Les professionnels et la carrière à l'heure de l'hybridité ...

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Les professionnels et la carrière à l'heure de l'hybridité : Hétéronomie, normativités et trajectoires de carrière au sein des musées nationaux britanniques. Jonathan Paquette, Ph.D., professeur adjoint École d'études politiques, Université d'Ottawa 55 Laurier, Ottawa, Ontario, Canda, K1N 6N5 Résumé Ce texte document les enjeux de l'hybridité des systèmes de valeurs issue des réformes de nouvelle gestion publique dans le secteur culturel.

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• Langue: Français

Extrait

Les professionnels et la carrière à l’heure de l’hybridité : Hétéronomie, normativités
et trajectoires de carrière au sein des musées nationaux britanniques.

Jonathan Paquette, Ph.D., professeur adjoint
École d’études politiques, Université d’Ottawa
55 Laurier, Ottawa, Ontario, Canda, K1N 6N5
[e-mail]

Résumé
Ce texte document les enjeux de l’hybridité des systèmes de valeurs issue des réformes
de nouvelle gestion publique dans le secteur culturel. Depuis le début des années 1990,
les musées nationaux anglais ont été assujettis à des normes managériales contraignantes
pour la production des trajectoires des carrières des professionnels de la conservation. À
partir du cas des musées nationaux britanniques, ce texte illustre les implications et
l’hétéronomie engendrée par l’hybridization des organisations publiques qui favorise le
conflit entre les normes professionnelles et managériales; au-delà de la tension
organisationnelle liée à l’hybridité des valeurs, on observe un certain nombre de tensions
qui affectent le fonctionnement même des groupes professionnels, leurs dynamiques de
socialisation et leurs systèmes normatifs. Pour les professionnels qui naviguent dans un
tel contexte, la production d’une trajectoire de carrière se heurte à des logiques
contradictoires, opposant les normes de la profession aux nouvelles normes managériales.
Au final, et loin d’être un dépassement positif menant à la construction d’une nouvelle
identité professionnelle, l’hybridité est un facteur de confusion et de conflit identitaire et
normatif. Ce texte met également en relief les nouvelles pratiques de carrière découlant
de l’hybridité et les stratégies développées par les professionnels pour naviguer dans un
tel contexte.
Introduction
Depuis trois décennies environ, le secteur public a été assujetti à plusieurs vagues de
réformes dont l’objectif se résumerait en quelque sorte à repenser l’administration
publique et le service public autrement, c’est-à-dire, d’imaginer un service public
autrement que sous sa forme bureaucratique. Les différents programmes nationaux de
réformes de gestion publique (ou de nouvelle gestion publique) se sont intéressés à de
nouvelles formes de livraisons des services publics (allant jusqu’à la privatisation) ainsi
qu’à de nouvelles valeurs phares pour la fonction publique inspirées par le secteur privé,
par des logiques service-client, voire, des valeurs fondées sur les principes de
l’entrepreneuriat dont les logiques sont ancrées dans les théories économiques de
l’innovation. Chose certaine, le secteur public est devenu un point de convergences
d’idées, d’une succession de modes managériales dont l’introduction souvent mitigée s’est faite en cohabitation avec les modes de fonctionnement, les valeurs et les principes
bureaucratiques tant critiqués. La notion d’hybridité et d’hybridisation traduisent bien
l’état de la situation actuelle et illustrent également comment l’emploi dans le service
public et le travail sont devenus des réceptacles d’idées multiples (parfois contradictoires)
pour se constituer en un véritable confluent où se métissent idées et modes.

Dans un tel contexte, les groupes professionnels du secteur public représentent en
quelque sorte un défi pour les réformes et valeurs de la nouvelle gestion publique, car le
mode de groupement professionnel est sans conteste l’une des manifestations les plus
évidentes d’un mode de fonctionnement bureaucratique (Abbott, 1988; Evetts, 1999;
2003). Dans son fonctionnement interne, c’est-à-dire dans ses modes de régulation, le
groupe professionnel est le plus souvent structuré en mode de fonctionnement
bureaucratique et la présence des groupes professionnels au sein des organisations
publiques représente rien de moins qu’une persistance de la logique bureaucratique tant
critiquée et remise en question.

Une somme importante de travaux s’est justement intéressée à la place des groupes
professionnels dans un contexte de réforme de gestion publique. Les travaux qui se sont
préoccupés de l’influence de la gestion publique sur les groupes professionnels n’ont pas
manqué de mettre en évidence, voire d’insister, sur les enjeux de pouvoirs qui se profilent
dans le sillage des réformes (Pollitt, 1990; Ferlie et. al., 1996; Bate, 2000; Cheung,
2002). Un premier volet de ces travaux concerne les processus et l’organisation du travail
en mettant en tension les groupes professionnels et les autres groupes occupationnels ou
professionnels des organisations publiques, tout en insistant sur les conflits, les gagnants
et perdants des réformes (Hinnings, et. al., 1991; McNulty et. al., 1994; Kitchener &
Whipp 1997). Un second volet concerne les intrusions dans les espaces de pratique
professionnelle, ces intrusions managériales qui représentent en quelque sorte et bien
sournoisement, une contestation du monopole de la pratique professionnelle sur certains
actes, notamment en ce qui a trait au contrôle et à la vérification des activités
professionnels (Dent, 1993; McGivern & Ferlie, 2007). Aux côtés de ces constats plus
alarmistes, d’autres suggèrent – avec plus de prudence – que les réformes de gestion
publique ne provoquent pas tant un déclin du pouvoir des professionnels dans
l’organisation qu’une perturbation des valeurs (Exworthy & Halford, 1999) et du
fonctionnement et ce, au sein même des groupes professionnels (Ackroyd, 1996;
Kirkpatrick 1999; Kirkpatrick & Ackroyd, 2003a; 2003b; Fitzgerald & Ferlie, 2000;
Currie et. al., 2008). La gestion publique serait alors source de « turbulence » et
perturberait la hiérarchie et l’ordre des valeurs, nous renvoyant ainsi à la question de
l’hybridité des valeurs et des normes du service public.

Cet article s’intéresse à l’hybridité des normes et des valeurs du service public en mettant
l’accent sur les enjeux qui découlent des dynamiques internes, des normes et de l’identité
professionnelle et ce, afin d’interroger les nouvelles représentations de la carrière
résultant de ce contexte qui s’est lentement constitué au cours des dernières décennies. Le
déclin (ou l’appel au déclin) de la norme bureaucratique coïncide avec la multiplication
des référentiels normatifs pour les groupes professionnels, favorisant un contexte
d’hybridité que l’on peut conceptualiser – au plan de la normativité professionnelle – comme une hétéronomisation des valeurs professionnels. Dans un tel contexte, comment
produit-on sa carrière? Quelles-sont les normes qui structurent les trajectoires de carrière
et leur représentation. Au final, quelles sont les nouvelles représentations de la carrière
qui découlent de cette hybridité des référentiels et des normes professionnelles?

Afin d’aborder cet enjeu, cet article s’appui sur une enquête qualitative menée auprès des
directeurs de musées nationaux britanniques. L’évolution du contexte institutionnel et du
contexte organisationnel des musées traduit bien l’influence structurelle et idéationnelle
des réformes de types managériales et les musées nationaux de Grande-Bretagne
possèdent plusieurs caractéristiques intéressantes tant sur le plan conceptuel que sur le
plan des changements et réformes vécus. Contrairement aux conservateurs des musées
nationaux français ou italiens, les conservateurs des musées nationaux britanniques
(comme la plupart des représentants de ce métier dans le monde anglo-américain) ne
disposent pas des privilèges d’un statut et d’un monopole de la pratique confirmé par une
loi. Malgré des normes de fonctionnement et un attachement similaire aux valeurs du
Conseil international des musées (ICOM), les conservateurs des musées nationaux
britanniques ne disposent pas d’un niveau d’autonomie professionnelle équivalent à leur
confrère français les rendant du coup plus vulnérable aux influences et menaces externes.
Depuis le milieu des années 1990 jusqu’à ce jour, les musées nationaux britanniques ont
fait l’objet de transformations majeures. La montée en puissance des conseils
d’administration, le développement de nouvelles formules de reddition de comptes ainsi
que la formulation d’une nouvelle politique culturelle en 1997 constituent les données
d’un bouleversement profond pour l’institution. Ce contexte a été propice à une mutation
importante de la conservation britannique dont les effets sont perceptibles dans les
pratiques professionnelles et représentations que les