Paroles de détenus - article ; n°2 ; vol.1, pg 219-237
20 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Paroles de détenus - article ; n°2 ; vol.1, pg 219-237

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
20 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Déviance et société - Année 1977 - Volume 1 - Numéro 2 - Pages 219-237
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

G. Campioli
G. De Coninck
Paroles de détenus
In: Déviance et société. 1977 - Vol. 1 - N°2. pp. 219-237.
Citer ce document / Cite this document :
Campioli G., De Coninck G. Paroles de détenus. In: Déviance et société. 1977 - Vol. 1 - N°2. pp. 219-237.
doi : 10.3406/ds.1977.949
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ds_0378-7931_1977_num_1_2_949Déviance et Société, Genève, 1977, vol. 1, No 2, p. 219-237
PAROLES DE DETENUS
Présentation de G. CAMPIOLI et G. De CONINCK *
I. Le lieu d'où l'on parle
Les propos ci-après ont été récoltés au cours de plusieurs
rencontres, de discussions très "libres" entre, d'une part, deux
chercheurs autorisés dans le cadre d'une coopération Administration
pénitentiaire-Universités à investiguer en milieu carcéral belge et,
d'autre part, un petit groupe de détenus (cinq ou six), condamnés pour
la plupart à des peines correctionnelles de moins de cinq ans.
On voudrait situer plus précisément ces interventions et fixer du
même coup la portée et les limites des témoignages qu'ils constituent en
formulant au préalable quelques remarques.
— La tâche d'interviewer des détenus, de les faire parler
d'eux-mêmes, de la prison et des rapports qui s'y nouent, outre qu'elle
fournit parfois quelques informations, a, au moins pour le chercheur, la
vertu pédagogique essentielle de démontrer, par l'absurde, la pauvreté
d'une technique fondée sur le rapport irréel entre l'enquêteur neutre,
impassible, à la fois proche et distant, et l'enquêté animé par le seul
souci d'assurer la manifestation de la vérité (souci que déclencherait
nécessairement l'annonce du travail à vocation scientifique) et qui au
terme d'une introspection aussi complète que profonde communiq
uerait, en toute confiance et avec le maximum d'objectivité, les
informations souhaitées, y compris les plus indiscrètes. S'il est déjà
périlleux de tenir pour déterminée à l'avance et sans autre contrôle,
l'aptitude des sujets à répondre au cadre conventionnel de l'entretien
lorsqu'il s'agit d'individus qui s'insèrent le plus complètement dans la
société, que dire lorsqu'on a affaire à des gens qui, comme les détenus,
le sont si peu. Outre que l'entretien, comme cas particulier de l'échange
social n'échappe pas — et ici moins que jamais — aux conventions
relatives à ce qu'il faut dire ou ne pas dire, la situation d'interaction
s'interprète le plus souvent selon des règles qui renvoient à des formes
de relations diverses selon les cas mais toutes également perverties :
l'interrogation policière, l'entretien avec le psychologue, la comparution
devant le juge, la confidence à l'avocat... A l'évidence, au cours d'une
discussion avec des détenus, bien d'autres préoccupations se substituent
au souci d'éclairer, en toute sincérité, le chercheur.
* Université de Liège.
219 Rencontrer un sociologue (un psychologue, un prêtre, un assistant
social, un n'importe qui) c'est d'abord sortir de sa cellule, c'est-à-dire
rompre la monotonie de l'existence, bénéficier d'une récréation. Un
plaisir en valant un autre, il est bien rare qu'on refuse de répondre à des
questions, ne serait-ce que pour montrer une bonne volonté qui, dans
l'esprit de celui qui la manifeste, doit encourager l'interlocuteur à
renouveler l'entretien : le clin œil complice à la fin d'une première
discussion, la promesse d'en dire davantage, la prochaine fois, ne sont
souvent que les signes pathétiques de la crainte d'avoir mal calculé, d'en
avoir trop dit ou trop peu et donc suggéré implicitement à
l'interlocuteur l'inutilité d'autres contacts. La plupart du temps il n'est
même pas nécessaire de poser une question, le détenu entame sans
autres préalables l'histoire de sa vie, une histoire minutieusement
élaborée (on a le temps), et que les multiples contacts, parfois depuis
l'enfance, avec les éducateurs, juges, psychologues ... permettent
d'améliorer sans cesse. Dans certains cas, la familiarité avec ces
professionnels est si grande que le détenu dispose de plusieurs versions
parmi lesquelles il choisit selon sa perception des attentes du spécialiste.
Devenu expert à l'école des experts, il est capable de sélectionner les
faits significatifs au regard des théories qui structurent la vision des
experts et d'en prédire, à coup sûr, les effets. Reconnaissons cependant
que le discours sociologique reste le plus méconnu et que les confusions
y abondent. Faute d'informations suffisantes (et à cet égard le
personnel est encore plus démuni que le détenu), le sociologue est soit
assimilé à d'autres rôles plus fixés (assistant social, psychologue), soit
réduit à sa représentation stéréotypée de barbu — chevelu-
contestataire-gauchiste. Cette dernière image ne laisse pas d'inquéter les
détenus car "s'ils sont vraiment ce que je crois qu'ils sont, comment les
fumant" qu'il a-t-on laissé entrer ici ? ". Faut-il y voir un "coup
convient, en expert, d'admirer ou une manigance supplémentaire de la
justice qui délègue, pour notre perte, de faux sociologues simplement
déguisés ?
Rencontrer un sociologue (un psychologue ...) c'est aussi, "on ne
sait jamais", une occasion supplémentaire de convaincre quelqu'un qui
pourrait peut-être un jour favoriser le privilège d'une libération
conditionnelle, l'octroi d'un congé pénitentiaire, l'obtention d'un job
plus rémunérateur ... et donc tenir des propos conformistes, démontrer
son amendement, proclamer son innocence, promettre une conduite
plus digne, nier les conflits, les revendications, voire parfois célébrer les
vertus de l'institution et même ... l'excellence de la cuisine. Mais aussi,
les choses ne sont jamais simples, on peut vouloir (particulièrement
dans le cas d'interviews de groupe) affirmer le leadership qui s'exerce
déjà dans d'autres domaines de la vie carcérale et prendre la tête des
220 à travers une surenchère dans les griefs qu'on accumule revendications
et dans la sévérité des condamnations.
La tâche du sociologue se complique encore quand on la saisit
dans ses rapports conflictuels avec le personnel et la direction. Ces
tensions ne sont qu'un cas particulier des tensions que G.H. MEAD
(The psychology of punitive justice) observait déjà dans toutes les
organisations chargées du contrôle social qui prétendent "réhabiliter"
les déviants, entre les fonctions de gardiennage et les nécessités
thérapeutiques. Ce n'est pas seulement que ceux qui assument ces
diverses tâches sont, socialement et culturellement, très différemment
marqués, c'est aussi qu'on ne peut impliquer, avec quelque chance de
succès, l'individu dans une relation "thérapeutique"' que si on l'a
convaincu, d'une certaine façon, que le thérapeute est de son côté ("on
his side"), en énervant donc le système de représentations en vigueur
dans l'institution et à l'extérieur (1). Les pressions diverses exercées par
les responsables de la prison, tant à l'égard du chercheur ("ne voyez pas
X mais plutôt Y") que du détenu ("ça ne sert à rien de discuter avec
eux") mais surtout les rumeurs nées à propos de ces pressions,
contribuent à sélectionner le "public" : d'aucuns hésitent à parler
puisque cela pourrait peut-être leur nuire, d'autres n'en voient pas
l'utilité car, à l'évidence, on ne saurait les aider, certains enfin, qui n'ont
pas grand-chose à perdre ou à espérer, s'expriment au contraire plus
volontiers et plus violemment.
A ces difficultés qui tiennent aux rapports entretenus par le
chercheur et les titulaires des autres rôles, s'ajoutent encore les tensions
nées de l'extrême difficulté qu'il y a à conserver l'attitude qu'exige de
lui une certaine conception du travail scientifique. Il lui faut participer
aux valeurs des personnes et des groupes qu'il observe, partager les

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents