« Il [le libéralisme] en vint à être considéré comme un dogme « négatif » parce quil ne pouvait offrir aux individus guère plus quune part du progrès commun, progrès quon trouvait de plus en plus naturel et en lequel on ne reconnaissait plus le résultat de la politique de liberté. On peut même dire que le succès même du libéralisme devint la cause de son déclin. Le succès déjà atteint rendit lhomme de moins en moins désireux de tolérer les maux encore existants, qui apparurent à la fois insupportables et inutiles » (Hayek, 2005, p. 21)1.
Pologne « libérale »versusPologne « solidaire » Les deux facettes de la transition vers léconomie de marché Philippe Rusin Maître de conférences en sciences économiques à lUniversité Paris-VIII, en délégation CNRS auprès du CEFRES La transition de la Pologne vers léconomie de marché est généralement considérée comme lune des expériences les mieux réussies de la région. De fait, la Pologne affiche des performances nettement supérieures aux autres pays en transition en matière de croissance économique sur les quinze dernières années, comme le montre le graphique ci-dessous. Certes, la rupture avec le système socialiste sest traduite, là comme partout ailleurs, par une profonde récession : le PIB a chuté de 18% en termes cumulés sur la période 1990-1991. Mais cest le pays où la récession a été la plus courte – la reprise étant amorcée dès le deuxième trimestre de 1992. Cest aussi le premier à avoir retrouvé (en 1996) son niveau de PIB de 1989. Cest finalement le pays dont le PIB a le plus progressé (+ 47%) en termes cumulés en 2005 par rapport à son niveau davant la transition. Cette croissance est encore plus impressionnante (+ 78%) si lon prend comme référence le niveau plancher atteint par le PIB en 1991, même si la Pologne est encore loin davoir rattrapé le niveau de vie moyen européen (selon Eurostat son PIB par habitant exprimé en standards de pouvoir dachat sélève à 50% de la moyenne de lUnion européenne élargie en 2005).
1et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie située à la fin de létude.Les noms
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LT
BG
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HU EER
CZ
Comparaison des taux de croissance du PIB des PECO et des Etats baltes (base 100 en 1989) 150 Pologne (PL) Slovénie (SI)PL 140 Hongrie (HU) Slovaquie (SK) 130Estonie (EE) République tchèque (CZ) Roumanie (RO)SI Lettonie (LV) 120Lituanie (LT) Bulgarie (BG) 110 100 90 80 70 LV 60 50 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Sources :Commission économique des Nations-Unies pour l'Europe, Economic Survey of Europe, 2003 N°2, Appendix Table B.1, p. 112 et 2005 N°2, Appendix Table A.1, p. 59. Données actualisées sur la base des statistiques nationales. Ces performances sont dautant plus remarquables que le socialisme réel a laissé le pays dans une situation catastrophique sur le plan économique : à la fin de lannée 1989, les finances publiques enregistrent un déficit de 8% par rapport au PIB, tandis que le pays connaît de profonds déséquilibres sur le marché intérieur qui se traduisent par une forte poussée inflationniste (250%), alimentée par lindexation à 80% des salaires obtenue lors des négociations de la « Table ronde ». La pénurie générale de biens est aggravée par la priorité donnée aux exportations pour servir la dette extérieure, qui sélève à 38 milliards de dollars. Façonné selon les dogmes socialistes, lappareil de production polonais est alors dominé par 8 500 conglomérats dEtat – produisant plus de 70% du PIB – qui emploient une main-dœuvre pléthorique, perçoivent des subventions massives et utilisent une technologie obsolète. La Pologne est enfin spécialisée dans les secteurs de lindustrie lourde (mines, sidérurgie, chantiers navals, etc.) – tous en déclin à lOuest – et lagriculture. La défiance de la population à légard de la situation générale du pays se manifeste alors par une très forte dollarisation de léconomie : à la fin de lannée 1989, la composante en devises de la masse monétaire totale dépassait 70% ! Lobjet de cette étude est dinterroger les facteurs à lorigine du nouveau visage de la Pologne, et de les remettre en perspective au regard des débats académiques qui ont éclairé la transition, notamment sur la stratégie des réformes. En la matière, limage de la Pologne, particulièrement à létranger, reste indéfectiblement rattachée à la « thérapie de choc » et à son promoteur, Leszek Balcerowicz, alors ministre des Finances. Mise en œuvre à partir du 1erjanvier 1990, avec lappui financier du Fonds monétaire international (FMI), cette politique repose sur une très forte libéralisation des prix et du commerce extérieur, une réduction drastique des subventions accordées aux entreprises dEtat et leur privatisation
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rapide. Pour stabiliser léconomie, un ancrage nominal du taux de change du złoty sur le dollar est mis en place – à un niveau fortement dévalué, aligné sur le cours du marché noir. Il sagit de rompre avec la planification centralisée et précipiter en quelques mois le pays dans le marché. On relèvera toutefois la position polémique défendue par Stiglitz2, qui voit au contraire en la Pologne un exemple de transition dite « gradualiste » : « La Pologne est le pays dEurope de lEst qui a le mieux réussi. (…) La Pologne a commencé par une « thérapie de choc » pour ramener lhyperinflation à des niveaux plus modérés, et, en raison de son recours initial et limité à cette politique, beaucoup simaginent que sa transition est du type « thérapie de choc ». Mais cest entièrement faux. La Pologne a vite compris que la thérapie de choc était adaptée pour abattre lhyperinflation mais pas pour changer la société. Elle a suivi une politique de privatisation gradualiste, édifiant en même temps les institutions de base dune économie de marché » (Stiglitz, 2002, pp. 237-238). Manifestement, Stiglitz minimise les résultats de la thérapie de choc en les réduisant à la désinflation, alors que le plan Balcerowicz a par-dessus tout produit un changement radical de lenvironnement économique. Certes, la thérapie de choc a été assouplie seize mois après son lancement, mais cette période – qualifiée dextraordinary politics par Balcerowicz (1995, p. 311) lui-même – a été suffisamment longue pour assoir la crédibilité des réformes et convaincre les agents économiques de leur caractère irréversible. Dès lors, ces derniers ont été contraints de sadapter aux nouvelles règles du jeu. En outre, nous verrons quil est erroné dimputer les performances économiques de la Pologne à une « politique de privatisation gradualiste ». Dailleurs, le « gradualisme » décrit par Stiglitz ne peut objectivement pas être considéré comme un choix stratégique délibéré des réformateurs polonais ; cest davantage un constat que lon peut dresser a posteriori, mais qui va à lencontre des desseins revendiqués par les gouvernements polonais successifs. En réalité, il sagit dun euphémisme qui masque la lenteur dun processus soumis à des contraintes à la fois politiques, économiques et sociales. Le choix des réformateurs en Pologne, comme dans la quasi-totalité des pays en transition, était de privatiser le plus vite possible les entreprises dEtat, en employant des méthodes là encore radicales. Nous verrons effectivement que la transition de la Pologne à léconomie de marché a réservé bien des surprises par rapport à lidée que les réformateurs sen faisaient en 1989. Les succès ne sont pas là où on les attendait… Pour sen convaincre, il suffit de se référer au débat sur les stratégies de privatisation au début des années quatre-vingt-dix, et de voir la lenteur avec laquelle les institutions internationales (la Banque mondiale, en particulier) ont révisé leurs recommandations sur les réformes à suivre.
2de son poste de chef économiste à laJoseph Stiglitz (prix Nobel déconomie) a démissionné avec fracas Banque mondiale en novembre 1999. Il est devenu, par la publication de son pamphlet contre les politiques préconisées par les institutions de Bretton Woods (Stiglitz, 2002), la caution académique du courant altermondialiste.
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QUELLE STRATEGIE DE PRIVATISATION?En schématisant, deux approches théoriques se sont opposées : dun côté, une approche évolutionniste sen remettait à la création dentreprises quiex nihilo à leur et développement3pour mener à bien la privatisation de léconomie4. Et de lautre, une approcheradicaleque la privatisation des entreprises dEtat était un qui considérait préalable à lémergence du nouveau secteur privé ; en conséquence, cette dernière approche plaidait en faveur dune accélération de ces privatisations, notamment sous la forme dune distribution gratuite des droits de propriété des entreprises dEtat à la population. Nous commençons par présenter une synthèse des argumentaires croisés de ces deux approches. Étant donnée labondance de la littérature sur la r quelquesauteursparmilesplusinfluentsdanslepsivdaétbiastastioacn,adnéomuisqnuoeus5todtnle,analysessemmoilsétimàs par rapport au courant auquel nous les avons rattachés, est apparue comme la plus représentative. Lapproche évolutionniste de la privatisation : « la stratégie du développement organique »6du nouveau secteur privé Lapproche évolutionniste, essentiellement défendue par Kornai, met en avant la dimension qualitative de la privatisation de léconomie7. Dans cette logique, elle rejette toute stratégie qui consisterait à accélérer « artificiellement » la privatisation des entreprises dEtat : selon Kornai, la distribution des droits de propriété à la population impliquerait leur transfert formel », mais nassurerait pas lémergence dun « gouvernement dentreprise efficace au sein des entreprises dEtat. En se référant à lhistoire du capitalisme, Kornai (1990, p. 50)affirme que seuls les entrepreneurs de « chair etde sang » qui composent le nouveau secteur privé – étant guidés par de bonnes incitations – sont en mesure de mener à bien la privatisation de léconomie : « Lesentrepreneurs sont les principaux artisans du développement du système capitaliste ; ils constituent les agents les plus intelligents et les plus chanceux pour accumuler – soit rapidement, soit à travers des générations successives – le capital. (…) Leurs entreprises pénètrent et se retirent des marchés ; certaines survivent, tandis 3suite de notre analyse en employant lexpressionPhénomène auquel nous ferons référence dans la « nouveau secteur privé ». 4pour désigner laugmentation de la part du » privatisation de léconomieNous utiliserons lexpression « secteur privé dans la création de richesse (le PIB) ; et nous adopterons lexpression « privatisation des entreprises dEtat » pour désigner le seul transfert dactifs qui appartenaient à lEtat vers des agents privés. 5Ces auteurs ont pour la plupart été employés comme conseillers auprès des différents gouvernements des pays en transition pour les aider à déterminer leur politique de privatisation. 6Kornai, (2000, p. 265). 7János Kornai est lun des grands économistes hongrois contemporains. Auteur dun livre de référence qui analyse finement le fonctionnement de lancien système socialiste (Kornai, 1984), il a joué un rôle de tout premier plan dans les débats académiques autour de la transition, notamment à travers la publication dun ouvrage en 1990 dans lequel il expose sa stratégie des réformes (Kornai,1990).
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Etudes du CEFRES N° 9 que dautres disparaissent. Il y a ceux qui natteignent que le stade du petit commerce, ou dune modeste PME, mais il y a aussi ceux dont lentreprise se développe au point de devenir une multinationale » (Kornai, 1990, pp. 73-74). En outre, selon Kornai (1990, p. 50), lexpansion du nouveau secteur privé doit conduire à un processus de stratification sociale à travers lémergence des petits entrepreneurs, qui sont appelés à constituer le cœur de la classe moyenne naissante, qui sera à même de consolider lassise démocratique du capitalisme. Cette condition est là encore incompatible avec lapproche radicale de la privatisation : « Le développement du secteur privé se fait étape par étape. Il est impossible dinstituer la propriété privée par une attaque de cavalerie. Lembourgeoisement est un processus historique long » (Kornai, 1990, p. 54). A lextrême, Kornai (1995, pp. 52-53) va même jusquà défendre lidée que la privatisation au sens strict nest pas indispensable : si dune part le nouveau secteur privé se développe rapidement, et dautre part le secteur public stagne, alors le différentiel de taux de croissance qui en résulte entraînera la privatisation de léconomie sans quil soit nécessaire de recourir à la privatisation des entreprises dEtat. Pour autant, conscient du poids initial dominant de lancien secteur dEtat, Kornai insiste sur la nécessité de limiter son pouvoir de nuisance en durcissant autant que possible la contrainte budgétaire qui pèse sur les entreprises dEtat8. Kornai résume ainsi sa pensée dans la conclusion de son premier chapitre consacré à la propriété : « A mon avis, nous allons devoir compter durant les deux prochaines décennies avec léconomiedualequi a émergé en Hongrie au cours des dix ou vingt dernières années – dans ses deux composantes : le secteur dEtat dune part, et le secteur privé dautre part. Pour commencer, le poids du secteur dEtat ne pourra être réduit que graduellement, et nous devrions nous efforcer de le rendre plus efficace, mais nous ne devons pas pour autant entretenir de vains espoirs. Il nexiste pas de remède miracle susceptible de le transformer en un espace dentreprenariat véritable. Que cela nous plaise ou non, le secteur dEtat conservera de nombreux handicaps. Cest pourquoi nous devrions nous efforcer de minimiser ces aspects négatifs à travers une discipline financière stricte et un contrôle parlementaire adéquat, tout en essayant dempêcher le secteur dEtat daccaparer trop de ressources au détriment du secteur privé » (Kornai, 1990, p. 101).
8Notons à ce propos que, fort de ses précédents travaux sur la firme socialiste (Kornai, 1984), Kornai doute de la possibilité de durcir effectivement cette contrainte : « Tantque le secteur dEtat restera le secteur dominant de léconomie nationale, les entreprises – du fait de leur mode de fonctionnement – ne seront jamais soumises à une contrainte budgétaire dure. Il est temps dabandonner lespoir que la contrainte budgétaire peut être durcie » (Kornai, 1990, p. 62).
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Lapproche radicale de la privatisation : « leuthanasie économique » de la propriété dEtat9Lapproche radicale partage lanalyse de Kornai selon laquelle cest la création dentreprisesex nihiloqui constitueen théoriela voie la plus efficace de privatisation au sens large de léconomie : « Le nouveau secteur privé est constitué de petites entreprises qui sont directement gérées par leurs propriétaires et sont mues par un système dincitations efficace, tandis que les entreprises privatisées pâtissent des problèmes posés par un gouvernement dentreprise faible (…). En outre, les entreprises privées crééesex nihilo pas nont hérité des problèmes structurels et culturels des anciennes entreprises dEtat privatisées »(Balcerowicz, 1995, p. 194). Maisen pratique, lapproche radicale estime que lémergence du nouveau secteur privé se heurte à trop dobstacles pour apparaître comme une stratégie crédible à même de gouverner les politiques publiques de privatisation. Le principal obstacle, cest bien sûr la lenteur de ce processus, compte tenu du poids initial prépondérant occupé par les entreprises dEtat, à la fois dans la création de richesse et dans lemploi – compris entre 70 et 100% selon les pays en transition : « Certainsexperts estiment que la taille du secteur privé reste trop faible pour quil puisse se développer spontanément et, donc, modifier fondamentalement le contexte dans lequel évoluent les entreprises. Cette évolution « naturelle » serait trop lente pour être efficace » (Grosfeld, 1990, p. 151). En outre, à la lumière des toutes premières années de la transition, et en se focalisant sur la percée la plus évidente du nouveau secteur privé dans les services, les partisans de lapproche radicale tirent la conclusion suivante : essentiellement constitué de très petites entreprises, faiblement dotées en capital, le nouveau secteur privé est incapable de pénétrer les branches de lindustrie manufacturière – étant donnée lexistence de barrières technologiques et financières à lentrée – et donc den assurer la restructuration : « Le fait que léconomie polonaise avait besoin de développer les secteurs du commerce, des services et de la construction nest pas en question. En revanche, étant donnée la très faible avancée de la restructuration des entreprises dEtat dans lindustrie manufacturière, on peut se demander dans quelle mesure la croissance du [nouveau] secteur privé est capable de se substituer à la restructuration des entreprises dEtat. Kornai a depuis longtemps défendu lidée que seul le nouveau secteur privé – et non lancien secteur dEtat – peut être considéré comme le moteur de la croissance en Europe de lEst. Mais la réalité montre que lentrée de nouvelles entreprises privées dans lindustrie manufacturière ne peut clairement pas, dans un proche avenir, remplacer la transformation des entreprises dEtat existantes. Lindustrie manufacturière moderne requiert une taille critique et un niveau technologique trop importants pour être mise sur pied rapidement à partir de la création dentreprisesex nihilo (Blanchard et – surtout avec un apport limité en capitaux étrangers » Dbrowski, 1993, pp. 132-133).
9Lewandowski et Szomburg (1989, p. 261).
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De même, Johnson sinterroge : « Même dans les pays où il est relativement fort, le secteur privé peut-il constituer le socle dune économie industrielle moderne ? » (Johnson, 1994, p. 245). Nivet dresse un constat similaire et tire la conclusion qui en découle : « Le degré de sophistication et la taille nécessaires à la viabilité dune entreprise industrielle rendent complexe sa créationex nihilo. (…) La grande privatisation, cest-à-dire celle des entreprises dEtat, nen paraît donc que plus essentielle » (Nivet, 1994, p. 124). Cest pourquoi il faut faire en sorte que le secteur privé, dans son ensemble, atteigne rapidement une « masse critique » qui permette de basculer du système économique socialiste à léconomie de marché : « La privatisation des entreprises dEtat reste lélément clé de la stratégie de transformation. Cette dernière ne saurait en effet se limiter au développement progressif du secteur privé grâce à « lentrée libre » de nouvelles entreprises. Une telle stratégie pourrait mettre en péril le processus fragile de transition. La coexistence pendant une longue période de petites firmes actives et dun secteur public important et inefficace nest pas une option politiquement viable. Elle ne permettrait pas non plus à léconomie toute entière de bénéficier du dynamisme du secteur privé : on peut supposer en effet quen dessous dune certaine « masse critique » de lactivité privée, la routine et le comportement « opportuniste » du secteur dEtat dominant ne pourront être surmontés » (Grosfeld et Nivet, 1992, pp. 228-229). Concrètement, la persistance du poids économique dominant de la propriété dEtat représente un environnement économique hostile de nature à entraver lémergence lente du nouveau secteur privé, et menace ainsi de bloquer lavancement des réformes : « Leffacement naturel de la propriété dEtat est un processus trop lent, qui risquerait de contaminer lensemble de lenvironnement économique » (Lewandowski et Szomburg, 1989, p. 261). « Le scénario le plus probable verrait la poursuite ou le retour de la politisation des entreprises dEtat et de leurs pertes financières. Ces pertes risquent dabsorber lépargne nationale et en conséquence, un vaste secteur dEtat tendrait à évincer le développement du secteur privé. A lextrême, la croissance du secteur privé pourrait stopper et le pays serait pris dans un équilibre très inefficace avec un vaste secteur dEtat gaspilleur » (Balcerowicz, 1995, p. 197). Dès lors, la rapidité de la privatisation au sens large devient un enjeu majeur – voire une conditionsine qua nondu succès – de la transition : « La Pologne devra satteler de façon aussi radicale et rapide que possible à la privatisation pour parvenir avant la fin de la décennie à une structure de propriété comparable à celle des économies occidentales » (Sachs, 1993, p. 18). « Une course contre la montre est engagée pour mettre un point final à la transformation de la propriété dEtat en propriété privée. Si cette étape est trop longtemps retardée, les bonnes performances macroéconomiques acquises par la Pologne à ce jour risquent dêtre remises en cause » (ibid., p. 80).
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En conséquence, la propriété dEtat doit disparaître : lapproche radicale est partisane de « leuthanasie économique » de la propriété dEtat (Lewandowski et Szomburg, 1989, p. 261). Or, de quels moyens disposent les pouvoirs publics pour accélérer la privatisation de léconomie ? Pour le développement du nouveau secteur privé, laction de lEtat sest limitée à des mesures de libéralisation favorables à la création dentreprisesex nihilo qui ont été votées et mises en place dès le début de la transition. Pour la privatisation des entreprises dEtat, lexpérience britannique menée au cours des années quatre-vingt par Margaret Thatcher montre quelle risque de sétaler sur plusieurs décennies si elle se limite aux techniques standard de transfert des actifs publics vers la sphère privée10. En conséquence, lapproche radicale défend lidée que le seul levier qui reste à la disposition des gouvernements des pays en transition pour accélérer la privatisation de léconomie, cest le recours à des méthodes non standard de privatisation, dont lobjectif est le suivant : « Le cœur de notre proposition est un transfert réel et radical des droits de propriété de lEtat vers les citoyens » (Lewandowski et Szomburg, 1989, p. 263). « Ilest nécessaire de faire un pas radical en mettant en place un nouvel ordre institutionnel et organisationnel. Cest seulement à ce stade quun processus évolutionniste pourra réellement samorcer » (Grosfeld, 1994, p. 61). Ces méthodes se voulaient ainsi « une réponse pragmatique aux obstacles réels rencontrés par le processus de privatisation » (Grosfeld, 1994, p. 58). Les deux principales approches que nous venons de présenter divergent donc assez nettement sur les modalités de la privatisation de léconomie. Il était important de rappeler leurs positions et leurs arguments respectifs, car ce débat académique ne sest pas limité au seul niveau théorique, mais a très directement débouché sur des recommandations concrètes en matière de politique économique et a finalement très largement orienté les stratégies nationales de privatisation à lEst. A cet égard, lapproche radicale a été fortement relayée par les institutions de Bretton Woods (Fonds monétaire international et Banque mondiale) auprès des gouvernements de la région. De sorte que des programmes non standard de privatisation ont été mis en place dans pratiquement toutes les économies en transition11des droits de propriété à la population a pris. En Pologne, cette distribution le nom de « programme de privatisation de masse ».
10Vente de gré-à-gré à un investisseur stratégique étranger, introduction en bourse sous la forme dune offre publique de vente (OPV), reprise par les salariés, etc. 11Pour une liste exhaustive, voir Liebermanet al.p. 13). Seules la Hongrie et lEstonie ont tabl. 2, (1997, délaissé ce type de schéma en privilégiant la vente directe de leurs entreprises dEtat à des investisseurs étrangers.