«Ondine », ondines — femme, amour et individuation - article ; n°62 ; vol.18, pg 89-102
15 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

«Ondine », ondines — femme, amour et individuation - article ; n°62 ; vol.18, pg 89-102

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
15 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Romantisme - Année 1988 - Volume 18 - Numéro 62 - Pages 89-102
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 29
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mme Christine Planté
«Ondine », ondines — femme, amour et individuation
In: Romantisme, 1988, n°62. pp. 89-102.
Citer ce document / Cite this document :
Planté Christine. «Ondine », ondines — femme, amour et individuation. In: Romantisme, 1988, n°62. pp. 89-102.
doi : 10.3406/roman.1988.5550
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1988_num_18_62_5550Christine PLANTE
« Ondine », ondines — femme, amour et individuation
Ondine, dans le récit de Friedrich de La Motte-Fouqué qui porte ce
titre \ est à la fois le nom d'une espèce, celle des esprits élémentaires des
eaux, et le nom propre de l'héroïne. L'ambivalence suffit à indiquer que
l'histoire d'Ondine est celle, tragique, d'une individuation : de l'arrachement
à l'indistinction de l'élément originel par l'amour. Pas de nom propre pour
Ondine parce que les ondines — comme les femmes ? — si semblables aux
hommes, sont pourtant tellement autres qu'elles constituent à leurs yeux
l'Autre au sein duquel il n'est plus de différenciation possible : chaque
Ondine est l'Ondine — chaque femme La Femme ? — ce qui suffit à la
définir2.
Au départ, une croyance empruntée à Paracelse : les esprits des eaux,
des airs ou du feu ne diffèrent des hommes que par l'absence en eux de
l'âme éternelle. Telle est Ondine au début du récit : changeante, fluide et
insaisissable comme l'élément dont elle provient jusque dans son nom. Pour
accéder à la fixité d'une identité individuelle et à une idée stable du bien
et du mal : pour acquérir une âme, il faudra conquérir le cœur d'un homme
qui accepte de l'épouser et l'élève à l'humanité par son union avec elle.
C'est ce qu'a voulu le père d'Ondine, puissant prince des eaux. De cette
histoire la mère est étrangement absente — à moins que ce ne soit l'eau
même qui figure le lieu maternel8. Un homme donc est à l'origine de
l'aventure d'Ondine, et de sa séparation du milieu aquatique originel, dont
lui-même ne supportera pas les prévisibles conséquences. Apparemment
dépourvue de volonté propre, Ondine, dans les eaux comme sur terre, est
soumise aux vouloirs des hommes.
Le projet paternel est mis en œuvre, et la voici, tout enfant, recueillie
par un couple de vieux pêcheurs qui viennent de perdre leur propre fillette
dans d'étranges circonstances. Elle jouait au bord d'un lac et, s'étant pen
chée vers l'eau comme si elle y voyait « quelque chose de merveilleusement
beau », elle a tendu les mains et glissé subitement des bras de sa mère dans
ce « miroir liquide ». On ne Га pas retrouvée. Mais une petite fille aux
cheveux ruisselants d'eau est alors miraculeusement apparue chez les vieilles
gens — échange inaugural qui préfigure la rivalité amoureuse ultérieure. Les
pêcheurs bien sûr l'adoptent, se prennent d'affection pour elle malgré son
caractère fantasque, et la font baptiser : Ondine, puisqu'elle n'accepte pas
d'autre nom.
Des années plus tard, le chevalier Huldbrand de Ringstetten traverse
une forêt enchantée pour mériter le gant de Bertalda, dame de ses pensées. 90 Christine Planté
II y est victime de terrifiantes apparitions, mais parvient enfin, par une nuit
d'orage, à la maison des vieux pêcheurs — c'est sur cette arrivée que
s'ouvre le récit de Fouqué. Le chevalier ne tarde pas à tomber amoureux
d'Ondine, et à l'épouser. Au lendemain de la nuit de noces, totalement
métamorphosée, elle abandonne ses extravagances antérieures et révèle à
son époux sa véritable nature : s'il vient à la repousser, elle devra retourner
vers les siens, mais demeurera désormais, au fond des eaux, « une femme
dotée d'âme, aimant et souffrant >. Huldbrand décide de conserver son
étrange épouse et la ramène à la ville, où elle vérifie vite que la souffrance
est indissociable de la conscience et de l'amour.
Ils ont en effet retrouvé Bertalda, qui n'est autre que la fillette jadis
perdue par les pêcheurs, rencontrée au bord du lac par un puissant duc et
adoptée. Lors d'un repas public, Ondine révèle à Bertalda sa véritable et
roturière origine ; humiliée et rejetée de tous elle est recueillie par les jeunes
époux apitoyés, et vient vivre dans leur intimité. Huldbrand se rapproche
d'elle peu à peu et, cédant à sa séduction, en vient à regretter son union
avec un esprit élémentaire. Aimante, fidèle par-delà les trahisons de son
mari parce qu'elle a appris « l'étroite parenté qui met entre les joies et les
peines de l'amour une si douce ressemblance et les unit si intimement que
rien ne saurait les séparer », Ondine pardonne et n'exige rien. Mais elle
n'a pas le pouvoir de s'opposer à la loi des ondines : au cours d'un voyage
sur le Rhin voulu par Bertalda, il suffit d'une insulte de son époux pour
qu'elle doive retourner aux eaux du fleuve, qui l'engloutissent.
D'abord désespéré, Huldbrand oublie bientôt son chagrin, et épouse
Bertalda. Le soir de leurs noces, elle fait ôter la lourde pierre qui, sur les
ordres d'Ondine, scellait le puits de Ringstetten pour barrer la route aux
esprits des eaux. La malédiction peut s'accomplir : Ondine, surgie du puits,
revient et apporte à celui qu'elle aime la mort dans un baiser : enlaçant
Huldbrand, qui ne résiste pas, elle « le fait mourir de ses larmes > 4 qui
pénètrent jusqu'au cœur.
Ce conte est une exception dans l'œuvre de Fouqué, écrivain généra
lement dédaigné pour la fadeur de ses écrits et le conformisme de ses opi
nions. Il a suscité une admiration constante, chez Gœthe comme chez Poe
ou Wagner, et connu toute une postérité 5. En France, ce fut, grâce à ses
éditions populaires, une des œuvres les plus traduites et les plus lues du
romantisme allemand, avec le Peter Schlemihl de Chamisso. L'évocation
d'Ondine dans Gaspard de la nuit, par exemple, se réfère très précisément
au texte de Fouqué. Sa popularité était telle que Marceline Desbordes-
Valmore put donner ce prénom non seulement à l'héroïne de son roman,
largement autobiographique, L'Atelier d'un peintre*, mais aussi, malgré le
destin malheureux qu'il rappelait, à sa propre fille qui conserva l'usage de
ce surnom jusqu'à sa mort. Au xx* siècle encore, Giraudoux propose une
réécriture du mythe ; elle accentue l'identification d'Ondine à l'éternel fémi
nin et tire cette histoire vers la fable d'une incompréhension irréversible
entre les sexes. Telle est aussi la lecture faite, le plus souvent, de Y Undine
geht 7 de Ingeborg Bachmann.
Il y a pourtant dans la fascination exercée par ce bref et simple conte
de quoi étonner, si on n'y lit que l'aventure sentimentale et vaguement fan
tastique d'une jeune amoureuse délaissée. J'ai voulu y voir plus : comment
ces trois personnages, auxquels s'attache, sous une forme particulière pour
chacun, une malédiction de l'élément liquide, disent la douleur de l'amour Ondines 91
et la difficulté d'être femme. Bertalda, soucieuse de paraître et victime des
apparences, attirée par les surfaces et par les images brillantes, cède à la
fascination de Геаи-miroir. Ondine cherche l'individuation par l'amour, mais
ne réussit pas à s'arracher à l'élément originel ; parce qu'elle attend tout,
jusqu'au devenir elle-même, de l'amour, elle reste vouée à la conscience
malheureuse et aux larmes. Huldbrand meurt d'avoir trahi et renié, avec sa
femme Ondine, la fidélité à sa parole et une part de lui-même ; seule la
mort, une mort singulièrement douce et acceptée, vient mettre un terme à
la culpabilité et à la peur, dans une ultime conciliation. J'ai voulu suivre
leur histoire, ainsi comprise ses métamorphoses, à travers la littérature
du xix€ siècle, et jusqu'à aujourd'hui.
Bertalda, l'eau-miroir : Narcisse et Ophélie
Quel était l'objet merveilleusement beau vers lequel la fillette au bord
du lac tendait les mains : son propre reflet, un scintillement des eaux, un
artifice des ondins ou la mort entrevue? L'histoire ne le dit pas, mais

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents