Soudan : les séquelles de la honte - article ; n°1 ; vol.70, pg 197-220
25 pages
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Description

Journal des africanistes - Année 2000 - Volume 70 - Numéro 1 - Pages 197-220
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 52
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Ahmed Bachir Abdallah Bola
Soudan : les séquelles de la honte
In: Journal des africanistes. 2000, tome 70 fascicule 1-2. pp. 197-220.
Citer ce document / Cite this document :
Abdallah Bola Ahmed Bachir. Soudan : les séquelles de la honte. In: Journal des africanistes. 2000, tome 70 fascicule 1-2. pp.
197-220.
doi : 10.3406/jafr.2000.1226
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0399-0346_2000_num_70_1_1226BACHIR dit BOLA Ahmed
Soudan : les séquelles de la honte
La résurgence de la pratique de l'esclavage au Soudan a été dénoncée
pour la première fois par deux universitaires soudanais, Ushari Ahmed
Mahmoud et Suleyman Baldo (1987). Ils enquêtaient alors sur un massacre
perpétré par des « Arabes » Rizeigat l contre la population dinka 2 de la
ville d'al-Di'ein (Nord du Bahr al-Ghazal) capitale des Rizeigat. Cette
« découverte » fit scandale et déclencha un débat virulent dans les milieux
politiques et intellectuels, où s'affrontaient trois camps. Le premier regrou
pait des éléments de gauche et des libéraux qui soutenaient la thèse des deux
enquêteurs et qui voyaient dans la résurgence de la pratique de l'esclavage un
signe de grave violation des droits de l'homme et du citoyen et, par consé
quent, un danger majeur pour l'unité nationale. Ils accusaient le gouverne
ment (de M. al-Sadiq al-Mahdi) de complicité. Le deuxième camp réuniss
ait ceux qui niaient catégoriquement l'existence d'une telle pratique et qui
traitaient les deux universitaires de « valets des cercles évangéliques de
l'occident impérialiste ». Le troisième camp enfin rassemblait ceux qui
recherchaient une explication conciliante permettant de satisfaire tout le
monde : en condamnant les massacres et les « pratiques désolantes qui en
résultent », tout en refusant d'appeler ces « » par leur nom,
l'esclavage. À la tête de ces derniers se trouvait M. al-Sadiq al-Mahdi alors
premier ministre. Dans un premier temps, M. al-Mahdi — mais il n'était
pas le seul — désigna ces pratiques d'un euphémisme : « captures inter
tribale ». Il tendait à expliquer ce comportement, de la part des Rizeigat, par
1 Les Rizeigat et les Misseiriya sont des tribus « arabes » nomades du Darfour et du Sud-
Kordofan ; elles font partie d'un ensemble d'autres tribus collectivement connues sous l'appel
lation de Baggara (litt. « éleveurs de bovins ») et sont voisines des Dinka Ngok du Bahr
al-Ghazal.
2 Les Dinka sont la plus grande et la plus influente des trois tribus nilotes du Sud-Soudan. Elle
se compose de plusieurs clans, dont les Dinka Ngok du Bahr al-Ghazal qui constituent
l'essentiel de la partie en cause dans les conflits entre les Dinka et les Baggara (sur ces questions
cf. Deng 1973, 1995).
Journal des Africanistes 70 (1-2) 2000 : 197-220 198 Ahmed Bachir Bola
un désir de vengeance suscité par les agressions de la Sudanese People's
Liberation Army de John Garang (Deng 1995). Finalement, accablé de
critiques, il finit par employer la formule, « esclavage tribal réciproque ».
Rien d'étonnant alors à ce que le parlement, au sein duquel son parti
(Umma) était majoritaire, rejeta une proposition visant à constituer une
commission d'enquête sur le massacre et le phénomène de l'esclavage. C'est
ainsi que les coupables ne furent jamais sanctionnés.
Mais il y a plus. De nombreux indices suggèrent en effet, que certaines
personnalités au sein du parti Umma, et le gouvernement lui-même, étaient
directement impliqués dans le processus d'escalade des conflits entre les
« Arabes » Baggara, éleveurs de bovins, et leurs voisins les Dinka 3. Ces
conflits sont récurrents et liés à des problèmes concernant les pâturages.
Mais les pouvoirs des élites arabo-islamistes avaient pris l'habitude d'« uti
liser » les tribus Baggara dans leur effort de guerre contre les rebelles du Sud.
Vers la fin de son règne, le général Djaarar Nimeiry s'était efforcé de se servir
des « corps armés » traditionnels des Baggara face aux forces de John
Garang, le chef des rebelles sudistes, qui, en 1983, déclara la guerre au
régime. Nimeiry fournit aux Baggara des armes « plus sophistiquées » et
rendit légales leurs agressions contre les Dinka. Après la chute du dictateur,
le gouvernement de Sadiq al-Mahdi, élu premier ministre en 1986, poursuiv
it la même politique : dès la fin de 1986, des rumeurs s'élevaient dans les
cercles politiques et intellectuels de l'opposition de gauche, pour dénoncer et
condamner la création par le gouvernement de « milices » recrutées parmi
certaines tribus Baggara (Rizeigat et Misseiriya), que l'on appela désormais
Qouate-al-Marahil (« forces nomades »).
L'enquête conduite par nos deux collègues a donc confirmé ces
« rumeurs ». Cependant nous pensons, avec l'anthropologue et écrivain
soudanais Abdullahi Ali Ibrahim (1995 : 102), que Ushari et Baldo ont eu
tort de réduire les corps armés des Rizeigat (et des Misseiriya) à de simples
instruments créés et manipulés par le gouvernement. C'est ignorer que ces
voisins des Dinka ont leurs propres intérêts et leurs propres structures
stratégiques et tactiques, politiques et militaires pour défendre leurs intérêts.
Ces « corps armés » existent en effet depuis longtemps au sein des tribus
soudanaises. Ils portent un nom spécifique dans la terminologie tribale :
al-Ouqada chez les Misseiriya et al-Firssan chez les Rizeigat (les « cavaliers »
dans l'un et l'autre cas). La tribu les forme et les entraîne en tant que partie
3 Babikir Mussa, « Sur le rapport de l'OSDH : réplique à M. Abd al-Rassoul al-Nour », texte
distribué par l'Organisation soudanaise des droits de l'homme, section du Caire, lors d'une
campagne de diffamation la visant. M. A. al-Nour est un chef misseiriya, mais c'est surtout un
ancien ministre et l'une des figures dirigeantes les plus importantes du parti Umma. M. Mussa
l'accusait notamment d'avoir participé à l'armement des Misseiriya en 1986.
Journal des Africanistes 70 (1-2) 2000 : 197-220 Les séquelles de la honte 199
intégrante de ses structures de survie, peut-être même la plus importante.
Leur fonction consiste à défendre la tribu lorsqu'elle subit des agressions, et
à attaquer les autres tribus lorsqu'elle a des ambitions expansionnistes ou
autres. On verra donc que le « gouvernement », pour aussi responsable qu'il
soit, n'a pas inventé ces forces. Nous ne souscrivons pas non plus à l'appel
lation « milices » utilisées par nos collègues, comme par d'autres auteurs,
pour désigner ces corps armés. Le terme « milices » évacue le concept même
de ces corps armés tribaux, leurs contenus, leurs connotations et leurs
contextes historiques, et n'aide donc pas à bien comprendre leurs ultimes
développements dans de nouveaux contextes socio-historiques auxquels ils
s'adaptent. Cela renvoie, comme le dit Ibrahim (1995 : 105), à « ce vieux
problème de l'anthropologie que l'on appelle la "traduction de la culture" »,
et il ajoute : « le terme "milices", tout à fait étranger [au contexte tribal],
pourrait amener à penser que seul le gouvernement est capable de créer des
"milices", comme si les tribus en question se présentaient les mains vides de
tout système de défense ou d'agression, ces systèmes auxquels elles ont
[pourtant] recours chaque fois que l'État se trouve dans une situation de
décomposition, comme c'est le cas dans l'actuelle décennie. » C'est pour
quoi ni le général Nimeiry, ni al-Sadiq, ni l'actuel régime islamiste n'ont
« créé » ces milices comme on a tendance à le croire.
CAMPAGNE ANTI-ESCLAVAGISTE DES CHRETIENS MILITANTS
ET DES MASS-MEDIA OCCIDENTAUX :
OUI À LA SOLIDARITÉ, NON AUX MALENTENDUS
En 1995, le phénomène de la mise en esclavage de Dinka par des
Rizeigat commençait à prendre de l'ampleur dans les mass-media occiden
taux4 et, surtout, dans les programmes des organisations de chrétiens
militants comme le constate Alex de Waal (1997 : 55) : « Les raisons ne
reposent pas sur de nouvelles informations (même s'il y en a), ni sur un
accroissement de l'asservissement — ce phénomène est aujourd'hui certa
inement à un niveau plus bas que dans les années 80

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