Rapport d'information déposé (...) par la Commission des affaires étrangères en conclusion des travaux d'une mission d'information constituée le 31 juillet 2007, sur la politique de la France en Afrique
Malgré une présence ancienne en Afrique, la France n'a pas suffisamment anticipé les évolutions que connaît le continent, tant en matière de développement économique, de problèmes alimentaires, de menace terroriste, de flux migratoires, de conflits internes... Tel est l'un des constats du présent rapport qui fait le point sur les relations entre la France et l'Afrique au début du XXIème siècle : présence française en retrait, repli des intérêts économiques, déclin de la politique de coopération. Il observe en revanche un accroissement du rôle de l'Union européenne en faveur de la sécurité et du développement de l'Afrique, une plus grande implication des Etats-Unis et de pays émergents tels que la Chine et l'Inde. Il dresse un panorama de la situation démographique, économique, sociale et climatique de l'Afrique, de la démocratisation, des perspectives de croissance, des mécanismes de résolution des conflits. Pour maintenir la présence française, le rapport propose de privilégier des relations de partenariat entre la France et l'Afrique, se substituant aux formes d'intervention qui ont prévalu jusqu'alors : valorisation de la coopération militaire, renforcement des moyens de l'aide bilatérale en matière d'éducation et de formation, soutien de la présence d'entreprises françaises en Afrique et aide au développement des entreprises africaines.
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Langue
Français
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1 Mo
Extrait
______ ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958TREIZI ÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 décembre 2008.
R A P P O R T D ' I N F O R M A T I O N DÉPOSÉ
en application de l'article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES en conclusion des travaux dune mission dinformation constituée le 31 juillet 2007(1),
sur« la politique de la France en Afrique »
Président M. JEAN-LOUISCHRIST
Rapporteur M. JACQUESREMILLER
Députés __________________________________________________________________ (1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
La mission dinformation « Politique de la France en Afrique » est composée de: M. Jean-Louis Christ, Président, M. Jacques Remiller, Rapporteur, MM. Jean-Paul Bacquet, Patrick Balkany, Renaud Dutreil (jusquà la fin de son mandat de député), Serge Janquin, François Loncle, Mme Henriette Martinez, MM. Didier Mathus, Michel Terrot.
I LES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET L AFRIQUE EN QUESTION................ 9 A.- UNE RELATION SINGULIÈRE MENACÉE DESSOUFFLEMENT................................. 9
1) La difficile adaptation à la nouvelle donne internationale.......................... 10 2) Regards croisés : le constat dun malentendu............................................. 11 B.- UNE PRÉSENCE FRANÇAISE EN RETRAIT.............................................................. 13
1) Des intérêts économiques en repli................................................................ 13
2) Une politique française de coopération en « peau de chagrin »............... 18 C.- LAFRIQUE, COURTISÉE, SE TOURNE VERS DES PARTENAIRES DIVERSIFIÉS..... 22
1) Le rôle ancien et croissant de lUnion européenne en faveur de la sécurité et du développement de lAfrique................................................... 22
2) Le retour des Etats-Unis en Afrique.............................................................. 25
3) Laffirmation des puissances « émergentes »............................................. 28
II L AFRIQUE CHANGE................................................................................................ 33
A.- LAFRIQUE, TERRE DE DÉSÉQUILIBRES................................................................. 34
1) Le continent de la jeunesse............................................................................ 34 2) Des pays en grande pauvreté........................................................................ 38 3) Un espace très vulnérable au choc climatique............................................ 43 B.- LAFRIQUE EN MOUVEMENT................................................................................... 46 1) Moins de conflits, plus de démocratie........................................................... 46
2) Des perspectives de croissance prometteuses........................................... 50 C.- LAFRIQUE PREND SON DESTIN EN MAIN............................................................... 53
1) Linstauration de mécanismes africains de résolution des conflits........... 53
2) Des efforts dintégration fondés sur de nouveaux espaces de solidarité 56
4 III L AFRIQUE AUTREMENT : LE PARI FRANÇAIS DU PARTENARIAT................. 61 A.- UNE AMBITION PLEINEMENT ASSUMÉE : MAINTENIR LA PRÉSENCE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.............................................................................................. 61
B.- UNE MÉTHODE : LE CHOIX DU PARTENARIAT........................................................ 62
1) Instaurer des relations dynamiques de partenariat..................................... 63 2) Changer de style et de ton.............................................................................. 64 3) Valoriser notre coopération multilatérale...................................................... 67
C.- DES PRIORITÉS DACTION FONDÉES SUR LINTÉRÊT MUTUEL DES PARTIES...... 69 1) Concrétiser les engagements du discours du Cap grâce à ladoption dune « feuille de route »................................................................................. 69 2) En matière de coopération, renforcer les moyens de laide bilatérale en faveur de léducation et de la formation........................................................ 70
3) Surle plan économique, soutenir la présence des entreprises françaises en Afrique ainsi que le développement des PME africaines.. 73 CONCLUSION.................................................................................................................. 77 ORIENTATIONS ET RECOMMANDATIONS.................................................................. 79 EXAMEN EN COMMISSION............................................................................................ 83 ANNEXES......................................................................................................................... 89 I. LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR LA MISSION.................................... 91 II. LISTES DES PERSONNALITÉS RENCONTRÉES DANS LE CADRE DES DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS À LÉTRANGER........................................................ 93
III. CONTRIBUTIONS DES MEMBRES DE LA MISSION DINFORMATION ......................... 95
Mesdames, Messieurs,
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Evoquer les relations entre la France et lAfrique, cest entrer dans une histoire unique, à la fois tumultueuse et affective, prometteuse et frustrante. Malgré toutes ses vicissitudes, il y a de lamour et de la grandeur dans cette relation, une attirance mutuelle qui mérite de résister aux changements du monde. Il y a lespérance dune humanité fraternelle, comprenant quil lui faut tisser avec ses propres différences des liens à toute épreuve. Il y a la guerre, la violence, le préjugé, la petitesse des hommes mais il y a aussi leur soif de paix, de culture, dentraide et dharmonie. Que de réactions avons-nous entendues, passionnées, agacées, voire désabusées ou, au contraire, enthousiastes et volontaristes ! En aucun cas, le couple que forment la France et lAfrique ne peut laisser indifférent, ni dans le regard que lon jette sur le passé, ni dans les espoirs que lon peut nourrir pour lavenir.
Il en est naturellement de même lorsquon aborde la politique de la France en Afrique. On y voit se profiler aussi bien la haute stature dhommes dEtats, dentreprise et de culture que lépouvantail de la « Françafrique ». Ce néologisme, inventé par le président ivoirien Houphouët-Boigny en 1973, décrit dun mot les liens étroits et complexes unissant la France à ses anciennes colonies dAfrique. Sa signification, là encore, est ambiguë. Proximité singulière ou proximité douteuse ?Le terme qui aurait pu évoquer une entente admirable, un métissage de peuples, une vision commune, a fini par symboliser la survivance de réseaux dinfluence plus ou moins occultes, entretenus par la France en Afrique, voire dune forme de néocolonialisme, et parfois même dune complaisance pour des pratiques inacceptables, mêlant pouvoir, faveurs et argent.
Mais, alors que les réactions sur les relations franco-africaines restent vives, dimportantes mutations sont intervenues sur le continent africain, dont notre pays a tardé à prendre entièrement la mesure. LAfrique, ces derniers temps, a plus bougé que le regard français sur lAfrique. LAfrique daujourdhui connaît des transformations profondes que la plupart des grandes puissances du monde, en particulier les puissances émergentes, à commencer par la Chine et lInde, ont clairement identifiées. Danciens conflits se sont résorbés dune manière nouvelle tandis que lUnion africaine commence à jouer un rôle clé en matière de paix et de sécurité, attestant dune volonté forte de prise en main, par les Africains eux-mêmes, des problèmes qui surgissent à léchelle continentale ou régionale. Enfin, malgré de grandes disparités, lAfrique connaît depuis quelques années une croissance économique soutenue, supérieure à la moyenne mondiale. De plus en
6 plus nettement, lesprit dentreprise souffle sur lAfrique, comme celui de la création artistique ou de la justice sociale. Pour autant, si lAfrique est bel et bien en marche, le processus de démocratisation reste parfois lent. Le développement du continent sen trouve en partie affecté, notamment aux plans de la bonne gouvernance et de lEtat de droit, ne serait-ce que parce que laide au développement peut difficilement donner toute sa mesure dans un tel environnement.
Au-delà de ces transformations, lAfrique se trouve aujourdhui, en raison de la mondialisation, confrontée à des problèmes qui préoccupent lensemble de la communauté internationale, quil sagisse de linsécurité alimentaire mondiale, de la menace terroriste, des flux migratoires ou de la sécurisation des marchés et des approvisionnements, notamment énergétiques, mais qui ont sur le continent africain des conséquences démultipliées.
Malgré une présence ancienne en Afrique, la France a insuffisamment anticipé lampleur de ces évolutions et leurs conséquences. Alors que notre pays sengageait progressivement dans un processus de retrait de la gestion des conflits africains au profit dautres acteurs internationaux, dont lUnion européenne, il a, dans le même temps, enregistré un recul de son influence propre sur le continent. Ce recul nest pas uniquement matériel, dénombrable en argent, troupes, enseignants ou migrants, il est aussi immatériel, il est aussi symbolique, politique et culturel.
Face à ces mutations profondes, et au risque considérable que représenterait pour la France un désamour durable avec lAfrique, dans lindifférence dune opinion publique française repliée sur ses problèmes intérieurs, la commission des Affaires étrangères de lAssemblée nationale ne pouvait rester silencieuse. LAssemblée nationale, parce quelle représente le peuple français, est concernée au premier chef par le devenir dune relation aussi vitale que celle quentretiennent la France et lAfrique. Lobjectif de la Mission dinformation quelle a instituée en septembre dernier est de faire la part des choses, certes, mais aussi de réaffirmer une confiance et une volonté, et dalerter lopinion comme les pouvoirs publics sur le danger du désintérêt pour lAfrique. Il est également de répondre aux critiques, fréquemment adressées au Parlement français, de rester à lécart du débat sur les orientations dune politique, la politique de la France en Afrique, où lanalyse critique, la transparence et laudace sont plus que jamais nécessaires.
Enfin, à lheure où une réflexion globale est engagée dans le cadre de la Revue générale des politiques publiques (RGPP) et du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, la commission des affaires étrangères entend apporter sa contribution sur le contenu de la réforme de notre politique en Afrique.
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I LES RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET LAFRIQUE EN QUESTION
Les relations entre la France et ses partenaires africains se sont longtemps caractérisées par leur caractère ancien et étroit. Plusieurs signes montrent cependant quelles ont aujourdhui tendance à saffaiblir.
À loccasion dun déplacement en Afrique du Sud en février dernier, le président Nicolas Sarkozy dressait le constat suivant : «Mais en dépit de la profondeur et de lancienneté de ces liens, la relation de la France avec lAfrique, particulièrement avec lAfrique sub-saharienne, se distend. Le nombre de Français vivant en Afrique, les exportations et les investissements français vers lAfrique ont baissé. Il en résulte que nos partenaires traditionnels en Afrique ont parfois le sentiment dun abandon ou au minimum dun désintérêt de la France à leur endroit. Alors cette relation est compliquée parce que sy mêlent depuis toujours à la raison le sentiment et la passion, parce quelle est depuis toujours chargée dune grande affectivité, mais aussi parce que cette relation est en décalage par rapport à ce que veulent les Africains et à ce que perçoivent les Français».
A.- Une relation singulière menacée dessoufflement
La nature des relations entre la France et lAfrique est loin de laisser indifférent : certains dénoncent leur caractère ambigu, lié à des réflexes coloniaux encore très présents ;dautres louent une relation particulière, à nulle autre comparable. De fait, une relation singulière lie la France à ses anciennes colonies dAfrique, comme la souligné Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI, devant les membres de la Mission(1): «Nous y avons, nous Français, commis des crimes et multiplié les manquements, mais nous avons aussi cherché à y apporter parfois avec maladresse le meilleur de nous-mêmes. LAfrique a versé son sang pour la France et, à cet égard, notre dette est immense ; cette dette est éternelle, tellement le sacrifice de tant dAfricains a contribué au cours des deux derniers conflits du siècle dernier, à préserver ce que nous sommes».
En dépit de leur dimension unique, ces relations ont aujourdhui perdu de leur intensité, laissant la place à une incompréhension mutuelle, nourrie dun côté par une indifférence croissante, de lautre par une certaine déception, voire un sentiment de rejet.
(1) Audition du 30 janvier 2008.
101) La difficile adaptation à la nouvelle donne internationale
Cette évolution est, en partie, la conséquence dun environnement international profondément remanié depuis la fin de la Guerre froide ainsi que des choix politiques qui ont alors été faits, sans avoir été toujours pleinement assumés. Leffondrement de lUnion soviétique a, en effet, contribué à détourner lattention de lAfrique, jusqualors terrain daffrontement indirect entre les deux blocs, tout en laissant espérer lavènement dune ère nouvelle dans les relations internationales. Cest dans ce contexte que le président François Mitterrand a prononcé, en juin 1990, le célèbre discours de La Baule définissant une nouvelle doctrine de conditionnalité démocratique, censée régir, à lavenir, les relations entre la France et ses partenaires africains traditionnels. Cet effort pour fixer un cadre à ces relations na pas résisté à lépreuve des faits ; pas plus que les tentatives qui ont suivi sous les divers gouvernements qui se sont succédé (« doctrine dAbidjan » subordonnant laide française au respect des programmes dajustement structurel du FMI, avancée par le Premier ministre Edouard Balladur, ou doctrine du « ni - ni » - « ni ingérence, ni indifférence » - définie par le Premier ministre Lionel Jospin)(1). La politique française en direction du continent africain a, en effet, régulièrement oscillé entre «() une politique de puissance (interventionnisme dans le pré carré, francophonie, soutien des pays africains à la France dans le cadre de lONU, utilisation des reliquats de réseaux de la Françafrique) et des relations normalisées (proximité moindre avec les pays francophones, européanisation et présence plus affirmée dans les plus grands marchés africains comme lAfrique du Sud, le Nigeria ou lAngola)»(2). Ces hésitations se sont traduites par certaines contradictions dans la mise en uvre des orientations retenues, qui ont pu porter préjudice à limage de la France en Afrique.
A cet égard, la France nest sans doute pas non plus exempte de reproches qui, depuis les indépendances, a parfois trop longtemps soutenu au nom de la stabilité du continent, des régimes honnis de leurs peuples. Elle en paie peut-être aujourdhui le prix.
Ainsi, renonçant à des interventions directes en Afrique, la France a fait le choix de « multilatéraliser » et de « régionaliser » la gestion des crises, en sappuyant sur les décisions prises dans un cadre onusien, africain ou européen. Tel a été le cas, par exemple, en République démocratique du Congo où lengagement de la France a pris la forme dune participation à la force européenne « Artémis »qui sest déployée en Ituri, en 2003, pour appuyer la Mission des Nations unies sur place. Cest toujours le cas aujourdhui avec la
(1) Se reporter à « La fin du pacte colonial ? », rédaction de la revuePolitique africaine,n°105, mars 2007. (2) Alain Antil, « La politique africaine a besoin de lisibilité »,La Tribune, 10 décembre 2007.