Un socialiste polonais à Paris ou Pourquoi le socialisme marxiste a-t-il méconnu l importance du phénomène national ? À la lumière des enseignements que l on peut tirer du congrès de Londres (1896) de la IIe Internationale - article ; n°2 ; vol.71, pg 243-262
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Un socialiste polonais à Paris ou Pourquoi le socialisme marxiste a-t-il méconnu l'importance du phénomène national ? À la lumière des enseignements que l'on peut tirer du congrès de Londres (1896) de la IIe Internationale - article ; n°2 ; vol.71, pg 243-262

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Description

Revue des études slaves - Année 1999 - Volume 71 - Numéro 2 - Pages 243-262
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 15
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Monsieur Timothy Snyder
Un socialiste polonais à Paris ou Pourquoi le socialisme
marxiste a-t-il méconnu l'importance du phénomène national ? À
la lumière des enseignements que l'on peut tirer du congrès de
Londres (1896) de la IIe Internationale
In: Revue des études slaves, Tome 71, fascicule 2, 1999. pp. 243-262.
Citer ce document / Cite this document :
Snyder Timothy. Un socialiste polonais à Paris ou Pourquoi le socialisme marxiste a-t-il méconnu l'importance du phénomène
national ? À la lumière des enseignements que l'on peut tirer du congrès de Londres (1896) de la IIe Internationale. In: Revue
des études slaves, Tome 71, fascicule 2, 1999. pp. 243-262.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1999_num_71_2_6593SOCIALISTE POLONAIS À PARIS UN
ou
Pourquoi le socialisme marxiste a-t-il méconnu
l'importance du phénomène national ?
À la lumière des enseignements que l'on peut tirer
du congrès de Londres (1896) de la IIe Internationale"
PAR
TIMOTHY SNYDER**
L'échec le plus cinglant qu'aura essuyé la gauche européenne durant le
court XXe siècle (1914-1991) aura été son incapacité à comprendre le nationa
lisme, à venir à bout du problème national et à faire face à la rivalité des national
istes. Lorsqu'on analyse cet échec à partir des catégories conceptuelles de l'his
toire des idées, on est amené à y voir l'effet d'une faiblesse théorique propre à
l'analyse marxiste, voire à celle de la pensée progressiste en général. On estime
alors que Marx et Engels n'ont jamais perçu l'importance historique du nationa
lisme, qu'ils croyaient que les différences nationales étaient promises à une
rapide dilution dans les avancées du progrès économique et social, et que leurs
héritiers ont suivi cette même voie1. L'histoire de la Deuxième Internationale
(1889-1914), rassemblement de partis dotés de grandes aspirations révolutionn
aires, mais dépourvus de pouvoir politique, fournit un terrain d'analyse pour
cette explication reçue. Après la mort de Marx (1883), et avant qu'aucun parti
* L'auteur remercie Brice Couturier, Timothy Garton Ash, Céline Gervais-Fran-
celle, Jerzy Jedlicki et Milada Vachudova pour leurs commentaires très utiles.
** Timothy Snyder est chercheur titulaire au Center for International Affaire à l'uni
versité de Harvard. Il est l'auteur de l'ouvrage Marxism, Nationalism, and modem Central
Europe : a biography of Kazimierz Kelles-Krauz (1872-1905), Cambridge, Mass., 1998.
1. Voir, par exemple, Ephraim Nimni, Marxism and Nationalism : theoretical ori-
gins ofa political crisis, London, 1991 ; Ronaldo Munck, The Difficult Dialogue : Marxism
and Nationalism, London, 1986 ; Horace Davis, Nationalism and Socialism : Marxist and
Lahor théories of Nationalism to 1917, New York, 1967 ; Charles Herod, The Nation in the
history ofMarxian thought, Den Haag, 1976. Cf. Georges Haupt et al., les Marxistes et la
Question nationale, Paris, 1974. À l'opposé, l'argument selon lequel on trouverait bien chez
Marx une théorie du nationalisme a été développé par Erica Benner, Really existing
Nationalism, Oxford, 1996.
Rev. Etud. slaves, Paris, LXX3/2, 1999, p. 243-262. 244 TIMOTHY SNYDER
socialiste européen n'ait pris le pouvoir, le milieu de cette IIe Internationale a
fourni un terrain d'expérimentation à diverses variétés de marxisme. Les idées
« orthodoxes » ont été mises à l'épreuve de diverses façons et cela avant même
que Lénine n'ait pris, en 1917, le pouvoir en Russie. Des politiciens socialistes
commencèrent à former des gouvernements après 1918 et les idées
pénétrèrent dans les universités durant les années 1920 et 1930. Imputer direc
tement à Marx et à Engels les problèmes du XXe siècle, c'est négliger le rôle de
médiation qu'a pu jouer la IIe Internationale. Certes, on considère généralement
la Deuxième Internationale comme une expérience manquée et sa contribution
comme marginale. Mais s'il est vrai que son héritage politique est équivoque,
nous allons tâcher de montrer qu'elle a néanmoins joué un rôle décisif dans la
formation des comportements à l'égard du nationalisme — ce dont la gauche
d'après 1918 a hérité, entraînant des conséquences déterminantes pour l'histoire
de ce siècle.
En 1896, le jeune socialiste polonais Kazimierz Kelles-Krauz (1872-1905)
proposa, au congrès de Londres de la IIe Internationale, une résolution qui affi
rmait que l'indépendance de la Pologne était dans l'intérêt de la classe ouvrière
internationale. L'Autriche, la Russie et la Prusse s'étaient, en effet, partagé ce
pays à la fin du XVIIIe siècle, et le problème polonais devait demeurer l'une des
plus pressantes questions nationales, tout au long du XIXe siècle. La tentative de
Kelles-Kraus d'amener la IIe Internationale à adopter une position sans ambig
uïté sur cette question concrète démontra l'incapacité des partis socialistes à
réagir avec cohérence à la question des nationalités. Elle devait pourtant consti
tuer la seule occasion, pour la IIe Internationale, de se prononcer sur la désirabi-
lité de l'État-nation et sur la légitimité du patriotisme. En outre, le débat lancé
par Kelles-Krauz avant le congrès de Londres, depuis Paris, jette une intéres
sante lumière, tant sur des aspects oubliés des socialismes allemand, autrichien,
français, italien, russe et même britannique, que sur la biographie de grands per
sonnages de la IIe Internationale, comme Viktor Adler, August Bebel, Eduard
Bernstein, Jules Guesde, Karl Kautsky, Antonio Labriola, Wilhelm Liebknecht,
Georges Plexanov, Georges Sorel et Edouard Vaillant.
J'inverserai les termes habituels des études portant sur la IIe Internationale
et son congrès de Londres, en privilégiant les attitudes des deux protagonistes
polonais de cette affaire, Kelles-Krauz, l'auteur de la résolution, et Rosa Luxemb
urg (1870-1919), son adversaire majeur, sur celle des socialistes allemands,
autrichiens, britanniques, français et italiens qui ont finalement décidé de son
destin2. Afin de décrire les dynamiques politiques qui, au sein de la IIe Interna
tionale, ont influencé la sélection des marxismes disponibles, nous présenterons
l'affaire de la résolution Kelles-Krauz selon une logique chronologique.
2. Fait exception à cette règle : Leszek Kołakowski, Histoire du marxisme, Paris,
1978. Parmi les ouvrages classiques, on retiendra : James Joli, The Second International,
1889-1914, London, 1955 ; Julius Braunthal, History ofthe International, New York, 1966 ;
George Lichtheim, Marxism : an historical and critical study, New York, 1961. Un ouvrage
plus récent est hautement recommandable : Gary Steenson, After Marx, before Lenin, Pitt
sburgh, 1991. Cf. aussi : Feliks Tych, «The Polish Question at the International Socialist
Congress in London in 1896 », Acta polonicae historka, n° 46, 1982, p. 97-140. UN SOCIALISTE POLONAIS À PARIS 245
MARX, LES ALLEMANDS ET LES POLONAIS
Le programme du Parti socialiste polonais (Polska Partia Socjalistyczna, ou
PPS), tel qu'il avait été approuvé en 1892, faisait de l'indépendance nationale
une condition nécessaire au socialisme. Kelles-Krauz avait déjà défendu cette
thèse dans des termes marxistes, en s' appuyant sur sa théorie des « stades ». Son
interprétation du marxisme ne le portait pas à prédire une révolution qui résou
drait d'un seul coup tous les problèmes politiques. Adoptant l'idée que le déve
loppement économique contribuerait au contraire à créer et à consolider des
communautés nationales, il s'opposait à cette autre vue, si typique chez les
socialistes, selon laquelle le progrès économique effacerait les différences de
nationalité. C'est en octobre 1895 que Kelles-Krauz avait convaincu les dir
igeants du PPS (qui habitaient pour la plupart à Londres) que leur parti devait
présenter une résolution au congrès de l'Internationale, l'année suivante, favo
rable à l'indépendance de la Pologne. Il en attendait que « le monde civilisé tout
entier soit ébranlé par cette gifle, administrée par le prolétariat international, à la
figure du tsar3 ».
Inquiets de la ré

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