Recherches sur les campagnes de Solomon en Numidie méridionale (535-589) - article ; n°1 ; vol.137, pg 83-106

Morizot Pierre

Description

Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres - Année 1993 - Volume 137 - Numéro 1 - Pages 83-106
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: COMPTES-RENDUS_DES_SEANCES_DE_L-ACADEMIE_DES_INSCRIPTIONS_ET_BELLES-LETTRES
• Publié le: 01 janvier 1993
• Nombre de lectures: 27
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 3 Mo

Extrait

Monsieur Pierre Morizot
Recherches sur les campagnes de Solomon en Numidie
méridionale (535-589)
In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 137e année, N. 1, 1993. pp. 83-
106.
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Morizot Pierre. Recherches sur les campagnes de Solomon en Numidie méridionale (535-589). In: Comptes-rendus des
séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 137e année, N. 1, 1993. pp. 83-106.
doi : 10.3406/crai.1993.15188
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1993_num_137_1_15188COMMUNICATION
RECHERCHES SUR LES CAMPAGNES DE SOLOMON
EN NUMIDIE MÉRIDIONALE,
PAR M. PIERRE MORIZOT
Aux lendemains de la conquête de l'Algérie, les historiens de l'Afrique
antique se sont penchés sur les écrits de Procope de Césarée avec l'espoir
d'identifier sur le terrain les étapes de la reconquête byzantine.
Après l'édition du texte grec par Hoeschel en 16051 et les tra
ductions latines de Grotius2 et du jésuite Maltret3, ils eurent bientôt
à leur disposition l'édition critique publiée à Bonn par Dindorf4.
Un peu plus tard, Dureau de la Malle publiait une « Histoire des
guerres des Romains, des Byzantins et des Vandales » qui contenait
de larges extraits en français de la Guerre des Vandales5.
À quelques variantes près, portant en particulier sur la transcrip
tion des noms de certains chefs maures, les faits qu'ils nous rapport
aient peuvent se résumer ainsi :
En 535, devant les provocations de Iabdas, chef des tribus maures
de VAurasion6 (carte 1), Solomon, qui compte sur l'alliance
d'Ortaïas, rival de Iabdas, décide d'attaquer celui-ci dans son repaire
montagnard. Poursuivant un ennemi qui se dérobe sans cesse, il
s'enfonce dans la montagne pendant 7 jours et sans même avoir
combattu, se retire précipitamment par crainte de tomber dans un
piège7 ; mais il est bien décidé à revenir8. Compte tenu des pro
blèmes internes au camp byzantin, il ne pourra le faire avant 4 ans.
Pour cette deuxième campagne, il prend comme point de départ
la ville de Bàyocïç qui a été désertée par ses habitants9. Les choses
débutent fort mal. L'avant-garde de Solomon, conduite par son
1. D. Hoeschel, Historiarum Procopii Caesariensis Libri VIII, 1607.
2. Hugo Grotius, Historia Gotthorum, Vandalorum et Longobardorum, Amsterdam, 1655.
3. C. Maltret, s.j. Procope, 2 vol., Paris, 1661-1663.
4. G. Dindorf, Corpus scriptorum historiae byzantinae, Bonn, 1833-1838.
5. M. Dureau de La Malle, L'Algérie, Histoire des guerres des Romains, des Byzantins
et des Vandales. Manuel algérien, 1852. La traduction de Dureau de La Malle est incomplète
et se réfère non aux manuscrits originaux, mais à VHistoire du Bas Empire de C. Lebeau
(1756-1779).
6. Procope, B.V., II, 13, 1-17.
7.II, 13, 30-38.
8. Procope, B.V., II, 13, 40.
9.II, 19, 5-7. L 'opos Aupaôiov décrit par Procope était apparemment
immwm j moins étendu et se limitait sans doute à l'est du massif.
Carte 1. — Localisation de l'Aurès en Numidie méridionale. LES CAMPAGNES DE SOLOMON 85
lieutenant Gontharis, se laisse surprendre par Iabdas, qui a provoqué
l'inondation du camp byzantin en détournant vers lui les eaux de
la rivière 'Ajâiyaç, au bord de laquelle il était installé. C'est la
panique10. Heureusement Solomon, qui était à courte distance, inter
vient et met les Maures en déroute. Ceux-ci se retirent alors en direc
tion de la montagne, poursuivis par Solomon. Ils sont défaits une
première fois à BàPwaiç dans les premiers contreforts de VAura-
sionn. L'armée de Iabdas se scinde alors en deux. Une partie de
ses hommes s'enfuit en Maurétanie. Le reste, 20 000 combattants
selon Procope, s'enfonce dans la montagne avec son chef.
Après une tentative de résistance à ZepPouXï), Iabdas s'installe dans
un site escarpé appelé Toû|xap ; un siège long et difficile commence.
Il se termine par la victoire de Solomon, la fuite de Iabdas blessé
et la capture de ses trésors et de ses femmes12.
I. La campagne de 538 (carte 2)
Du récit de cette campagne, émergent donc quelques toponymes,
dont deux au moins sont par ailleurs connus. Aussi est-ce la raison
pour laquelle, contrairement à l'ordre chronologique, je me propose
de la commenter tout d'abord de façon à avoir quelques points de
repères géographiques. Ces toponymes sont :
— Bàyocïç, la Bagaï des Latins, la moderne Baghaï, dont la locali
sation est assurée. Elle se trouve dans la plaine à 17 km au nord
de Khenchela, l'antique Mascula™.
— Toûjxap, parce qu'un nom de lieu voisin, jamais identifié au
demeurant (Toujxàppa) existe dans la Géographie de Ptolémée, qui
la situe d'ailleurs en Maurétanie14.
— Un troisième toponyme a pu être identifié par déduction, c'est la
rivière auprès de laquelle était campé Gontharis, r'Ajityaç qui lui valut
la mésaventure que l'on sait. Compte tenu de sa localisation, il ne peut
s'agir que de l'oued Bou Roughal que certaines cartes appellent Baghaï15.
La vraisemblance du stratagème employé par Iabdas s'est trouvée ample
ment confirmée par la construction à Foum Gueiss, dans un passé récent,
d'un barrage qui permet d'irriguer la plaine de Baghaï (carte 3).
10. Procope, B.V., II, 19, 10-15.
11.B.V.y II, 19, 16-17.
12. Procope, B.V., II, 20, 28.
13. A.A.A., f° 28, n° 68.
14. Ptolémée, XIV, 2, 7. J. Desanges s'est demandé s'il n'y avait pas lieu d'étendre
vers l'est en direction de l'Aurès la Maurétanie de Ptolémée de façon à faire coïncider
la Toû[i<xp de Procope avec la Tou^àppa de Ptolémée. J. Desanges, « Les territoires gétules
de Juba » dans R.E.A., LXVI, 1964, p. 38-41 et carte h.t. La Toûjjiap que nous proposons
nous éloigne un peu plus encore de la Maurétanie telle qu'on l'imagine d'ordinaire.
15. A.A.A., f° 38, n° 91, col. I, 1. 59. Vers Cirta
Voie romaine de Lambèse à Mascula et Bagaïs
Itinéraire suivi en 535 suivi en 539
Camp au bord de l'oued Taga.
Voie empruntant le défilé de Foum Krazza (dédicade de la seconde moitié du IIIe siècle).
Tamagra. Propriété de Julius Junianue Martialinus, légat sous Alexandre Sévère, aux bords
d'un affluent de l'Oued el Arab, "rivière pérenne".
Le Djebel Djaafa ou "Oros Aspidos" de Procope.
Bagaïs et l'oued Abigas.
Babarou Babosis.
Zerboulé.
Taberdaa OU Touma r. Carte 2. — Les campagnes de Solomon. '
LES CAMPAGNES DE SOLOMON 87
II I Bassin versant
Périmètre irrita
*■ Batnt
' ' ' \ A
Carte 3. — Périmètre irrigable de Foum el Gueiss.
Comme Procope situe Toujxap au-delà de la cime de YAurasion,
Masqueray s'est efforcé de la retrouver en escaladant tous les sommets
avoisinant ou dépassant 2 000 m, sans y découvrir le moindre vestige
antique16. Je me suis livré à une quête de même nature, mais plus
aisée dans les archives de l'armée de l'Air, complétée par plusieurs
reconnaissances sur le terrain. Songeant aux problèmes de survie d'une
armée, de besoins en eau en particulier, j'ai écarté de mes recherches
les plus hauts sommets déjà explorés par Masqueray et les ai orientées
vers quelques forteresses naturelles faciles à défendre, proches d'un
16. E. Masqueray, De aurasio monte, Paris, 1886, p. 4-14. COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS 88
point d'eau et capables d'accueillir quelques milliers d'hommes (car
sur les 20 000 hommes que comptait encore Iabdas après le combat
de BdcPcootç, un certain nombre était resté en arrière pour défendre
Comme, d'autre part, Procope qui a décrit au chapitre xm, YAura-
sion comme une montagne verdoyante où sources et rivières sont
nombreuses17, évoque à plusieurs reprises au chapitre xix, la séche
resse des environs de Toû|xap et le manque d'eau dont souffre l'armée
byzantine18, je me suis interrogé sur cette contradiction. Or elle
n'est que la constatation d'une réalité climatique. Lorsqu'on a franchi
la crête de l'Aurès, on quitte brusquement le climat tellien pour pénét
rer sur le versant saharien dans une zone qui devient progr