Extrait de l’interview d’Emmanuel Macron dans la revue Risques
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12 Interview C’est en train de changer, mais c’est un processus éminemment culturel, notamment parce que les grands groupes français sont âgés. Les entreprises du CAC 40 ont en moyenne 105 ans d’âge quand celles du Nasdaq en ont 15. Et donc nos grands groupes ne sont pas des groupes d’entrepreneurs, à l’exception d’un ou deux. Ce sont des groupes de managers. L’entrepreneur américain, lui, est davantage sensible à la prise de risques, davantage propice à l’innovation en architecture ouverte ; il fera plus de R&D enopen innovationet plus d’acquisitions. On a donc un problème de « respiration » de notre propre tissu entrepreneurial et industriel. C’est pour cela que je mise beaucoup sur laFrench tech, parce que je pense qu’elle change sociologiquement le fonctionnement (1) de notre économie. Et lorsqu’on a des « licornes » (2) ou des ETIentrepreneuriales importantes qui commencent à émerger, on change la culture capitalistique et la capacité à travailler avec son écosystème ; et donc on privilégie le risque sur la rente. Troisième point, pour créer de la liquidité, il faut renforcer notre infrastructure de marché. C’est le sens d’Euronext et, en son sein, d’Enternext, qui est la plateforme technologique. Les cotations sur ce marché ont plus que doublé entre 2014 et 2015. En octobre dernier, j’ai assisté à l'introduction en Bourse de Showroomprivé chez Euronext, le groupe français de vente en ligne. Coter ainsi des licornes cette année peut être le déclencheur.

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Publié le 20 avril 2016
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Langue Français

Extrait

12
Interview
C’est en train de changer, mais c’est un processus éminemment culturel, notamment parce que les grands groupes français sont âgés. Les entreprises du CAC 40 ont en moyenne 105 ans d’âge quand celles du Nasdaq en ont 15. Et donc nos grands groupes ne sont pas des groupes d’entrepreneurs, à l’exception d’un ou deux. Ce sont des groupes de managers. L’entrepreneur américain, lui, est davantage sensible à la prise de risques, davantage propice à l’innovation en architecture ouverte ; il fera plus de R&D enopen innovationet plus d’acquisitions. On a donc un problème de « respiration » de notre propre tissu entrepreneurial et industriel. C’est pour cela que je mise beaucoup sur laFrench tech, parce que je pense qu’elle change sociologiquement le fonctionnement (1) de notre économie. Et lorsqu’on a des « licornes » (2) ou des ETI entrepreneuriales importantes qui commencent à émerger, on change la culture capita-listique et la capacité à travailler avec son écosystème ; et donc on privilégie le risque sur la rente.
Troisième point, pour créer de la liquidité, il faut renforcer notre infrastructure de marché. C’est le sens d’Euronext et, en son sein, d’Enternext, qui est la plateforme technologique. Les cotations sur ce marché ont plus que doublé entre 2014 et 2015. En octobre dernier, j’ai assisté à l'introduction en Bourse de Showroomprivé chez Euronext, le groupe français de vente en ligne. Coter ainsi des licornes cette année peut être le déclencheur. Si on ne crée pas ce marché, les fonds de capital-risque ne viendront pas, parce qu’il n’y aura jamais sur la place européenne les bonnes valorisations – et on n’aura jamais un écosystème crédible de fonds de capital-risque. Il faut donc réussir à faire quelques cotations très fortes cette année, développer un écosystème d’analystes, pour avoir un effet d’entraînement.
Risques :Vous dites que le numérique est une chance sur le plan politique et social. Mais cela peut égale-ment créer de la rente. Facebook, Google, etc. se sont créés il y a moins de dix ans et ce sont des rentes de situation immédiate colossales ! N’est-ce pas un scandale ?
Emmanuel Macron :C’est un scandale… qui s’explique économiquement. Ces entreprises ont
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capté une rente d’innovation, dont l’effet est exponentiel, car elles sont parvenues à accumuler du capital et des données, et ainsi à sortir tous leurs concurrents potentiels du marché. C’est pour cela que je crois, plus que jamais, à la politique de la concurrence comme un instrument de la liberté et de l’égalité. Il faut que nous ayons une vraie régulation européenne et que nous construisions un marché unique du numérique pour faire émerger des acteurs européens. Aujourd’hui, dans chaque pays européen, (3) le premier acteur par secteur concerné est un Gafa ; le deuxième, c’est l’acteur domestique local ; et après seulement c’est un acteur européen. Donc si nous voulons créer et bâtir les Gafa européens de demain, les réformes de simplification, d’ouverture des données et de financement de la croissance sont clés. Mais il faut aller vite, avec des outils de régulation ex ante et de sanction plus rapides, sinon le marché sera figé.
Risques :Les prélèvements jouent-ils un rôle dans cette dimension « sociologique » ?
Emmanuel Macron :Je pense que la fiscalité du capital est aujourd’huiinadaptée.En 2013, la fiscalité sur les plus-values mobilières a été améliorée, ce qui est favorable à toutes les catégories d’entreprises : on est ainsi plus compétitifs en termes de fiscalité que les Américains au-delà de huit ans, mais le défaut du système, les paliers de deux ans, lui, demeure.Pourle M&A surdesstart-upinnovantes,cen’estpasidéal, notamment enraisondesfrottementsdISFau moment du réinvestissement.Cestpourcelaquona amélioré le systèmedesSiba(sociétésd’investisse-ment pourlesbusinessangels).Pourallerplusloin,le Premier ministreannoncé a lamiseenplacedun compteentrepreneur-investisseur,quipermettraaux entrepreneursdinvestirplusfacilementdansd’autres sociétés et les incitera doncàfinancercequ’onappelle leurécosystème.La mise en place de ce dispositif aidera à développer un écosystème de fonds de capital-risque crédibles ou d’entrepreneurs investisseurs.
Je pense que la fiscalité du capital actuelle n’est pas optimale.Sionaunepférencepourlerisquefaceàlarente, cequiest mon cas,ilfautpréférerpar exemple la taxation sur la succession aux impôts
de type ISF.Às’ajoute l’ cela exit tax, qui conduit maintenant les jeunes à créer leur entreprise à l’étranger dès l’origine. Quand ils regardent l’exit taxde manière rationnelle, ils ne créent pas leur entreprise chez nous. C’est un drame : l’énergie entrepreneuriale peut migrer ailleurs.
Risques :Face aux chocs que subissent les ménages, il y a d’un côté la sécurité sociale, l’économie sociale, et puis l’assurance, le marché. Quel serait le bon équilibre ?
Emmanuel Macron :Aujourd’hui, la protection est faite pour lesinsiders. Que ce soit ce qui concerne le droit du travail ou les droits sociaux, on a un système qui équipe très bien celui qui est dedans, c’est-à-dire celui qui a un CDI dans un grand groupe ou qui est fonctionnaire : le système est bien fait pour lui. Mais, on le sait très bien, ce système crée des inégalités, parce que lorsqu’on est peu qualifié ou qu’on est au chômage, on n’a pas accès à ce système de protection. Et je ne parle pas uniquement de la protection sociale. Par exemple, l’accès au crédit est bien plus facile pour lesinsiders. Une société très duale, encore plus difractée, s’est ainsi constituée.
La transformation économique doit donc nous inciter à repenser les protections de notre système. Certes, elle vient d’une part menacer les emplois des classes moyennes. Mais elle porte d’autre part des potentiels de créations d’emplois pour les plus qualifiés et pour les peu qualifiés (services à la personne entre autres). Elle nous oblige donc à penser différemment le système des protections pour les ménages. Parce qu’il y a toute une part de la population qu’il va falloir former pour qu’elle puisse prendre le train du numérique et saisir les opportunités d’emplois qui se présentent. On va
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devoir assurer la transition de certains emplois de classes moyennes vers des emplois moins qualifiés.
Après, le défi majeur, le vrai sujet de la protection de l’individu, c’est la formation – formation initiale et formation continue. Dans la société de rattrapage, on avait un modèle où la progression sociale individuelle se faisait dans l’entreprise. On pouvait entrer balayeur chez Siemens ou Alstom et puis finir cadre, parce qu’on avait une politique interne de promotion, de formation, etc. C’est fini, puisque l’étape du milieu est totalement digitalisée, hypertaylorisée, et que beaucoup des fonctions ont été externalisées. C’est déjà vrai depuis une quinzaine d’années à travers la tertiarisation, c’est-à-dire l’outsourcingdes entreprises. Ce qui fait que depuis dix-quinze ans, quand on est chez Accor et qu’on balaye, on n’est plus vraiment chez Accor, on est dans une société de nettoyage, et la seule vocation de cette société est de rester dans le nettoyage. Donc on a déjà cassé ces chaînages, et ceux qui demeurent vont être cassés encore plus brutalement. Notre défi va être de penser les appareils de formation et d’accompagnement pour que, dans une société qui va de plus en plus se polariser, les individus puissent progresser continûment, tout au long de leur vie, et connaître ainsi une mobilité sociale et économique. À cet égard, le compte personnel d’activité représente une avancée importante. C’est dans ce sens que nous devons poursuivre.
Notes
1. Start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars.
2. Entreprises de taille intermédiaire.
3. Google, Apple, Facebook, Amazon.
Risques n° 105
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