Première génération  - article ; n°1 ; vol.90, pg 37-52
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Description

Actes de la recherche en sciences sociales - Année 1991 - Volume 90 - Numéro 1 - Pages 37-52
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 46
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Rosine Christin
Première génération
In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 90, décembre 1991. pp. 37-52.
Citer ce document / Cite this document :
Christin Rosine. Première génération . In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 90, décembre 1991. pp. 37-52.
doi : 10.3406/arss.1991.2995
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1991_num_90_1_2995:
:
:
ROSINE CHRISTIN
PREMIERE GENERATION
Entretiens d1 un collège avec de un la professeur banlieue parisienne de lettres
D'elle nous pensions tout savoir l'origine provinciale, le dépressions et congés-maladie ou "les gamins qui (la)
harcèlent" pour faire de la vidéo. grand-père paysan et les parents ouvriers rapidement
évoqués, les prix d'excellence au lycée, puis les études
Elle avait su aussi exprimer son découragement de lettres à Toulouse, la montée à Paris, enfin le collège
sans pour autant se renier ni dénigrer. C'était un portrait du Val-d'Oise, et vingt-cinq ans d'une vie d'enseignante
exemplaire et qui, nous semblait-il, allait au fond des dans la banlieue parisienne.
choses. Pourtant autour du magnétophone, seule la vie Dans un premier entretien mené en janvier 1991, professionnelle de Fanny avait été évoquée, comme si le elle avait raconté l'enthousiasme de ses débuts, son mili décor impersonnel et la situation officielle d'entretien
tantisme de jeune professeur, les attentes souvent démes avaient occulté une sorte d'intimité naissante, assez natururées des élèves, la violence aussi parfois, le club vidéo, elle entre des femmes d'âge voisin, ayant en commun,
les collègues, ceux qui craquent, sa propre lassitude ; sinon un genre de vie, du moins un certain nombre de elle avait parlé d'elle, ni "petit fonctionnaire relax", ni références et de convictions. "mère Teresa", et de l'impression tenace de "faire un
boulot de merde". Plus tard, à la relecture de la transcription,
A ce premier rendez-vous, elle était venue accom dépouillée de ce que nous avions appris "hors entretien",
pagnée d'une amie, ancienne adjointe au principal de Fanny disparaissait, trop représentative peut-être d'un
son établissement. La manière d'être et de s'habiller, les malaise si répandu et divulgué qu'il en perdait sa réalité,
cachée derrière ses phrases banales de s'appliquer à tant longs cheveux blonds frisés, le large pull en jacquard, le
langage un peu exalté, la vivacité, nous faisaient penser d'autres, à toute une profession. Sans nous l'avouer tout
d'abord, puis plus ouvertement, nous avons découvert plus à une étudiante qu'à une femme de quarante-huit
ans. L'entretien, préparé de part et d'autre, s'était déroulé peu à peu que, trop contentes de tenir un beau portrait,
nous nous étions flouées nous-mêmes en quelque sorte, un mercredi, son seul jour de congé, dans un bureau de
la Maison des sciences de l'homme. Au cours des nomb nous arrêtant à la surface des choses. Pourtant, entre les
lignes, et comme en filigrane, jaillissaient de petites notareuses conversations préalables, Fanny, d'un tempéra
ment inquiet et scrupuleux, s'était à plusieurs reprises tions, à peine entrevues, comme des appels à quest
informée de notre travail avant d'accepter de répondre à ions pourquoi ces journées de plus de dix heures, ce
nos questions. Certes, nous connaissions de nombreux manque de disponibilité dont son mari se plaignait tant,
enseignants atteints de ce "malaise des profs" et nous les cet acharnement au travail, au détriment de toute vie
familiale que "ses filles lui reprochent maintenant" et ce avions déjà interrogés, mais Fanny parlait avec intensité
et sensibilité de son collège du Val-d'Oise, qui rassemble divorce dont elle parle à peine ? "Elle ne connaît pas de
700 élèves, enfants d'employés et de cadres, en accession couple où il y a un enseignant qui n'ait pas eu des pro
blèmes de ce type" simple effet du dévouement à un à la propriété de petits pavillons, et dans lequel elle
métier-sacerdoce réclamant un investissement de tous les enseigne depuis une dizaine d'années. A plusieurs
reprises, ce jour-là, elle avait su faire vivre pour nous, au instants, adhésion irrésistible au personnage qu'il faut
jouer, pour les autres et pour soi-même, et jusque dans quotidien, ce collège parmi d'autres, le principal qui
"veut se faire mousser", les collègues qui accumulent la vie familiale ?
37 ;
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Il fallait pousser plus loin notre conversation avec lège de Pavie, en classe de philo, Fanny est une très
elle, en savoir plus pour comprendre ce que tant bonne élève, elle veut "être toubib", les parents s'y oppos
d'indices laissaient pressentir, cette sorte d'interpénétra ent ; ce n'est pas un métier pour une femme - la mère
tion destructrice de la vie professionnelle et de la vie pri de Fanny connaît même une femme médecin qui n'exer
ce pas-, les études sont chères. Surtout, la carrière vée, dans ce cas particulier et, peut-être du même coup,
dans la vie de nombre d'enseignants. d'enseignant, qui réunit le "pouvoir et la tranquillité", a
beaucoup de prestige dans la famille. Fanny est très En avril, après quelques échanges téléphoniques, amère. Aujourd'hui elle "leur a pardonné, ils en rigolent un autre rendez-vous est pris. L'entretien sera mené chez même un peu ensemble", mais à dix-huit ans c'est une elle, cette fois, et filmé avec une petite caméra vidéo ; première rupture avec sa famille. Elle choisit la philo et l'idée amuse plutôt Fanny qui, pour une fois, sera de s'inscrit en classe préparatoire au lycée Pierre-de-Fermat l'autre côté de la caméra. Nous espérons que le docu
à Toulouse, ce qui lui permet de bénéficier d'une bourse. ment nous permettra de saisir et d'analyser à loisir des Elle oublie vite la médecine et découvre la fac, la grande gestes, des expressions ou des regards que la vivacité ville, les discussions intellectuelles, "s'amuse beaucoup" même de Fanny nous a fait manquer. et rate le concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure
A trente minutes de la porte de la Chapelle, une sans trop de regrets. Elle passe une licence de lettres
longue avenue, ni triste ni gaie, éloignée du centre, "comme tout le monde", s'intéresse au théâtre, à la
déserte à cette heure de l'après-midi, bordée de petits musique comme si elle n'osait pas effacer ses origines,
immeubles de quatre étages, convenables, groupés en l'intérêt pour la culture est, pour elle, une sorte d'accom
"résidences" et entourés d'une maigre végétation. Elle vit plissement individuel ou de prouesse singulière mais non
là, avec ses deux filles jumelles âgées de vingt-trois ans. un gage sérieux et nécessaire de l'entrée dans une vie
Deux chambres, un petit séjour ; c'est l'appartement jugée de toute façon inaccessible.
qu'elle a occupé avec son mari pendant plus de quinze
C'est à Toulouse qu'elle fait la connaissance de ans. Ils l'avaient installé ensemble, rien n'a bougé et tout
son futur mari, de trois ans plus jeune ce n'est pas un est à refaire, la tapisserie se décolle, il faudrait la chang
étudiant. Là encore, elle n'envisage pas, à la manière des er, les meubles ont besoin d'être réparés, elle le sait
autres étudiantes, d'épouser un futur professeur, par bien et elle en souffre un peu mais elle a eu trop à faire, exemple, ou de s'élever par le jeu de l'alliance et de la depuis le départ de son mari, en 85, pour "recoller les
séduction, l'amour faisant sans doute aussi leur place, morceaux" avec ses filles. L'une prépare un diplôme
peut-être à son insu, aux raisons obscures du réalisme et d'éducatrice, l'autre est horticultrice.
de l'humilité. Il faut compter sur ses seules forces et sur
La vie de Fanny est jalonnée de déracinements, de ceux qui vous ressemblent. Et Bernard est d'un "milieu
renoncements, de ruptures. Elle est fille d'un ouvrier ti très, très modeste" ; élève au lycée aéronautique, il rêve
sserand, lui-même fils d'un paysan de l'Ariège

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