Sang sur : Michelet et le sang féminin - article ; n°31 ; vol.11, pg 151-166
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Description

Romantisme - Année 1981 - Volume 11 - Numéro 31 - Pages 151-166
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1981
Nombre de lectures 36
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Thérèse Moreau
Sang sur : Michelet et le sang féminin
In: Romantisme, 1981, n°31. Sangs. pp. 151-166.
Citer ce document / Cite this document :
Moreau Thérèse. Sang sur : Michelet et le sang féminin. In: Romantisme, 1981, n°31. Sangs. pp. 151-166.
doi : 10.3406/roman.1981.4478
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1981_num_11_31_4478Thérèse MOREAU
Sang sur1 : Michelet et le sang féminin.
Femina corpus, opes, animam, vim lumina
Polîuit, adnihilat, necat, eripit, acerbat vocem:
La fascination horrifiée de ce sang qu'on ne saurait voir ferait de
l'historien un précurseur de l'érotisme voyeuriste du XXème siècle. La
femme coïnciderait avec son sang, son cycle, lieu de toute la sexualité
féminine. Car la femme est une « matrice ». Michelet en cherchera long
temps sur les cadavres la confirmation ; il la trouvera enfin au cerveau.
Il existerait en effet sur celui de la femme « un signe qui manquait aux
hommes, un gonflement proéminent de fibres qui terminent et pour
ainsi dire ferment le bulbe rachidien. S'il en est toujours ainsi, c'est un
signe fixe du sexe [...] : la femme est marquée d'un anneau (3) ». Ces
recherches entraient, pour Michelet, non point dans un art d'aimer,
mais dans une œuvre de réhabilitation de la femme et de réforme sociale.
C'est que, pour l'historien, sciences, mœurs et lois sont paradigmati-
ques : changer l'un c'est métamorphoser les autres. C'est ainsi que d'a
près la Sorcière celle-ci devait périr par le progrès des sciences, par le
médecin, par le naturaliste. Notons néanmoins que cette mort est une
renaissance puisque des cendres de la sorcière naît tërfée.
La législation napoléonienne, l'antinomie des femmes et du pro
grès prendraient leurs racines dans une science obscurantiste et moyenâg
euse. Celle-ci enseigne que la femme est une impure et maléfique sor
cière. La sorcellerie avait été affaire de femmes ; Sprenger écrit dans
son apologie que Satan a envoyé dans le
« champ du Seigneur une perversion hérétique surprenante, je veux dire
l'Hérésie des Sorcières, ainsi caractérisée par le sexe où on la voit surtout
sévir [...] A cause en effet d'un pacte avec l'enfer et une alliance avec la mort,
pour réaliser leurs desseins dépravés, ces femmes se soumettent à la plus hon
teuse servitude ; et s'y ajoutent des maux quotidiens qui atteignent, avec la
permission de Dieu et par la puissance du diable, hommes, bêtes et fruits de
la terre » (4).
La connivence de la femme et de la mort est ici de l'ordre du char
nel, du sexuel. C'est, pour Sprenger et de nombreux écrivains, dans le
1. L'absence de circonflexe est évidemment voulue.
2. Cardinal Hugues de Saint-Cher, dans G.G. Coulton, Five Centuries of
Religion, Cambridge, 1929, 1, p. 177.
3. Jules Michelet, La Femme, inédit, à paraître au Tome XX des Oeuvres
complètes (Flammarion).
4. Jacques Sprenger, Le Marteau des Sorcières, Pion, 1973, p. 127. 152 Thérèse Moreau
sexe de la femme, dans la menstruation qu'il faut chercher la faute. La
Bulle d'Innocent III recense les grands actes de sorcellerie : « par des
incantations, des charmes, des conjurations, d'autres infamies supersti
tieuses et des excès magiques, elles font dépérir, s'étouffer et s'éteindre
la progéniture des femmes, les petits des animaux, les moissons de la
terre, les raisins des vignes et les fruits des arbres » (le Marteau des Sor
cières, p. 118). Ces actes magiques ont partie liée avec la menstruation.
Le texte de référence est Pline pour qui le sang menstruel avait le pou
voir de tarir les sources, de dessécher les moissons, d'annihiler les an
imaux. Philtres d'amour et philtres de mort contiennent quelques gout
tes de sang menstruel ; le prélèvement rituel de ce sang fait partie de
l'iconographie des sorcières et démones. On enseignait encore au
XIXème siècle que ce sang était impur, qu'il faisait tourner le vin en v
inaigre, aigrir le lait, ternir l'étain. Or pour Michelet ces affirmations
livrent la femme comme une chose, la punissent comme une person
ne (5).
La morale et la loi judéo-chrétienne occidentale ont, pour Michel
et, une grande responsabilité dans cet état de fait. Sorcière, Circé, mag
icienne, la femme est tout cela en son corps, son vécu corporel. Nulle
ne peut échapper à son destin puisque l'Eglise rejette sur Eve le poids de
la faute originelle. Celle-ci pèche par son sexe :
« L'Église est nettement contre elle et lui garde rancune du péché d'Eve.
Elle la tient pour la tentation incarnée et l'intime amie du démon. Elle
souffre le mariage en préférant le célibat, comme vie de pureté, car impure
est la femme. Cette doctrine est si profondément celle du Moyen Age, que
ceux qui veulent en renouveler l'esprit soutiennent (contre la chimie, voyez
la note), que justement, dans sa crise sacrée, le sang de la femme est im
monde. Telle physique, telle législation. La femme, à ce point ravalée, que
sera-t-elle, sinon serve et servante de l'être le plus pur qui est l'homme ? Elle
est le corps, il est l'esprit » .
(L'Amour, p. 111)
La femme entre dans son enfer le jour de la puberté. D'enfant elle de
vient un être accidentel et manqué, indigne d'entrer dans la création
divine puisque « la puanteur et l'immondice l'accompagnent tou
jours » (Innocent III). Michelet ne constate pas de rupture entre la
christianisme et la loi judaïque. Pour lui, les Pères de l'Eglise suivent
Moïse, car impure et maudite, la femme rappelle aux hommes leur
animalité. Les lois sur la menstruation et l'accouchement sont en fait
consignées à la rubrique Lois sur les animaux purs et impurs. Mais la
femme qui menstrue n'est pas un simple tabou comme l'est le porc, la
chauve-souris ou le caméléon ; elle pollue par métonymie. On ne l'a
pprochera pas, on ne touchera rien qui ait pu être en contact avec son
« indisposition » : « Quiconque la touchera restera impur jusqu'au soir.
Tout lit sur lequel elle s'assiéra sera impur. Quiconque touchera un ob
jet sur lequel elle s'est assise lavera ses vêtements, se lavera et restera
impur jusqu'au soir ». (Lévitique, 15).
5. Jules Michelet, l'Amour, Calmann-Lévy, s.d., p. 440. Michelet et le sang féminin 153
Toucher ce sang — y communier, aurait pu dire Michelet — c'est s'ex
clure à tout jamais de la communauté humaine : « Si un homme couche
avec une femme qui a son indisposition, et découvre sa nudité, s'il dé
couvre son flux et qu'elle découvre le flux de son sang, ils seront tous
deux retranchés du milieu de leur peuple ». {Lévitique, 19).
L'Église catholique maintient le tabou en excluant la femme qui
menstrue de la communion, la relégant au porche de l'église, lui inter
disant aussi toute fonction sacerdotale, tout pouvoir. C'est à mon avis
en ce lieu qu'il faudrait chercher l'explication de la prédilection des
sorcières pour le « nouage des aiguillettes » tant redouté par des hom
mes faisant profession de chasteté. On continue à débattre, dans les
sommes théologiques du XIXème siècle, du droit des femmes mens-
truées à approcher de l'autel. Si l'Eglise ne rejette plus ces femmes, elle
leur conseille d'attendre la fin des menstrues.
Logique avec lui-même, Michelet ne craint pas, lorsqu'il crée à son
tour la femme, « les refroidissements de la puissance génitale ». Les
femmes de son siècle ne sont pas pour lui des sorcières mais des anti-ré
volutionnaires. La femme de 1858 serait victime et conséquence des lois
institutionnelles et religieuses. Fardeau et souillure de l'homme, elle ne
peut être que Tarentule. Elle refuse l'idéal fraternel et généreux de la
Révolution Française, elle se range du côté du ressentiment, de la ven
geance arithmétique. Convertie au christianisme qui lui a enseigné la
haine, le mépris de son corps et de la vie, la femme rêve de détruire cet
te grande civilisation masculine ; elle aspire au règne de la stérilité et de
l'impuissance ; les « créations héroïques » du monde industriel lui res
tent étrangères. Responsables de la réaction et du retour de l'absolutis
me, les femmes plus que les prêtres « fabriquent des chaî

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