Un grand médiateur - article ; n°143 ; vol.37, pg 75-78
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Description

L'Homme - Année 1997 - Volume 37 - Numéro 143 - Pages 75-78
4 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 5
Langue Français

Extrait

Carmen Bernand
Un grand médiateur
In: L'Homme, 1997, tome 37 n°143. pp. 75-78.
Citer ce document / Cite this document :
Bernand Carmen. Un grand médiateur. In: L'Homme, 1997, tome 37 n°143. pp. 75-78.
doi : 10.3406/hom.1997.370299
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1997_num_37_143_370299Un grand médiateur
par
Carmen Bernand
C her ami,
anecdote table et un Sous dressée. ethnologue, d'autres et l'on Car aurait deux, que aurait-on le ri nous banquet pour pu nous oublier trouver ? serions Le qu'avec vin meilleur tous aidant, quittés votre hommage, chacun départ autrement, y pour une serait page un autour allé philosophe est de d'une tourson
née : celle où l'ethnologie, que vous avez tellement contribué à diffuser, était la
plus noble des sciences humaines. Celle, aussi, où l'on pouvait concilier l'ex
igence scientifique, l'aventure ethnographique, V engagement politique, la littéra
ture et la passion du cinéma. Nous vivons aujourd'hui des temps plus secs et il
nous faut composer avec notre époque. Ainsi, ces quelques lignes viendront
s'ajouter à des témoignages autrement plus riches que le mien. Pour éviter le ton
grave des commémorations, j'ai choisi de m' exprimer sous la forme d'une lettre.
J'ai fait votre connaissance à la fin de l'année 1964, à l'époque du « boom »
structuraliste qui m'avait amenée en France, d'où je ne suis plus repartie. Vous
étiez un fidèle du cours de Claude Lévi-Strauss, comme nous tous ; à la sortie,
vous en faisiez quelques commentaires éclairants, prononcés en passant, et on savait gré de résumer en quelques mots une pensée aussi complexe. Mais
ce fut un Argentin, Elias Condal — qui travaillait sur les paysanneries révolu
tionnaires en Amérique latine — , qui expliqua à un groupe d'étudiants étran
gers dont je faisais partie que vous étiez le médiateur entre les deux personnalit
és qui ont marqué toute notre génération, Sartre et Lévi-Strauss. Elias Condal
ajouta que votre participation aux Temps Modernes apportait une vision plus
politique de l'anthropologie, sans céder à la démagogie ni à la facilité.
C'étaient les années cubaines. Tout bougeait mais on se passionnait aussi
pour les invariants. Vous avez du reste réussi le tour deforce de réunir les deux
extrêmes. Après les mythes amérindiens, c'était le cinéma. Vous aimiez
commenter les films avec nous : les classiques, comme Citizen Kane, que vous
L'Homme 143, juil-sept. 1997, pp. 75-78. 76 Carmen Bern and
passiez au peigne fin ; les nouveaux, comme La solitude du coureur de fond, qui
annonçait déjà le retrait des années 70. Les cafés étaient accueillants, et ceux
qui décryptaient dans le moindre signe politique l'amorce d'un bouleversement
côtoyaient les lacaniens et les structuralistes. Les revues jouaient leur rôle
— même les étudiants pauvres les achetaient — et vous étiez dans les deux qui
nous intéressaient : Les Temps Modernes, qui avaient nourri la génération de
la guerre — la chaude et la froide — et L'Homme, qui ouvrait des perspectives
nouvelles. Curieusement, alors que celle-ci fut votre œuvre pendant plusieurs
décennies — tous ceux qui ont collaboré à cette revue savent ce qu 'ils doivent à
vos remarques — , c'est dans Les Temps Modernes que votre travail d'auteur et
d'éditeur de textes anthropologiques trouva l'accueil le plus large auprès d'un
public qui n'était pas nécessairement spécialisé mais qui n'en demeurait pas
moins exigeant. L'Homme était fondamentalement la revue de l'anthropologie
structurale. Les mythes et la parenté, les combinatoires complexes, les textes
théoriques, les chiasmes et la métonymie y brillaient, après avoir été dépouillés
par vos soins de toutes les scories de langage.
Dans Les Temps Modernes, en revanche, vous avez fait connaître des textes
différents, que vous aviez aimés et retenus à cause d'une écriture, de l'expé
rience de l'auteur, ou de problématiques qui ouvraient quelques brèches dans
la construction trop lisse des structures. Comme à l'époque cette revue avait un
plus grand tirage, ses textes trouvèrent de nombreux lecteurs chez les étudiants.
Pour cette génération-là, l'anthropologie était surtout une vocation doublée
d'un engagement. Ces jeunes cherchaient des articles plus accessibles, surtout
plus ouverts à d'autres interprétations. La psychanalyse, la littérature, le
marxisme, le structuralisme et les sociétés européennes, bref, tout ce qui pro
pulsait l'anthropologie hors de ses frontières y fut publié, côtoyant de façon
toute naturelle la grande politique.
Sans prétendre faire le bilan de tous ces textes, j 'en rappelle ici quelques-
uns qui illustrent votre rôle dans la circulation des idées : « Les rêves d'une
Indienne Guayaki » de Lucien Sebag (1964, 217) fascinèrent une génération
d'ethnologues, surtout ceux qui étaient en marge des institutions parisiennes,
ou des étrangers qui découvraient à travers ces matériaux des correspondances
(réelles ou fantasmées, peu importe) entre Lacan et Lévi-Strauss, avec un zeste
de lutte de classes. Puis ce fut le numéro-culte consacré aux «problèmes du
structuralisme » (1966, 246), avec un essai de définition rédigé par vous-même,
et dont la clarté facilita aux nouveaux venus l'initiation au domaine totalisant
des structures. A ce propos, après de nombreuses années d'oubli, j'exhumai il y
a peu de temps de mes archives cet exemplaire afin de venir en aide à un étu
diant qui devait préparer un exposé pour notre cours. A ma grande surprise, il
accrocha et passionna son auditoire. Une normalienne demanda même la réfé
rence exacte de l'article de Jacques Ehrmann, « Les structures de l'échange
dans Cinna » (ibid.).
Le best-seller anthropologique des Temps Modernes fut incontestablement
la « Première société d' abondance » de Marshall Sahlins (1968, 268), cité, Un grand médiateur 11
déformé, glosé (et aussi soumis à la « critique » alors en vigueur. Mon exem
plaire en témoigne, qui tombe en morceaux après avoir été prêté un nombre
incalculable défais, et trituré par la photocopieuse. Ce texte, publié au bon
moment (octobre 1968), décida de quelques vocations. Les sociologues aussi
s 'en emparèrent et la sagesse des chasseurs-collecteurs permit à un certain
nombre de débutants dans les sciences sociales de contester des paradigmes
économiques trop rigides. J'en décelai la trace dans les copies de l'agrégation
de sciences sociales, au début des années 80, mais, dans le nouveau contexte où
l'argent était le but suprême, les primitifs avaient perdu leur dimension hédo
niste et ils semblaient mener une existence bien triste... Aujourd'hui, en
revanche, de jeunes économistes formés à la modélisation redécouvrent avec
enthousiasme les stratégies d'ensemble que les peuples primitifs mettent sur
pied pour combattre la loi des rendements décroissants.
D'autres textes à l'audimat plus discret reflètent ce projet d'ouverture
de l'anthropologie que nous vous devons. Les sorciers australiens et les cures
magiques de A.P. Elkin (1967, 253) annoncent avec plusieurs années d'avance
l'extraordinaire essor de V ethnomédecine et des études sur la sorcellerie qui se
manifeste surtout à partir des années 70. La clarté et la précision de la
documentation ethnographique constituent toujours une excellente introduction
à ces questions. Avec Julian Pitt-Rivers et « La loi de l'hospitalité » (même
numéro) les lecteurs français savent déjà que les codes et la réciprocité ne sont
plus seulement l'affaire des mondes exotiques. Presque trente ans après sa
parution, ce texte a nourri un débat sur la ville contemporaine et la place de
l'étranger... Enfin, comment passer sous silence l'article de Pierre Clastres,
« De quoi rient les Indiens ? » (ibid.), qui déride la gravité des mythes en mont
rant que ces récits sont avant tout des histoires drôles ?
En 1971, deux numéros volumineux (293-294 et 299-300) furent consacrés
en partie aux liens entre l'anthropologie et l'impérialisme.

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