus en France
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sont C. Ginzburg et G. Levi. Face à événementielle. Il s'agit là d'une biographie
l'impossibilité dans laquelle se trouve dont on a fortement repensé les règles. On
l'Histoire sociale de penser le temps court approche ainsi une sorte de vision "cubiste"
ou moyen, et de rendre compte des évolu du personnage, étudié sous des angles suc
tions rapides, ils proposent de renverser la cessifs très différents. La trajectoire de
perspective. A partir de l'étude d'objets de l'exorciste nous est rendue compréhensible,
petite taille, de l'analyse de destins particul mais à l'horizon de son histoire, c'est
iers, ils défendent le projet d'une histoire l'effectivité, au niveau local, de la construc
"vue d'en bas". Le vécu des sujets apparaît tion de l'Etat Piémontais que l'on perçoit.
comme la voie d'accès privilégiée à la
C. Ginzburg partage ce souci de changer connaissance d'un social non plus figé
de point de vue et affirme en 197914 que comme c'était le cas avec l'analyse des
l'histoire commet une erreur en voulant à longues durées, mais conçu comme un
tout prix reprendre le modèle de l'épisté- ensemble d'interrelations en permanente
mologie des sciences exactes : loin de évolution.
devoir systématiquement chercher à tra
L'ouvrage que G. Levi consacre à la vie vailler sur des phénomènes reproductibles,
d'un exorciste du XVIIe siècle à Santena, elle atteindra à une connaissance du social
petit village piémontais, est caractéristique beaucoup plus précise, en accordant son
de ce projet12. Ni Histoire événementielle, attention aux "faits r