RESUME Ce mémoire de licence met en évidence les changements qui apparaissent sein d’une école primaire du canton de Fribourg au cours des premiers mois de la mise en oeuvre d’un projet d’établissement. Une première partie développe une série d’éléments théoriques en lien avec les questions du changement en général et au sein de l’école, du travail en général, du travail de l’enseignant, de l’établissement scolaire et sa culture. La question de recherche qui se trouve au centre de ce mémoire est la suivante : Quels sont les effets d’un processus de transformation de pratiques comme un projet d’établissement, sur le travail réel d’enseignants, dans les premiers temps de sa mise en oeuvre? Puisque c’est le travail de l’enseignant intégré dans un processus de changement qui se trouve au centre du questionnement de ce mémoire, les données ont été récoltées par le biais de procédés tentant de mettre en évidence l’activité de l’enseignant. Onze enseignants sur les seize que compte l’école observée ont participé à cette recherche. Une partie des enseignants l’a fait dans le cadre d’entretiens basés sur l’observation de séquences d’enseignement et l’autre partie en participant à un entretien sous forme d’instruction au sosie. L’analyse des données met en évidence des effets au niveau individuel et collectif. Pour les premiers, on peut citer l’apparition d’un sentiment de réussite chez les enseignants ou les changements apparus dans le cadre de la pratique professionnelle. Pour les seconds, ce sont en en premier lieu les effets au niveau collectif qui apparaissent comme dans le domaine de la gestion des relations, de la communication et de l’organisation de l’établissement. Une part de l’analyse est également consacrée à la question de l’hétérogénéité régnant au sein de l’équipe enseignante. Cette recherche met donc en lumière que le changement des pratiques professionnelles en milieu scolaire est à la fois tributaire de la complexité propre à tout collectif de travail ainsi que de temporalités longues.
Université de Genève Faculté de Psychologie et des Sciences de lEducation Section des Sciences de lEducation Mémoire de licence
Mai 2007
Ce qui change un établissement en projetDe la construction dun collectif au changement des pratiques
Commission de mémoire : Monica Gather Thurler (directrice) Jean-Michel Baudouin Philippe Perrenoud Myriam Repond Sapin
Marc Luisoni
Avec ce mémoire, mes remerciements vont à :
Toute léquipe de lécole de Bois-Joli qui ma offert un terrain pour ma recherche et particulièrement :Alain, Ariane, Carole, Cédrine, Emilie, Géraldine, Hélène, Leila, Malorie, Marie-Carmen et René qui mont ouvert une porte sur leurs pratiques denseignant. Ils mont donné de leur temps sans compter et ont accepté de jouer le jeu que je leur imposais avec gentillesse, ouverture et sincérité. Sans eux, ce travail naurait simplement pas été possible et je leur en suis redevable.
Monica Gather Thurler pour son accompagnement au long de cette recherche. Son exigence, son suivi pointu et ses remarques constructives mauront permis une évolution indéniable sur le chemin de la réflexion et lélaboration conceptuelle.
Lensemble de mes collègues qui se reconnaîtront peut-être un peu dans cette recherche, pour leurs interrogations, leurs doutes et les débats qui les animent ; notre collectif est à lorigine de mon questionnement. Parmi eux : Christophe Dafflon pour ses encouragements et ses relectures intermédiaires et Isabelle Oberson pour son appui, sa compréhension et sa souplesse durant ces nombreuses années de travail en commun.
Mes parents, parce que lécole et les débats quelle engendre a toujours eu une place particulière dans notre famille. Ma mère pour son soutien au long de ce mémoire et durant toutes les années détudes qui lont précédé. Mon père pour ses essentielles relectures finales, ses conseils avisés et ses encouragements.
Ma compagne Patricia qui ma soutenu, encouragé et relu non seulement au cours des mois qui ont été nécessaires à lécriture de ce mémoire, mais durant toute la durée de mon parcours universitaire. Ce mémoire lui est dédié.
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Table des matières
1.Introduction et hypothèses de travail 1.1Les hypothèses de travail 1.1.1Hypothèse 1. : 1.1.2Hypothèse 2. : 1.1.3Hypothèse 3. : 1.1.4Hypothèse 4. : 1.1.5Hypothèse 5. : 2.Les éléments issus de la littérature 2.1Linnovation en général et linnovation scolaire en particulier 2.1.1Linnovation 2.1.1.1Les trajectoires de linnovation 2.1.1.2Les inventions dogmatiques 2.1.1.3Lincertitude, lorganisation, la performance et la compétence 2.1.1.4La lassitude des acteurs 2.1.2Linnovation du point de vue scolaire 2.1.2.1La problématique de la définition 2.1.2.2Le transfert des innovations 2.1.2.3le changement et les transformations de pratiquesLinnovation, 2.2La question de létablissement scolaire 2.2.1Le changement et la culture de létablissement 2.2.2Le projet détablissement 2.3en général et de lenseignant en particulierLanalyse du travail 2.3.1La question du travail
2.3.1.1La différence entre tâche et activité 2.3.1.2Lintelligence pratique 2.3.1.3La reconnaissance et les jugements au travail 2.3.2La distinction entre genre et style 2.3.3La question de la prescription 2.3.3.1Au sens strict 2.3.3.2Dans un sens plus large 2.3.3.3La prescription dans le cadre de ce travail 2.3.4Les raisonnements défensifs 2.3.5Le travail de lenseignant 2.3.5.1Une approche systémique 2.3.5.2La dimension individuelle 2.3.5.3La dimension collective 2.3.5.4Des résistances
3.Une approche exploratoire et fondée 3.1Les fondements épistémologiques 3.2Lobservation 3.2.1Lobservation dans le cadre de ma recherche 3.3Lentretien 3.4Linstruction au sosie 3.5Le choix dun terrain 3.5.1Une école en projet 3.5.2Un projet récent 3.5.3Une école ouverte à ma recherche 3.6Les éléments du contexte de recherche 3.6.1Les projets détablissement dans le canton 3.6.2Le terrain et son contexte 3.6.2.1Lécole de Bois-Joli et son projet 3.6.2.2Des éléments de prescription 3.7La récolte des données 3.7.1Les observations directes
3.7.2Les instructions au sosie 3.7.3Les entretiens de vérification 3.7.4La retranscription et le codage 3.7.5Le récapitulatif des entretiens effectués 4.Cadre conceptuel danalyse des données 4.1Présentation du cadre danalyse 5.Analyse des données 5.1Valse-hésitation pour ou contre le projet 5.1.1Le contexte général 5.1.2Les positions initiales des enseignants 5.1.3La visite de linspectrice 5.1.4Lévolution de la position des enseignants 5.1.5La rencontre avec un membre du DAF 5.1.6Linscription au cours 5.1.7Pour conclure 5.1.8Un éclairage théorique
5.2Motivation et sentiment de réussite 5.2.1Les caractéristiques en lien avec la personne
5.2.1.1 75Le parcours biographique5.2.1.2Louverture au changement comme valeur professionnelle 755.2.2 76Les caractéristiques en lien avec le collectif5.2.2.1La valorisation 76de la part collective du projet5.2.2.2 77Le rôle dans létablissement5.2.2.3 77La posture dans le collectif5.2.3 78Les caractéristiques en lien avec le projet5.2.3.1 78La compréhension des objectifs5.2.3.2La planification durant le cours dété 805.2.3.3 81La faisabilité du projet5.2.3.4La réaction des élèves 815.2.3.5La valorisation des personnes ressources 825.2.3.6La motivation envers le projet 825.2.3.7 83Détour théorique5.3 85Effets sur le collectif5.3.1 85Situation initiale du collectif5.3.2 86Durant le cours dété5.3.3Amélioration de lorganisation 875.3.4 89Amélioration de la communication et des relations5.3.5Effet paradoxal 905.3.6 91Pour conclure5.3.7Un éclairage théorique 925.4Changements dans les pratiques 945.4.1 95changement : la centration sur la lectureDomaine pédagogique du 5.4.1.1Type de changement : restructuration de pratiques antérieures 965.4.2 96Activités ponctuelles5.4.2.1 97de changement : intégration déléments nouveaux aux pratiques routinièresType 5.4.3Nouvelle modalité de travail avec les élèves : le décloisonnement 985.4.3.1Type de changement : essai ponctuel dune nouvelle organisation du travail scolaire995.4.4Domaine du changement : la coopération entre collègues 1005.4.4.1 100Type de changement : amélioration collective de pratiques antérieures5.4.4.2 101Type de changement : sécurisation de ses pratiques.5.4.5Pour conclure 1015.4.6Un éclairage théorique 1025.5Les effets conceptuels 1045.6Lhétérogénéité dans le cadre dun projet 1055.6.1 106Les cycles5.6.2 108Les enseignants5.6.2.1 109Les années dexpérience :5.6.2.2Position initiale par rapport au projet 1105.6.2.3Les risques envisagés 110
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5.6.2.4La posture dans létablissement 5.6.2.5Position actuelle par rapport au projet 5.6.2.6Les raisons de ce sentiment 5.6.3Les perspectives pour la suite du projet 5.6.4Pour conclure 5.6.5Un éclairage théorique Conclusion Un retour sur les hypothèses Lomerta sur les pratiques Laccompagnement, un moteur du projet La complexité Des développements possibles Et si Références bibliographiques des éléments cités Bibliographie complémentaire
Le travail de recherche qui débute ici doit clore mon parcours universitaire en vue de lobtention dune licence en sciences de léducation, mention recherche et intervention. Durant les nombreuses années passées à étudier, jai été confronté à un nombre important de problématiques passionnantes qui ont souvent piqué mon intérêt et aiguisé mon appétit de savoir. Toutes ces ouvertures suscitées par la confrontation aux recherches et aux notions théoriques en général nont jamais été très éloignées de mes préoccupations en lien avec mon terrain dactivité professionnelle : lenseignement primaire. Dans les lignes qui suivent, je présenterai rapidement lorigine du questionnement qui sous-tend et dirige lensemble de ce travail.Je travaille depuis douze ans dans une petite école primaire de la campagne fribourgeoise qui compte actuellement six classes primaires et une classe enfantine. Cest là que je suis arrivé immédiatement après lobtention de mon brevet denseignement primaire à lécole normale de Fribourg. Jy ai travaillé à plein temps durant cinq ans avant de reprendre des études universitaires à temps partiel à luniversité de Genève. Jai choisi cette université parce que, dune part, elle correspondait bien à louverture théorique que je cherchais et dautre part, elle permettait de poursuivre des études en cours demploi. Dès ce moment, la majeure partie de mon temps a été consacrée à mon métier denseignant et environ trente pour-cents à mes études. Cette manière de faire ma permis de ne jamais perdre le lien avec la pratique et ses difficultés quotidiennes tout en bénéficiant dune ouverture théorique stimulant la réflexion sur lécole en général et mon action pédagogique en particulier. Jai fonctionné ainsi durant les six dernières années et, arrivé au moment de choisir une thématique pour mon mémoire, il ma paru évident quelle devait être en lien avec ma réalité denseignant. Durant toutes mes années denseignement, je me suis beaucoup interrogé sur la manière de « faire mieux , dévoluer, de changer afin daméliorer mon enseignement et par conséquent les résultats de mes élèves. Jai donc essayé de diriger mes recherches personnelles dans différentes directions dont certaines ont dû être abandonnées et dautres ont porté leurs fruits. Cest dans cet état desprit que lidée de mettre sur pied un projet détablissement dans notre école est apparue. Il faut également dire que, dès lannée 2000, nous avons été encouragés par la voix des inspecteurs scolaires à nous « mettre en projet . Pour moi, cette idée ne pouvait être que positive puisquelle allait entièrement dans le sens de mes aspirations à progresser et à évoluer professionnellement. De plus, en 2002, lorsque le collectif auquel jappartiens a décidé de se lancer dans cette démarche, cela faisait déjà deux ans que je suivais ma formation universitaire. Pour moi, notre école avait tout à gagner dans ce processus de recherche et dévolution de pratiques. Nous avons donc, durant une semaine, lors dun cours dété de formation continue, réfléchi et mis par écrit nos aspirations et les objectifs auxquels nous voulions parvenir dans les années qui allaient suivre. Après la grande motivation et la quasi euphorie de la rédaction en milieu « protégé , pour laquelle nous étions accompagnés quotidiennement, le réel nous a rattrapés à la rentrée scolaire, au moment où il a fallu mettre notre projet en pratique. Dès cet instant, les difficultés sont apparues et la lenteur de notre avancée collective a démobilisé une partie de léquipe. La clarté de notre visée lors de la rédaction du projet était contrecarrée par les compréhensions, les croyances et le réel de chacun. Les difficultés à progresser dans notre projet, à faire évoluer nos pratiques et à réellement « parler décole ont été importantes et ne sont pas encore résolues à ce jour.
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Jai déjà tenté danalyser à plusieurs reprises, au cours de mon parcours universitaire, les étapes parcourues et les écueils rencontrés par notre école dans le cadre de son projet détablissement. Jy ai trouvé des éléments de réponses mais également de nouvelles questions. Durant ces travaux, jai pu constater les difficultés, voire limpossibilité de maintenir une certaine objectivité dans le cadre de lanalyse de mon propre collectif de travail, ce qui est dailleurs propre à toute recherche impliquée. Néanmoins, le questionnement autour de notre école en projet restait très important et lenvie de poursuivre mon cheminement sur cette thématique na pas diminué. Au moment de choisir un axe de recherche pour mon mémoire, il me semblait donc cohérent de mintéresser, dans lespoir de mieux comprendre les résistances observées dans ma pratique quotidienne, à ce qui gravitait autour du projet détablissement et plus précisément autour de laction de lenseignant intégré dans un processus de changement de pratiques. Comme javais pu constater que les difficultés liées à notre projet nétaient apparues que lorsque nous avons été confrontés à la réalité de nos quotidiens denseignants, les apports conceptuels rencontrés dans le cadre des cours de Jean-Michel Baudouin ou Guy Jobert consacrés à lanalyse du travail me sont apparus comme particulièrement pertinents. Une citation de P. Davezies relayée par Jobert (1999) collait parfaitement à mes constatations et à mes interrogations autour de ce rapport au réel : Travailler implique de sortir du discours pour se confronter avec le monde. Le mot nest pas la chose, et il va bien falloir que quelquun se la farcisse la chose. Cest bien structurellement que le travail réel est différent du travail théorique. (p. 211) Javais donc le sentiment, par le biais des concepts propres à lanalyse du travail, davoir quelques moyens pour partir à la rencontre de mes questionnements. Cette cohérence mapparaissait également dans le sens où le travail réel des enseignants fait encore peu lobjet dune approche ergonomique1et que la prescription de linnovation reste une réalité. Je cite à titre dexemple la volonté du département de linstruction publique fribourgeois dobliger, dici quelques années, chaque école du canton à se mettre en projet. Une injonction de ce type, que je mets demblée en relation avec les difficultés rencontrées par notre collectif alors quil était volontaire pour entrer dans une telle démarche, minvite à poursuivre mes questionnements. Les propos de Perrenoud (2005), à propos des dégâts provoqués par des innovations imposées dans des contextes qui ne sont pas favorables, résonnent à mes oreilles de manière particulière: Les innovateurs sont parfois des « apprentis-sorciers , qui ne savent pas ce quils provoquent, faute dun modèle suffisant dintelligibilité du travail. La sagesse consisterait à ne pas désorganiser une activité avant de savoir si et comment elle peut se réorganiser à un niveau supérieur, à quel prix et en combien de temps. (p. 12) Les termes choisis par Perrenoud ne sont pas anodins et recèlent peut-être une part de provocation. Du reste, je suis persuadé que ces quelques phrases seraient acclamées si elle étaient prononcées dans certaines salles des maîtres de ma connaissance. Faut-il donc écouter cesproposdesalledesmaîtresetselaisseralleràunfatalismequiverrait,delapartdelinstitution, le gel des innovations proposées parce que contestées par une partie des enseignants, souvent les plus conservateurs ? De prime abord et certainement en raison dune
1Même si les travaux Durand (1996, 2002), Durand, Ria et Flavier (2002), Barrère (2002a, 2002b, 2005), Clot (2000), Saujat (2004), Lanthaume (2005) et dautres sont consacrés à cette question, le champ dexploration reste vaste et la diffusion des résultats de ces recherches peu importante. Cest surtout lorsque lon compare lenseignement avec dautres domaines professionnels, par exemple les soins infirmiers que la différence est, à mon sens, marquante. 8
sorte de foi qui manime, je pense que ce serait une réaction qui aurait certainement une incidence dramatique sur tous ceux qui tentent dinnover et dévoluer dans le cadre de leur métier et sur lévolution de lécole en général. Alors comment réussir à faire évoluer les pratiques dans le bon sens « avec et non « contre les enseignants ? Jaimerais espérer, au regard de mes lectures et de mon parcours académique que lun des éléments de réponse pourrait se trouver dans lanalyse du travail réel au sens où lentendent les ergonomes de langue française. Silétudedutravailréelmeparaîtunevoieintéressanteàsuivre,jeresteconscientquecenest ni une panacée, ni une voie sans risque. Perrenoud (2005) dans une de ses hypothèses sur les raisons du manque de prise en compte du travail réel des enseignants par les innovateurs avance lidée du « risque dignorer le travail réel pour préserver autre chose (p. 8) et prend pour illustrer son propos limage de la boîte de Pandore que lon risque douvrir en sintéressant au travail réel en général et à celui des enseignants en particulier. Ces propos me paraissent particulièrement pertinents mais, nayant pas une fonction ou un mandat dinnovateur et parce que la question du travail réel des enseignants mintéresse, jai limpression que je suis en mesure de prendre ce risque. Si Perrenoud (2005) fait référence, dans son article, à la prise en compte du travail réel des enseignants par les innovateurs de manière générale, je vais mintéresser à lapproche de cette notion dans un cadre plus précis. En effet, en raison du parcours personnel déjà évoqué au début de ce chapitre, je mintéresserai au travail réel de lenseignant pris dans le contexte dun établissement cherchant à modifier ses pratiques. Cet intérêt est directement relié aux difficultés rencontrées dans le cadre de la mise en place de notre projet détablissement où les résistances napparaissent quau travers dactes anodins, de regards ou de réflexions lancées sans but affiché. Ces éléments ne sont quissus de ma propre perception et ils ne font pas partie de lanalyse du travail. Ce nest pas parce que je fais le même métier que je sais comment fonctionne lautre, rappelle Perrenoud (2005) en ajoutant que seuls des outils conceptuels et des théories pointues de lactivité peuvent permettre de comprendre le travail. Ceci est dautant plus pertinent quune part importante de lactivité échappe à la conscience de lopérateur, ce que Vermersch (2003) appelle cette « part de connaissances, de pensée privée, qui nest pas formalisée et conscientisée (p. 75). Lemploi de ces outils conceptuels et méthodologiques ne peut simaginer sans le consentement explicite des opérateurs concernés et oblige le chercheur à avoir une position clairement extérieure à la situation étudiée. Dans ces circonstances, il nest pas possible pour moi de mintéresser directement aux membres du collectif auquel jappartiens, bien que jy perçoive lexpression de résistances, de difficultés à articuler travail réel et prescription. Par contre, je peux, par ces mêmes moyens, essayer dapprocher le travail denseignants oeuvrant dans une autre école, dans un autre contexte. Ces éléments mamènent à la question suivante qui servira de ligne directrice à ce travail de recherche : Comment les enseignants composent-ils face aux difficultés du travail réel dans un établissement engagé dans un processus de transformation de pratiques? Pour tenter de répondre à cette question, cette recherche sera structurée en différentes parties. Je formulerai tout dabord quelques hypothèses de travail qui me paraissent intéressantes. En souhaitant approcher le travail réel denseignant et aborder la question des transformations de pratiques, jai conscience dentrer dans un domaine où la complexité sera omniprésente. Pour maider dans cette approche et parce que jen éprouve la nécessité à ce stade de ma recherche, jai fait le choix déclairer le début de ma réflexion par une approche
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conceptuelle des différents éléments de ma thématique de recherche. Je commencerai par traiter de la notion dinnovation au sens général puis au niveau scolaire. Je développerai ensuite les questions propres à létablissement scolaire avec les notions de « culture et de « projet . Dans un temps suivant et puisque jai envie dapprocher le travail réel dans le cadre de cette recherche, jaborderai certains concepts propres à lanalyse du travail et je développerai la question du travail spécifique de lenseignant. Sous le titre « une approche exploratoire et fondée , je présenterai mes choix épistémologiques et les procédés méthodologiques qui seront mobilisés dans le cadre de cette recherche. Cette partie abordera également les éléments du contexte fribourgeois, la présentation du terrain sur lequel jai effectué mes observations et la manière dont les données ont été récoltées. Le cadre conceptuel sera lobjet de la partie suivante et, à sa suite, je présenterai, dans une partie empirique, lanalyse des données récoltées. Enfin, dans un dernier temps, la conclusion me permettra de faire un rapide retour sur les éléments de ce mémoire et douvrir sur quelques pistes de développements possibles.
1.1Les hypothèses de travail La question de recherche évoquée dans la partie précédente, suscite différentes hypothèses que je tenterai de vérifier. Ces hypothèses sont pour une part issues directement dun cheminement théorique et, pour lautre, de réflexions plus empiriques. 1.1.1Hypothèse 1. : Même si le projet est négocié et rédigé par le collectif, lautonomie des enseignants permet à chacun dentre eux de composer en classe lors de sa mise en oeuvre. Cette réalité nest pas forcément identifiée par les enseignants. Cette hypothèse repose sur limpression dêtre en présence dune situation un peu paradoxale. Lorsquun collectif décide de se mettre en projet, il doit commencer par établir les finalités quil poursuit puis il définit des objectifs à différents niveaux pour les atteindre. Durant tout ce processus, le collectif doit faire ses choix et identifier, sous forme dun compromis, les aspirations de chacun. Rien ne peut être décidé si les membres en présence ne sont pas tous en accord avec les choix collectifs. Ces précisions permettent de montrer à quel point le projet dun établissement est véritablement le fruit dune démarche collective relatant normalement lensemble des aspirations individuelles. Cest là quopère le paradoxe puisque jailimpressionquunepartimportantedesaspirationscollectivestendàdisparaîtrelorsdelaprise en charge individuelle du projet dans le cadre de la classe. Les changements décidés en groupe sont oubliés, transformés, amenuisés en raison dun nombre important déléments présents lors de la confrontation au réel. A la fin de ce processus, les pratiques habituelles gardent leur primat. Lautonomie des enseignants offre évidemment à chacun la possibilité daccommoder à sa manière les éléments définis en groupe, mais il est intéressant didentifier dans quelle mesure les enseignants le font et sils en ont conscience. 1.1.2Hypothèse 2. : Dans un établissement en projet, un genre très spécifique peut se développer entre deux pôles : le développement de représentations communes améliorant les pratiques ou la simple mise en place de bureaucraties de contrôle confirmant les pseudo-améliorations . Cette hypothèse fait référence au concept de genre tel quil est défini par Clot (1999), Clot etFaïta(2000)etreprisparHaniqueetJobert(2002).Lanaturecollectiveduprojet
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détablissement va produire des normes daction qui pourront aller dans deux directions différentes : la modification des pratiques ou la simple production déléments de contrôle. Dans lune ou lautre situation, la portée du projet, son investissement par les membres du collectif et les résultats qui en découlent ne sont pas du même ordre. Dans le premier cas, le développement de visées communes va obligatoirement impliquer une évolution des pratiques et, dans lautre cas, le genre développé contribuera simplement à la mise sur pied déléments de contrôle sous forme dobjectifs et dindicateurs de réussite presque « alibi . Dans le premier cas, le projet entre véritablement dans les classes et dans lautre il reste confiné à la salle des maîtres et aux rapports de fin dannée censés légitimer les transformations dont on se sent « redevable . 1.1.3Hypothèse 3. : Les enseignants sont influencés tout au long de leur action par les acteurs qui les entourent : collègues, parents, enfants, accompagnateurs, formateurs, hiérarchie Au long de lannée, cest le jugement des parents, des collègues et des enfants qui aura le plus dimportance et dont linfluence sera la plus grande. Cette hypothèse fait référence à la prescription, aux normes et aux jugements propres au métier denseignant. Pour simplifier ces notions qui seront développées dans la partie théorique, la prescription au sens strict du terme, officielle et écrite, est beaucoup plus éloignée de lenseignant alors que tout ce qui concerne la prescription au sens large, les normes et les jugements semblent plus proches. Dans les faits, cela impliquerait que plus ces éléments sont proches de lenseignant, plus leur impact sera important sur sa pratique. En même temps, plus ces éléments sont proches et moins ils sont « officiels . Par exemple, une prescription obligeant la suppression des notes sur les trois premiers semestres du deuxième cycle peut être ignorée par un enseignant sous prétexte que des parents se sont plaints de cette manière de procéder ou que le collègue des classes suivantes juge ce règlement inadapté puisque les élèves ne savent plus la valeur des notes lorsquils arrivent dans sa classe. En résumé, le jugement des « partenaires sur le terrain est plus important que les indications officielles. Ce rapport à la prescription me semble intéressant à explorer au travers de cette hypothèse puisque les observations récoltées pourront, peut-être, donner des éléments de compréhension des phénomènes en présence. 1.1.4Hypothèse 4. : Les enseignants gèrent difficilement leur autonomie et leur responsabilité lorsquils tentent de transformer leur pratique : lorsquils légitiment leur action, ils parlent rarement en leur nom, mais font souvent référence aux divergences pouvant exister entre des prescriptions au sens strict ou au sens large du terme pour justifier lécart entre ce quils font et ce quils devraient faire. Comme les projets poussent à explorer les marges, ils mettent les enseignants en difficulté. Le recours aux différentes prescriptions pour légitimer son action est utilisé en tant que moyen de défense. Cette hypothèse tire son origine dune observation intuitive du milieu des enseignants. Lorsdenombreusesdiscussionsdesalledesmaîtres,jaipuobserver,sansyprendregardeaudébut, que les choix des enseignants, lorsquils étaient discutés, étaient souvent justifiés par des prescriptions au sens strict ou des normes établies. Leurs justifications ne sorganisent pas autour de leurs choix personnels ou de bases théoriques quelconques, mais autour dun argumentaire faisant référence à des éléments exogènes pouvant aller de linspecteur aux parents en passant par des remarques du type : « Jefais comme ça parce que les enfants