Justice, une évolution inquiétante
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La France s’est dotée depuis le début des années soixante-dix, d’un impressionnant arsenal législatif
destiné à sauvegarder les milieux naturels, préserver les ressources et les paysages, prévenir les
risques et les pollutions, protéger la santé publique et notre cadre de vie.

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Publié le 13 février 2012
Nombre de lectures 203
Langue Français
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Extrait

4 - Eau & Rivières Printemps 2010 n° 151
D R O I T D E L’ E N V I R O N N E M E N T
Justice, une évolution inquiétante
L’émergence d’un droit à l’environnement trouvait – il est
vrai – largement son fondement dans les engagements
d’amélioration continue de l’environnement pris par l’Etat
au niveau européen. Il s’est matérialisé par l’émergence
d’un code de l’environnement, institué en 1998 et achevé
en 2007. Dernière évolution en date, les grands principes
de la politique environnementale ont désormais une
valeur constitutionnelle depuis que la charte de l’envi-
ronnement a été « adossée » à la constitution française en
2005.
Mobiliser le droit
Encore faut-il que cet arsenal soit effectivement mobilisé.
En trente années (nos premières actions juridiques remon-
tent à 1981), Eau & Rivières a mené à bien plus de 500
démarches devant les tribunaux, afin que la loi et la pro-
tection de l’environnement ne demeurent pas virtuelles.
Une action efficace, complémentaire des autres démarches
de l’association, qu’elles soient pédagogiques, média-
tiques ou participatives. Incontestablement, cette action
en justice a produit des effets positifs et contribué à ce
qu’au fil des ans, les comportements évoluent sous la
pression médiatique de procès parfois retentissants :
Citons à titre d’exemple la fin des publicités menson-
gères de pesticides qu’a provoqué le retentissant procès à
l’encontre de
Monsanto
, la complicité d’extension illé-
gale d’élevages avicoles par la société
Doux
qui a mis en
lumière les tenants et aboutissants d’un schéma d’inté-
gration industrielle, les extensions irrégulières des éle-
vages industriels de porcs – véritable plaie régionale – par
les leaders de la filière porcine (éventuellement sur constat
préalable de l’association) peu à peu résorbés malgré les
tolérances ou carences coupables de l’administration…
Dans chacun de ces cas, Eau & Rivières par sa ténacité et
sa compétence technique a permis à la justice de rappe-
ler à l’ordre de trop nombreux délinquants et de faire
cesser d’importants dommages écologiques, comme à en
dissuader un bon nombre.
La France s’est dotée depuis le début des années soixante-dix, d’un impressionnant arsenal législatif
destiné à sauvegarder les milieux naturels, préserver les ressources et les paysages, prévenir les
risques et les pollutions, protéger la santé publique et notre cadre de vie.
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Hélas,
cette contribution de la justice à la mise en
oeuvre du droit de l’environnement semble avoir du
plomb dans l’aile…
D’abord, parce que la grande majorité des procès-ver-
baux dressés pour infractions environnementales fait
l’objet de classements sans suites… Pour l’année 2008,
ce serait le cas de près de 70 % d’entre eux, ce qui n’est
pas très encourageant pour les agents chargés de dres-
ser ces constats d’infraction et qui ont le sentiment de
travailler pour du beurre… Quant aux sanctions, déjà
peu nombreuses, elles sont dans la majorité des cas
tellement faibles, que leur portée pédagogique est
nulle… voire contre-pédagogique quand la peine pro-
noncée est un encouragement tacite à recommencer !
Exagéré ? Non ; voir, par exemple, ce cas de drainage
d’une tourbière (inventoriée par le conseil général du
Finistère, classée comme « zone naturelle d’intérêt fau-
nistique et floristique » et protégée par le SAGE de
l’Odet comme par le plan local d’urbanisme), dont l’as-
sèchement irrégulier sera sanctionné en mars 2009 par
le tribunal correctionnel de Quimper d’une amende de
2000 euros, dont 1800 avec sursis… Ou encore cet autre
cas de traitement par pesticides en bordure de cours
d’eau, au mépris des interdictions réglementaires rap-
pelées sur l’étiquette du produit, sur une zone humide
irrégulièrement remblayée. Tarif pour ces trois infrac-
tions : 2000 euros d’amende, dont 1800 avec sursis.
Pas véritablement dissuasif !
Du plomb dans l’aile
Ensuite, parce que les pratiques juridictionnelles évo-
luent face à une délinquance de masse, et que l’envi-
ronnement demeure un domaine périphérique d’inves-
tissement judiciaire. Plutôt que de citer les prévenus à
comparaître devant le tribunal correctionnel, la plu-
part des parquets (dirigés par les procureurs de la répu-
blique) préfèrent aujourd’hui avoir recours à des pro-
cédures alternatives aux poursuites pour gagner du
temps (médiation pénale, composition pénale, voire
transaction pénale…) ou à des procédures simplifiées de
poursuites sans audience publique (timbre amende
forfaitaire, ordonnance pénale) ou avec une audience
(comparution sur reconnaissance préalable de culpabi-
lité)… limitée au seul débat sur l’homologation de la
peine négociée préalablement. Toutes procédures certes
beaucoup plus rapides, mais qui évitent aux pollueurs
et autres délinquants environnementaux un procès
public et leur permettent de négocier l’importance de la
(Rapport de la Cour des comptes de février 2010, p. 625)
« Une action répressive insuffisante et mal suivie :
Alors que le temps consacré aux contrôles par les services de police de l’eau, le nombre de contrôles effectués
et le nombre d’infractions constatées ont augmenté significativement depuis 2005, tel n’a pas été le cas des
sanctions administratives, les services se contentant trop souvent de simples rappels à la réglementation.
Quant aux sanctions pénales, elles ont diminué de 17 % depuis 2004 : le nombre de procès-verbaux a ainsi
chuté de 53 % pour les délits liés à la pêche.
Au total, 26 % des contrôles réalisés par les services de l’Etat donnent lieu à une réponse administrative ou
pénale, mais seuls 1 % conduit à une sanction. Ce taux, extrêmement faible, peut être comparé aux suites don-
nées à ses contrôles par l’inspection des installations classées pour l’environnement (ICPE) : 7 % se traduisent
par une sanction administrative ou pénale.
En outre, les services répressifs de l’Etat ignorent les suites données à 60 % de leurs procès-verbaux, faute de
retour d’information suffisant de la part des tribunaux. (…) A l’heure actuelle, lorsqu’il est donné suite aux pro-
cès-verbaux, situation dont la fréquence augmente tout en restant faible (13 % des procès-verbaux ont
donné lieu à condamnations en 2007), les amendes prononcées sont peu dissuasives au regard des avan-
tages économiques que les auteurs de l’infraction peuvent en retirer : 1 062
en moyenne pour les délits, 394
pour les contraventions. »
UN RUISSEAU RECTIFIÉ, QUELLE JUSTICE POUR RÉPRIMER CE DÉLIT
ET ORDONNER LA REMISE EN ÉTAT DES LIEUX.
© ERB
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sanction avec le représentant du parquet via leurs avo-
cats. Et face à des parquets peu au fait des enjeux envi-
ronnementaux, les avocats ont le beau rôle, d’autant que
ni les agents qui ont dressé les procédures, ni les parties
civiles susceptibles d’apporter une contribution pédago-
gique à l’appréciation du trouble à l’ordre public envi-
ronnemental, ne sont invités à la discussion pour contre-
balancer la vision des avocats du prévenu. Bref, une
justice d’abattage, en vase clos, coupée des réalités
sociales, de plus en plus éloignée du territoire du fait de
la fermeture des tribunaux de proximité, qui démontre
bien l’ampleur de la crise frappant ce service public essen-
tiel. Cette situation, observable dans la majorité des tri-
bunaux bretons comme au plan national, qui ne cesse de
s’amplifier au fil du temps, risque d’affaiblir un peu plus
le respect naissant du droit de l’environnement.
Deux poids, deux mesures !
Pourtant à l’inverse, on voit bien que quand la justice
est décidée à frapper fort et à réprimer sévèrement les
délinquants environnementaux, ses décisions ont un
impact réel sur les comportements sociaux. En matière de
pollutions maritimes et de dégazages en mer, le tribunal
correctionnel de Brest, en obligeant les prévenus à de
fortes consignations financières, en requérant et en
ordonnant de fortes sanctions financières (jusqu’au demi-
million d’euros d’amende), a presque fait disparaître les
dégazages sauvages et les rejets volontaires de mazout sur
nos côtes… ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas lieu
plus loin sur les routes du transport maritime, au large de
pays moins regardant. Les règles du jeu ne sont appli-
quées par les opérateurs économiques que si elles sont
contrôlées et sanctionnées ! Et ceux-ci savent s’adapter,
comme le démontre leur capacité d’adaptation et de ratio-
nalisation du risque économique. Encore faut-il consta-
ter que le réveil de la justice en la matière doit être relié
à la condamnation politique préalable des « voyous de la
mer », pour reprendre l’expression de l’ancien Président
de la République J. Chirac. Pourquoi ce qui est réalisé à
l’égard de ces délinquants professionnels (certes étrangers
et de passage) ne l’est-il pas ou si peu vis-à-vis des
« voyous de nos rivières » ?
Dernière menace qui pèse sur la justice, et pas des
moindres. La disparition d’une juridiction d’instruction
indépendante du pouvoir, et la restriction par grignotage
des pouvoirs d’action des victimes, qui visent toutes deux
à concentrer tous les pouvoirs d’instruction et de pour-
suites dans les mains de parquets… dépendant hiérarchi-
quement du gouvernement. A tel point que la Cour euro-
péenne des droits de l’homme a récemment refusé la
qualité d’autorité judiciaire au parquet français du fait de
son absence d’indépendance à l’égard du gouvernement,
décision symbolique de l’état de notre justice en ce début
de XXIème siècle, au pays des droits de l’homme. Une fois
saisi, le juge d’instruction est tenu d’enquêter et de pour-
suivre s’il découvre des charges suffisantes, alors que le
procureur peut librement classer sans suite et ne s’en
prive d’ailleurs pas. Enfin, le juge d’instruction assume les
frais d’enquête, alors que sa disparition accroitrait néces-
sairement les charges financières pesant sur les parties, et
partant aggraverait les conditions d’accès à la justice.
Sans juge d’instruction par exemple, Eau & Rivières n’au-
rait pu obtenir la condamnation dans les années 1990
d’élus irresponsables pour pollutions de cours d’eau éma-
nant de stations d’épuration communales obsolètes, qui
a accéléré la modernisation et la gestion rigoureuse depuis
lors de ces équipements en Ille-et-Vilaine. La diversité
des voies de mobilisation de la justice est garante d’une
justice vivante, à l’instar de la biodiversité. La régres-
sion de l’idée même de justice, au coeur du projet de
réforme gouvernemental actuel, a été vivement condam-
née par l’adoption d’une motion unanime de plus de 400
personnes lors du colloque d’octobre 2009 à l’occasion du
40ème anniversaire de l’association. Selon que l’on est
puissant ou misérable…
EAU & RIVIÈRES A MENÉ À BIEN PLUS DE 500 DÉMARCHES DEVANT LES TRIBUNAUX, AFIN QUE LA LOI ET LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT NE DEMEURENT PAS VIRTUELLES.
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GESTION DE L’ACTION PUBLIQUE
Outil
Référence
Champ
Autorité
Premier terme
Audience
Remise
CPP
d’application
judiciaire
de la récidive
publique
en état
Classement sans suite
40
général
procureur
non
non
non
(trouble non identifié)
Rappel à la loi
41-1
général
procureur
non
non
non
Classement
41-1
général
procureur
non
non
éventuel
conditionné
Médiation pénale
41-1
général
procureur
non
non
éventuel
Transaction pénale
6
certains délits
procureur
non
non
éventuel
(L. 216-14,
et contraventions
L. 437-14,
(eau, pêche,
L. 331-25
parcs nationaux)
code env.)
Amende forfaitaire
529
C1 à C4
procureur
non
non
non
(parcs nationaux,
réserves naturelles,
littoral, chasse,
pêche, eau, déchets)
Composition pénale
41-2
contraventions
non
non
non
+ délits < 5 ans
Ordonnance pénale
524
contraventions
juridiction
oui
non, sauf appel
éventuel
Comparution sur
495-7
délits < ou = 5 ans
juridiction
oui
oui (limitée
éventuel
reconnaissance
à discussion
préalable de
sur la peine)
responsabilité
Information judiciaire
80
général
juridiction
éventuel
éventuel
éventuel
(juge d’instruction)
d’instruction
in fine
in fine
in fine
Comparution
397
délits > ou
juridiction
oui
oui
éventuel
immédiate
= 2 ans, (ou > ou
= 6 mois après
flagrance)
Citation
388
général
juridiction
oui
oui
éventuel
à comparaître
Ajournement
L. 216-9
+ injonction
L. 514-10
code env
Référé pénal
L. 216-13
code env
Gestion alternative aux poursuites
Poursuites simplifiées
Poursuites
Procédures spécifiques
Après une déclaration de culpabilité, la juridiction peut ajourner le prononcé de
la peine, enjoindre au coupable une mesure de réhabilitation dans un délai sous
astreinte éventuelle, et statuer ultérieurement sur la peine
Sur réquisition du parquet, la juridiction (de jugement ou d’instruction) convoque
le prévenu sous 48 h, et peut prendre une ordonnance de référé exécutoire pour
faire cesser immédiatement en cas d’urgence un trouble aquatique manifeste-
ment illicite.
(Rapport d’inspection interministérielle sur le renforcement et la structuration des polices de l’environnement, février 2005).
« Pour les élevages, le traitement des dossiers d’autorisation ou de déclaration avait pris ces dernières années beaucoup
de retard dans les régions d’élevage intensif et le contrôle y était pratiquement inexistant. En Bretagne, des moyens com-
plémentaires ont été fournis aux services et des programmes de visite des exploitations mis en place, mais il y a encore
très peu d’infractions relevées. Le principe retenu est de commencer par informer l’exploitant de ses obligations, puis
de l’avertir, puis de le mettre en demeure, et enfin de le verbaliser »
(p. 24)
« Les procès-verbaux relatifs à l’environnement ne représentent qu’une part infime de l’ensemble des procédures trai-
tées par les tribunaux (0,5 %). Comparées au contentieux général, les infractions ont un meilleur taux d’élucidation mais
donnent moins souvent lieu à poursuites ou à l’engagement de procédures alternatives (27 % contre 63 % pour l’en-
semble du contentieux). Les condamnations, en diminution constante depuis 1996, laissent encore une part prépondérante
à la chasse et à la pêche (…) cette efficience médiocre ne répond ni aux enjeux actuels, notamment communautaires,
ni aux attentes croissantes des citoyens dans ce domaine »
Trouble léger à l’ordre publicTrouble moyen
à l’ordre public
Trouble grave
à l’ordre public
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