Selon le présent rapport, le vieillissement de la population observé en Europe a deux causes : la baisse du taux de fécondité et la hausse de l'espérance de vie. Le renouvellement des générations n'est plus assuré et il y a de moins en moins de jeunes pour payer la retraite des anciens, de plus en plus nombreux. La France est moins touchée par ce phénomène que ses partenaires européens, mais elle n'est pas épargnée. Michel Godet et Évelyne Sullerot considèrent que c'est le développement durable de nos sociétés qui est en danger. Ils plaident en conséquence pour un renforcement de la politique familiale. Ils recommandent que la famille soit mieux soutenue considérant que c'est une institution efficace comme lieu d'investissement en capital humain et social. Ils préconisent en outre, dans un souci d'équité, d'atténuer le phénomène de paupérisation des familles, et notamment des familles nombreuses. Les auteurs soulignent que la collectivité ne compense pas le coût des enfants. Ils proposent en conséquence des mesures fiscales de soutien au revenu, dont la familialisation de la CSG. Des dispositifs permettant une meilleure conciliation des vies professionnelle et familiale et une politique d'immigration choisie doublée d'une politique d'intégration volontariste font également parti du menu des recommandations. Le rapport de Michel Godet et Évelyne Sullerot est accompagné de commentaires critiques d'Antoine d'Autume et de Jean-Michel Charpin, ainsi que de compléments apportant des éclairages spécifiques sur certains aspects de la question.
Introduction............................................................................................ 7 Christian de Boissieu
RAPPORT La famille : une affaire publique....................................................... 9 Michel Godet et Évelyne Sullerot
Préambule................................................................................................. 9 1. Pas davenir sans enfants .................................................................... 9 2. La famille une affaire privée et publique ............................................. 12 3. Le mandat du groupe de travail et le plan du rapport ........................... 16 4. Les facteurs de développement sont endogènes et contingents ........... 18 5. Une approche inductive partant des faits et se méfiant des idées reçues ................................................................................. 19 6. Enfants, familles, couples, ménages de quoi parle t-on ? ...................... 22 7. Lesfamilles et les enfants en France : quelques chiffres-clés et faits surprenants ........................................... 29
Chapitre I. Les enjeux économiques et familiaux du vieillissement...... 35
1. Pas de développement durable sans enfants ....................................... 36 2. Dynamiques démographiques et économiques en France, en Europe et dans le monde ............................................................... 43 3. Les fractures territoriales et sociales : les six France de 2030 ............. 57 4. La famille : pilier des identités et foyer des solidarités ......................... 65
Chapitre II. La famille au carrefour des mutations............................... 73 1. Trois révolutions ont traversé la famille en deux générations ............... 73 2. Fécondité et travail féminin : douze tendances et six questions ............ 87 3. Un enjeu majeur : la conciliation entre vie familiale etvieprofessionnelle........................................................................116
Chapitre III. Enfants défavorisés, environnement familial et cadre de vie...................................................................................... 133 1. La pauvreté des enfants et des familles : définitions, origines, conséquences .................................................................................. 135
LA FAMILLE, UNE AFFAIRE PUBLIQUE
3
4
2. Le poids de la reproduction sociale ................................................... 144 3. Les désillusions de lécole comme ascenseur social .......................... 149 4. Lapartheid urbain et scolaire des enfants défavorisés ...................... 154 5. Familles« intactes », familles dissociées : les méfaits de la mésentente ............................................................. 159
Chapitre IV. Clarifier la politique familiale avec les trois volets universel, horizontal et vertical........................... 167 1. La politique « familiale » nempêche pas la paupérisation des familles avec enfants ................................................................. 168 2. Quel périmètre retenir pour la politique familiale ? ............................. 173 3. Le volet universel pour éviter les effets pervers du tout ciblage ......... 180 4. Le volet horizontal pour éviter la paupérisation relative des familles avec enfants ................................................................. 190 5. Le volet vertical pour corriger les inégalités sociales entres familles en familialisant la politique sociale .............................. 199 6. Linvestissement en capital humain : les coûts de lenfant et de la « non-famille » ..................................................................... 202
Conclusions et propositions pour laction publique........................... 215 1. Trois priorités et quatre objectifs ....................................................... 215 2. Douze propositions prioritaires pour laction publique ........................ 217
COMMENTAIRES
Antoine dAutume................................................................................ 237
A. Portraits démographiques et socio-économiques des familles et des enfants en France....................................... 251 Guy Desplanques
B. La famille acteur économique et social................................ 263 Jacques Bichot
C. Les modèles de fécondité dans la théorie microéconomique de la famille.................................................... 279 Fabrice Lenseigne
D.Concilierviefamilialeetvieprofessionnelle: expérience comparée dans les pays de l OCDE.................... 293 Martine Durand
E. Concilier travail et famille......................................................... 309 Dominique Méda
CONSEIL DANALYSE ÉCONOMIQUE
F. Niveau de vie et pauvreté des ménages et des familles en France............................................................... 325 Pascal Chevalier
G. Pauvreté des enfants et structures familiales : familles nombreuses, familles monoparentales, enfants de parents divorcés......................................................... 337 Bruno Jeandidier et Cécile Bourreau-Dubois
H. Quelques éléments d appréciation des inégalités sociales et familiales à l école......................... 389 Paul Esquieu I. Les politiques familiales en Europe : aperçu et typologies........................................................................ 401 Julien Damon J. La politique familiale française : coûts et bénéficiaires..................................................................... 409 Julien Bechtel, Laurent Caussat, Pierre Courtioux, Nadine Laib, Sylvie Le Minez et Benoît Mirouse
POINT DE VUE
L articulation entre vie familiale et vie professionnelle en France................................................ 439 Jacqueline Farache
La famille et la politique familiale requièrent des approches multiples, aussi bien historiques, sociologiques que juridiques, économiques, etc. Le rapport qui suit le montre à nouveau, combinant une grande diversité dangles dattaque, de points de vue et de types de propositions concrètes. Son originalité principale est justement de privilégier lapproche économi-que, tout en lintégrant dans une perspective plus large. Les rapporteurs ont pu et su sappuyer sur un groupe de travail pluridisciplinaire, et je tiens à saluer lapport et le dévouement de lensemble des experts réunis ainsi que lappui indispensable des administrations concernées. Le point de départ obligé touche à la liaison entre la dynamique démo-graphique et la croissance économique. Il sagit là dun thème toujours en débat, dont limportance néchappe à personne en ces temps de transition démographique (vieillissement de la population un peu partout, chute de la fécondité dans nombre de pays) et de croissance molle en Europe conti-nentale. Le rapport, conforté par des comparaisons dans le temps et dans lespace, repose en grande partie sur cette liaison positive et sur le rôle, justement, du « multiplicateur démographique ». La famille est bien sûr une affaire privée, mais, par les enfants et les nombreuses externalités quelle engendre, elle devient forcément une af-faire publique. Dans la démarche inductive privilégiée ici, « refonder » une politique de la famille suppose dabord de prendre la mesure des tendances constatées et de leurs implications tant individuelles que collectives. On re-lèvera en particulier la démonstration que le niveau de vie des familles dimi-nue, toutes choses égales dailleurs, avec le nombre denfants et tout ce qui est dit sur les évolutions lourdes de la fécondité, de la cellule familiale, du taux dactivité des femmes, etc., en France et à létranger. Les comparai-sons internationales sont éclairantes, même sil ny a pas en loccurrence une expérience nationale qui simposerait comme modèle à suivre. Ayant ainsi déblayé le terrain, les auteurs présentent un certain nombre de propositions, dont douze sont considérées comme prioritaires pour lac-tion publique. Elles visent aussi bien à mieux concilier vie familiale et vie professionnelle, ou à lutter contre la pauvreté en stimulant lintégration des enfants défavorisés (la liaison entre la politique de la famille et la politique de
LA FAMILLE, UNE AFFAIRE PUBLIQUE
7
8
réduction de la pauvreté occupe, légitimement, une place centrale), quà des mesures fiscales pour encourager le redressement de la fécondité. Parmi ces dernières, lidée de « familialiser » la CSG et de renforcer le quotient familial va certainement retenir lattention dans le débat public. Ce rapport a été présenté à Dominique de Villepin, Premier ministre, lors de la réunion du CAE du 13 juillet 2005.
Christian de Boissieu Président délégué du Conseil danalyse économique
CONSEIL DANALYSE ÉCONOMIQUE
La famille : une affaire publique
Michel Godet Professeur au CNAM
Évelyne Sullerot Sociologue et co-fondatrice du Planning familial
Préambule
1. Pas d avenir sans enfants
Lavenir nest jamais écrit davance, il reste, pour lessentiel, à cons-truire et léventail des futurs possibles est dautant plus ouvert que nous ne lavons pas fermé et contraint par nos choix antérieurs de nature technique, économique, sociale, démographique, environnementale. Garder lavenir ouvert pour les générations futures est aussi la préoccupation première du développement durable, mais il ne peut y avoir davenir sans enfants.
(*) Le présent rapport nengage que ses auteurs et doit beaucoup aux membres de leur secrétariat scientifique et tout particulièrement à Nathalie Bassaler et à Philippe Durance qui entre septembre 2004 et avril 2005 ont réduit leur temps libre et leur vie de famille à une peau de chagrin pour travailler sur la famille ! Il a beaucoup emprunté aux contributions importantes des membres du groupe que lon retrouvera pour lessentiel dans les compléments. Il sest enrichi de la vingtaine dauditions réalisées au cours des dix journées de réunion du groupe. Nous tenons à saluer la contribution des organismes publics, la CNAF, la DEP, la DREES, lINED, lINSEE ainsi que lOCDE, lObservatoire démographique européen et Rexecode qui ont mis leurs informations et leurs experts à notre disposition. Grâce à laccueil chaleureux de lAssociation internationale Futuribles et à son Délégué général Hugues de Jouvenel, nous avons pu nous réunir dans un lieu propice à la réflexion prospective et proche du Premier ministre commanditaire de ce rapport.
LA FAMILLE, UNE AFFAIRE PUBLIQUE
9
1 0
Pendant longtemps la question démographique a été absente des préoc-cupations de lEurope. La plupart des pays européens étaient absorbés par dautres urgences politiques, économiques et sociales alors que la population ne cessait daugmenter fortement suite au baby-boom daprès guerre : ainsi, la population de la France est passée de 45 millions dhabitants en 1960 à plus de 60 millions en 2005 et les jeunes de moins de vingt ans (16 millions) étaient deux fois plus nombreux en 1968 que les plus de soixante ans (8 millions). En 2010, ils seront en nombre à peu près équivalent autour de 14 millions. Il y a moins de jeunes, certes, mais des anciens de mieux en mieux portants. Cependant, si ce vieillissement par le haut est une bonne nouvelle, il ne résout pas le problème économique et social de la dépendance des personnes âgées de 80 ans ou plus dont le nombre (2,7 millions en 2005) pourrait plus que doubler dici à 2030. Dans un système social de solidarité intergénérationnelle fondé sur la répartition, où ce sont les actifs qui financent tant léducation des jeunes que la santé et la retraite des anciens, on se rend bien compte quil va falloir faire des choix difficiles. Avec le recul, la deuxième partie du XXesiècle apparaîtra sans doute comme exceptionnelle : une population active jeune et en croissance avec un nombre de retraités faible en proportion. Durant cette période de « vaches grasses », il aurait fallu moins consommer et penser aux périodes de « vaches maigres » en constituant des fonds de réserves et en navançant pas lâge de la retraite(1)puisque lon savait que léquation démographique rendrait cette mesure intenable à terme. Mais, il est difficile de parler de lhiver sous le soleil de lété. Léchéance est arrivée et nous ny sommes guère préparés. Linertie des phénomènes démographiques est telle que les évolutions sont lentes à se manifester mais difficilement réversibles quand elles produisent leurs effets. Pour continuer à manger du pain blanc, il faudra certainement, comme le recommande la Commission européenne depuis le sommet de Lisbonne, augmenter le taux demploi des jeunes et des seniors en commençant à travailler plus tôt et en partant à la retraite plus tard. Il faudra aussi augmen-ter le taux demploi des femmes dans lUnion européenne (lobjectif est de 60 % à lhorizon 2010 contre 56 % en moyenne aujourdhui ; la France avec 57 % nest pas loin de lobjectif) tout en leur permettant davoir les enfants quelles désirent, doù limportance des politiques favorisant la con-ciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Cette mobilisation de tout le capital humain disponible ne suffira pas : le rapport du groupe Wim Kok, examinant à lautomne 2004 les objectifs de Lisbonne à mi- parcours, rele-vait que le vieillissement de lEurope se traduirait par une perte de près de 20 millions de personnes de la population active dici à 2025 qui pourrait à terme faire baisser sa croissance potentielle dun point dici à 2040. Les causes de cette inflexion de la croissance sont liées à des tendances de fond de la société européenne : lallongement de lespérance de vie, la baisse de la fécondité, le contre coup du baby-boom sur les départs à la retraite qui va aller saccentuant jusquen 2030.