Nikolaj Rajnov et l expérience poétique de la synthèse : les années symbolistes, 1912-1920 - article ; n°1 ; vol.68, pg 7-22
17 pages
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Nikolaj Rajnov et l'expérience poétique de la synthèse : les années symbolistes, 1912-1920 - article ; n°1 ; vol.68, pg 7-22

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Description

Revue des études slaves - Année 1996 - Volume 68 - Numéro 1 - Pages 7-22
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Isabelle Vrinat
Nikolaj Rajnov et l'expérience poétique de la synthèse : les
années symbolistes, 1912-1920
In: Revue des études slaves, Tome 68, fascicule 1, 1996. pp. 7-22.
Citer ce document / Cite this document :
Vrinat Isabelle. Nikolaj Rajnov et l'expérience poétique de la synthèse : les années symbolistes, 1912-1920. In: Revue des
études slaves, Tome 68, fascicule 1, 1996. pp. 7-22.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1996_num_68_1_6304RAJNOV NIKOLAJ
ET L'EXPÉRIENCE POÉTIQUE DE LA SYNTHÈSE
Les années symbolistes, 1912-1920
PAR
ISABELLE VRINAT
Maître incontesté de la prose symboliste, « architecte de notre langue »
pour ses contemporains, Nikolaj Rajnov (1889-1954) apparaît aujourd'hui
comme une curiosité dans la littérature bulgare. Si les poètes symbolistes ont
réintégré depuis quelques années le panthéon des classiques bulgares, ce prosa
teur n'est exhumé de nos jours que comme conteur ou comme théosophe. Son
écriture un peu surannée et anti-réaliste ne semble plus guère prisée à l'heure
actuelle.
C'est au cours des années dix et au début des années vingt que Nikolaj
Rajnov se révéla au public et à lui-même par un foisonnement d'oeuvres des plus
« exotiques » à la mentalité bulgare, qui adaptent certains thèmes et esthétiques
familiers à l'Europe occidentale de la fin du XIXe siècle. Elles reflètent égale
ment une expérience particulière de l'écriture. Car l'expérience centrale de cette
période inaugurale dans la création de Rajnov n'est pas tant la connaissance des
voies du salut et des mystères divins, comme voudrait nous le laisser entendre
l'écrivain, que celle de la « synthèse » qui se fait jour dans l'expérience de la
création littéraire et picturale. Bien plus qu'un mot d'ordre esthétique hérité de
la mode symboliste et lancé d'article en article dans les revues Vezni (1919-
1922) et Zlatorog (1920-1943), l'idée de synthèse cristallise dans l'écriture de
Nikolaj Rajnov la perception originale qu'a l'écrivain des choses et des êtres,
ainsi que son rapport au monde. Celui-ci lui apparaît sous la forme d'un
« réseau » (mreža, en bulgare), à la fois comme un « filet » qui enveloppe l'être
humain dans ses mailles, qui le prend dans ses « rets », l'empêchant de connaître
la « vraie » vérité, et comme un « lacis » de relations enchevêtrées les unes dans
les autres.
Réunir, joindre, comparer, nier la différence, abolir toute frontière tempor
elle et géographique, mais également syntaxique et lexicale, telle est « l'obses
sion » révélée par chacun des livres créés entre 1912 et 1920 : s'il y a un secret
enfoui dans l'ensemble de l'œuvre de Rajnov, c'est bien celui d'une quête inces-
Rev. Étud. slaves, Paris, LXVIII/1, 1996, p. 7-22. 8 ISABELLE VRINAT
sante, circonscrite à trois grands pôles d'attraction, lesquels sont la langue
maternelle, le passé et l'Orient. L'écrivain sut résumer sa démarche créatrice en
quelques lignes autobiographiques écrites en 1919 :
J'allais beaucoup de par chez nous, dans toute la Bulgarie, pour apprendre la
langue : j'avais honte de ne pas connaître notre langue, et d'être obligé de me servir de
mots étrangers. J'allai également en Orient, d'où je garde un cahier jauni que, peut-
être, un jour je publierai. Je suivais les traces des mouvements spirituels perdus t...].1
Cette quête créatrice se transforme en reconquête du verbe maternel, flétri
et avili depuis les siècles d'occupation byzantine et ottomane, — reconquête de
l'unité originelle et du paradis perdu ; elle s'inscrit dans un espace-temps loin
tain et coupé du présent honni, celui imaginaire d'avant la chute, d'avant l'exil,
et d'avant la séparation d'avec l'intimité de Dieu.
La première œuvre, Légendes bogomiles (Bogomilski legendi, 1912), a
pour objet de ressusciter l'antique munificence de la parole natale, qui n'est
autre que celle des bogomiles, les « premiers mystiques » apparus sur le sol bul
gare et « détenteurs de la Tradition unique » venue d'Orient. Cet apocryphe
moderne multiplie les références aux religions antiques et aux doctrines dual
istes exprimant, selon l'écrivain-théosophe, une seule et même vérité. Le pre
mier contact de Rajnov avec l'idée de synthèse se fit par le bogomilisme, foyer
spirituel ancré dans le sol natal à la croisée de l'Orient et de l'Occident ; le mou
vement dualiste devenait ľ« ultime héritier » de la doctrine syncrétiste antique :
recréer une œuvre bogomile équivalait à engendrer une parole hiératique perdue,
réglée jadis par la « Tradition sacrée », pour resacraliser et revivifier la langue
moderne. L'imitation d'une langue archaïque répondait également à un souci
d'originalité et à des préoccupations esthétiques inspirées du symbolisme, aux
quelles l'auteur, mu par le secret désir de transformer la langue maternelle en
« évangile des correspondances », prêta forme par la « stylisation ». En effet, les
expressions « stylisation décorative » (dekorativna stilizacija) et « verbe décor
atif » (dekorativno slovo) allaient devenir les mots clefs de l'écrivain, lui
servant à définir sa création aussi bien littéraire que picturale. Rajnov aimait à
rappeler qu'il était l'inventeur de la « stylisation décorative » poétique sur le sol
bulgare :
Je fus le premier chez nous à commencer à travailler avec le mot stylisé. La styl
isation décorative est un travail difficile aussi bien dans les arts plastiques que dans la
littérature ; pour cela, il faut avoir une certaine culture, savoir composer, être doté
d'une capacité à généraliser, l'intelligence des mots et des images, le sens du
rythme et une imagination créatrice.2
Le verbe natal ressuscité allait être « tissé » et traversé de résonances et
d'échos multiples, pour naître d'un croisement et non plus d'une crucifixion
entre l'Orient et l'Occident. Depuis la fin du XIXe siècle, la conscience bulgare
se sentait en effet divisée entre le rejet d'un mode de vie oriental hérité du long
joug ottoman et l'aspiration à une modernité européenne occidentale. À la même
époque, le bogomilisme apparaissait aussi bien chez les historiens, les théo-
1. Nikolaj Rajnov, « Две думи за себе си », in Жътва, Sofia, Slance, 1919,
p. 91.
2. Id., « В защита на себе си », Демократически преглед, XIII, oct. 1920, n° 2,
p. 409. NIKOLAJ RAJNOV 9
sophes que chez les hommes de lettres bulgares, comme le nécessaire concilia
teur de l'Orient et de l'Occident, le maillon indispensable entre la sagesse
orientale et l'humanisme occidental.
Les Légendes bogomiles furent qualifiées dès leur publication de « forme
plastique, comme celle de ces mêmes et riches constructions en mosaïque3 », de
« tresse verbale décorative4 », de « riches broderies de la mystique orientale5 ».
Cette métaphore décorative définit avec pertinence la création littéraire de
Nikolaj Rajnov, qui est celle de l'entremêlement de lectures diverses et d'invent
ions propres à l'imagination du jeune auteur. La première œuvre se caractérise
par un patchwork textuel constitué de pièces différentes, extraites aussi bien de
la Bible que de textes occultistes du XIXe siècle, d'œuvres littéraires et philoso
phiques comme Ainsi parlait Zarathoustra, ou encore des symbolistes français
et russes.
L'écriture des Légendes bogomiles se fonde tout d'abord sur l'imitation
stylistique de la Bible : elle s'inspire notamment du blason, genre du Cantique
des cantiques, et de la description « décorative » de la Demeure de Salomon
dans I Rois (VI, VII), ou de la Jérusalem céleste dans l'Apocalypse (XXI).
Refrains, leitmotive et allitérations s'accumulent, accentuant la poétisation du
style biblique imité. La langue stylisée de Rajnov abolit toute frontière entre la
prose et la poésie, e

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