Modalités de l'Histoire dans la littérature polonaise contemporaine - article ; n°2 ; vol.74, pg 371-380

Maria Delaperriere

Description

Revue des études slaves - Année 2002 - Volume 74 - Numéro 2 - Pages 371-380
The ways of history in the contemporary polish literature
Laying down as a theoretical narratological principle that history has never taken the shape of an actual experience, but was until today a mere narrative representation, the author aims at following the evolution of the relation between literary shapes and historical past in the Polish literature after the Second World War. From 1945 onwards history does not appear any more as a kind of strategical staging; instead it becomes an attempt to live an immediate experience regardless of any intellectual reconstruction. Otherwise, sentimentalization and ideological recovery of the past lead the Polish writers to a real denial of history thanks to (self) parodical literary forms. Finally the multiplication of autobiographical works means a new attack against the traditional historical novel. Thus, thanks to this triple strategy which leads to a dismantling of history consistent with the now prevailing bursting of narrative forms, Polish literature brings its own answer to the history crisis which is to be seen nowadays in the western literature.
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: REVUE_DES_ETUDES_SLAVES
• Publié le: 01 janvier 2002
• Nombre de lectures: 17
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Madame Maria Delaperrière
Modalités de l'Histoire dans la littérature polonaise
contemporaine
In: Revue des études slaves, Tome 74, fascicule 2-3, 2002. pp. 371-380.
Abstract
The ways of history in the contemporary polish literature
Laying down as a theoretical narratological principle that history has never taken the shape of an actual experience, but was until
today a mere narrative representation, the author aims at following the evolution of the relation between literary shapes and
historical past in the Polish literature after the Second World War. From 1945 onwards history does not appear any more as a
kind of strategical staging; instead it becomes an attempt to live an immediate experience regardless of any intellectual
reconstruction. Otherwise, sentimentalization and ideological recovery of the past lead the Polish writers to a real denial of history
thanks to (self) parodical literary forms. Finally the multiplication of autobiographical works means a new attack against the
traditional historical novel. Thus, thanks to this triple strategy which leads to a dismantling of history consistent with the now
prevailing bursting of narrative forms, Polish literature brings its own answer to the history crisis which is to be seen nowadays in
the western literature.
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Delaperrière Maria. Modalités de l'Histoire dans la littérature polonaise contemporaine. In: Revue des études slaves, Tome 74,
fascicule 2-3, 2002. pp. 371-380.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_2002_num_74_2_6806DE L'HISTOIRE MODALITES
DANS LA LITTÉRATURE POLONAISE CONTEMPORAINE
PAR
MARIA DELAPERRIÈRE
Comme toutes les autres sciences humaines au XXe siècle, l'Histoire a été
amenée à s'interroger sur elle-même, sur sa démarche, ses objectifs, ses outils
conceptuels. Minée par le nietzschéanisme, puis par la pensée phénoménolog
ique, elle traverse aujourd'hui une période marquée par ce que l'on appelle
habituellement le « tournant linguistique ». Dès les années soixante en effet,
Barthes souligne que l'Histoire n'est accessible qu'à travers la langue et que par
conséquent elle est soumise au même processus d'illusion référentielle que tout
discours, littéraire notamment1. Foucault, de son côté, met en question le
concept de l'Histoire en tant qu'ensemble d'invariants : il veut y voir essentie
llement un réseau de relations entre différentes pratiques qu'il convient d'étudier
archéologiquement2. Enfin White, à la suite de Barthes, Lacan et Derrida,
apporte une contribution décisive en montrant que le récit précède l'Histoire,
qu'il la construit3.
Bien évidemment, ces affirmations ne peuvent pas laisser l'historien insens
ible, lui qui s'efforce de saisir les faits historiques, le passé dans sa réalité la
plus concrète. Désormais, l'objet même de sa recherche semble s'évanouir.
Comme le dit Ricœur, « le passé ne peut être reconstitué ni vécu ; ce qui nous
reste, c'est de pouvoir y penser, mais toujours sous la forme d'une narration4 ».
Les littéraires auraient-ils lieu de s'en réjouir ? Sans doute pas, car les nouvelles
perspectives ouvertes par les linguistes ont affecté tout autant la littérature que
l'historiographie. Dans les temps anciens, le récit du passé était avant tout une
anamnèse, une commémoration de l'héritage des ancêtres grâce à des mythes
dont la temporalité verticale transcendait les frontières de la mort. Les temps
modernes, au contraire, ont voulu distinguer histoire scientifique et fiction litté-
1. Cf. R. Barthes, « Introduction à l'analyse structurale du récit », Communication,
1966, n° 6 ; rééd. in Poétique du récit, Paris, Seuil, 1977 ; cf. aussi, « Le discours de l'his
toire », 1967 ; rééd. in le Bruissement de la langue, Paris, 1974.
2. M. Foucault, l'Archéologie du savoir, Gallimard, 1969.
3. Hayden White, Metahistory : the historical imagination in nineteenth-century
Europe, Baltimore - London, John Hopkins University Press, 1973.
4. Paul Ricœur, Temps et récit, t. Ш, Paris, Seuil, 1985.
Rev. Etud. slaves, Paris, LXXIV/2-3, 2002-2003, p. 371-380. 372 MARIA DELAPERRIÈRE
raire : on a cru à la possibilité de reconstituer objectivement le passé, de dégager
des lois, loin de toute songerie romanesque. Le roman s'est alors mis à la
remorque de l'Histoire, obsédé, dans sa volonté de rendre compte du réel, par la
question des sources, des documents, et privilégiant la démarche déductive. Ce
que beaucoup attendent donc du roman historique, c'est qu'il soit vraisemblable,
c'est-à-dire semblable au passé réel, cette vraisemblance devant être atteinte
grâce à une illusion référentielle soignée et efficace.
Ainsi, la mise en question de l'Histoire, le rejet par la littérature de la
notion de mimésis, ont eu raison de cette conception du roman historique : on
sait aujourd'hui que tout récit, qu'il soit historique ou littéraire, ne peut être que
représentation de la représentation, autrement dit une métaphore de la réalité.
En Pologne, c'est seulement au cours de ces dernières années que ces idées
ont fait leur chemin : on relit В armes, Derrida, Foucault ; on se demande si les
théories postmodernes n'ont pas influé sur les jeux intertextuels de Pilch5, sur le
retour au passé de Chwin6, sur la poétisation de Tulli7, sur les entrecroisements
de temporalité de Tokarczuk8. Effet de mode ? Ou force du sillage creusé par la
pragmatique des écrivains qui les ont précédés?
En se penchant sur les rapports de la littérature d'après-guerre avec l'His
toire, Jerzy Jarzębski9 distingue à juste titre trois phases : la première, marquée
par l'œuvre d'écrivains essentiellement catholiques tels que Gołubiew10 ou
Malewska11, Parnicki12, qui cherchent encore le sens de l'Histoire. Ensuite, avec
le dégel et après les règlements de compte avec le marxisme, un certain nombre
d'écrivains comme Andrzejewski13 ou Konwicki14 se tournent vers les grandes
idées sociales, ou encore — et c'est le cas le plus fréquent — vers l'autobiograp
hie15. Enfin, après 1989, la tendance majoritaire consiste à se détourner osten
siblement du passé. Tout en gardant en mémoire cette typologie, j'en proposerai
5. Jerzy Pilch (né en 1952), auteur de Spis cudzołożnic (le Complot des femmes
adultères, London, 1993), Monolog z lisiej jamy (Monologue au fond d'une tanière, 1996) et
Pod mocnym aniołem (Au bon ange éméché, 2000).
6. Stefan Chwin (né en 1949), auteur entre autres de Hanemann, Gdańsk, Marabout,
1995 ; Ester, Gdańsk, Tytuł, 2000.
7. Magdalena Tulii, Sny i kamienie (les Songes et les Pierres), 1995.
8. Olga Tokarczuk, Prawiek i inne czasy, Warszawa, Świat Książki, 1997 ; trąd. fr.
Ch. Głogowski : Dieu, le temps, les hommes et les anges, Paris, Laffont, 1998.
9. Jerzy Jarzębski, « W poszukiwaniu stylu epoki », Apetyt na przemianę, Kraków,
Znak, 1997.
10. Antoni Gołubiew (1907-1979), auteur de Bolesław Chrobry, 1974, grande épopée
fleuve au temps de la dynastie des Piast.
11. Hanna Malewska (191 1-1983), auteur de nombreux romans consacrés à l'histoire
ancienne, entre autres Kamienie wołać będą (les Pierres vont crier, 1943) sur la construction
de la cathédrale de Beauvais.
12. Teodor Parnicki (1908-1988), auteur de grands cycles historiques, Twarze
księżyca (Visages de la lune) et Nowa baśń (Un conte nouveau), qui englobent pratiquement
2000 ans de l'histoire de grandes civilisations mondiales. Avec le temps Parnicki s'est orienté
vers des recherches formelles.
13. Jerzy Andrzejewski (1909-1983). On le voit surtout dans Ciemności kryją ziemię
(les Ténèbres couvrent la terre, 1957), et Bramy raju (les Portes du paradis, 1960).
14. Tadeusz Konwicki (né en 1926), cf. notamment Sennik współczesny (la Clé des
songes contemporains), 1963.
15. Cf. infra. L'HISTOIRE DANS LA LITTÉRATURE POLONAISE CONTEMPORAINE 373
une autre, de manière à mettre en lumière les métamorphoses de l'écriture his
torique dans les œuvres de fiction.
L'HISTOIRE AU PRÉSENT
« Que signifie le terme de "réel" appliqué au passé historique ? Que pou
vons-nous dire quand nous disons que quelque chose est "réellement
arrivé" ?16 ». Ricœur, auteur de ces questions, reconnaît qu'elles risquent d'être
très embarrassantes pour l'histori