Bac STG 2012, épreuve de Philosophie, sujet 2 « Faut-il être cultivé pour apprécier une œuvre d’art ? » Proposition de corrigé par Florence Begel, lycée René Char à Avignon Face à notre désarroi pour juger les œuvres contemporaines, on est souvent tenté par deux réactions : soit considérer que l’artiste nous propose n’importe quoi, soit prendre en compte, avec beaucoup de modestie, notre incompétence et notre manque de culture pour apprécier une telle œuvre. En avouant cependant que les artistes contemporains ne sont pas tous des charlatans, et que leurs œuvres sont tout de même reconnues par un public averti, nous pouvons nous demander si pour apprécier une œuvre d’art il faut être cultivé. Le problème est de savoir ce que l’on entend par là quand on sait que la culture ne se réduit pas à l’érudition et que l’appréciation n’est peut-être pas le seul jugement de goût en référence à des normes mais aussi une forme de jouissance, de plaisir que nous procurerait une œuvre artistique. Quel est donc le rôle de la culture, c’est-à-dire de toutes ces habitudes et aptitudes apprises qui appartiennent à mon éducation et participent à mes jugements ? Il faudra se demander si j’ai simplement bon goût ou si je suis cultivé lorsqu’une œuvre me plaît, lorsque je l’apprécie. Enfin, on s’interrogera sur l’existence même de l’œuvre indépendamment des jugements d’appréciation que l’on peut formuler à son sujet. Proposition de plan : I.
Faut-il être cultivé pour apprécier une uvre dart ?
Proposition de corrigé
par Florence Begel, lycée René Char à Avignon
Face à notre désarroi pour juger les uvres contemporaines, on est souvent tenté par deux réactions : soit considérer que lartiste nous propose nimporte quoi, soit prendre en compte, avec beaucoup de modestie, notre incompétence et notre manque de culture pour apprécier une telle uvre. En avouant cependant que les artistes contemporains ne sont pas tous des charlatans, et que leurs uvres sont tout de même reconnues par un public averti, nous pouvons nous demander si pour apprécier une uvre dart il faut être cultivé. Le problème est de savoir ce que lon entend par là quand on sait que la culture ne se réduit pas à lérudition et que lappréciation nest peut-être pas le seul jugement de goût en référence à des normes mais aussi une forme de jouissance, de plaisir que nous procurerait une uvre artistique. Quel est donc le rôle de la culture, cest-à-dire de toutes ces habitudes et aptitudes apprises qui appartiennent à mon éducation et participent à mes jugements ? Il faudra se demander si jai simplement bon goût ou si je suis cultivé lorsquune uvre me plaît, lorsque je lapprécie. Enfin, on sinterrogera sur lexistence même de luvre indépendamment des jugements dappréciation que lon peut formuler à son sujet.
Proposition de plan :
I. Linstruction et la connaissance nécessaires à lappréciation dune uvre
La culture serait indispensable pour goûter à sa juste valeur une uvre parce que la culture nous permet de nous situer nous-mêmes et de situer lartiste dans une époque et un espace particuliers. La culture donne les clés de la compréhension dune uvre : elle permettrait de juger au sens dévaluer une uvre en la ramenant aux critères de goût dune époque. Cela reviendrait à mesurer une uvre relativement à des critères, à des normes. Luvre dart sinscrit ainsi dans une histoire particulière. Ce que nous apprenons en étant cultivé ce sont des règles mais il nest pas sûr que lart se réduise à un langage et que les règles que nous percevons dans luvre soient celles que souhaitait transmettre lartiste. Lart échappe en cela aux catégories qui se transmettent, qui senseignent, il relève de la liberté de penser et de faire dun artiste.
II. Une uvre nest pas hermétique, elle relève du plaisir
Cest le rapport que le spectateur entretient avec luvre qui est décisif dans son appréciation et non un appareil technique, un lexique par exemple ou des données historiques. Ce rapport est tout subjectif : il est celui dune sensibilité et dune matière. On a beau tout savoir sur un artiste, sur le mouvement dans lequel sinscrit sa création, on ne sera pas pour cela en mesure de lapprécier. Si la culture nous aide à comprendre lart, pour lapprécier cest différent car cela relève du goût, du plaisir et non de la réflexion. Il faut à la manière de Kant distinguer les jugements de goût des jugements de connaissances. Les premiers sont déterminants cest-à-dire partent de luniversel pour sappliquer au cas particulier, pour les second cest linverse. Le goût est en effet la relation dun sujet à une uvre particulière qui décide, avec toute sa subjectivité, de dire cest beau . Luvre relève enfin du libre jeu de limagination et de lentendement. En labsence de concept nous dit Kant, tout se passe comme si je ne pouvais pas mempêcher de juger, de dire cest beau . Mais cela ne sexplique pas par la culture, cela séprouve lorsque face à une uvre jéprouve du plaisir que je cherche implicitement à faire partager : il existe un jugement de goût universel qui est comme cette prétention à faire partager mon propre goût.
III. Une uvre se suffit à elle-même
On oublie souvent, face à lart abstrait, que luvre est une matière qui ne renvoie pas à autre chose quelle même. En ce sens lartiste ne communique pas, nenvoie pas un message par lintermédiaire de son uvre. La création est bien plus que cela et comme affirmait
Kant, aucun Homère, aucun poète ne saurait rendre compte lui-même de ce que luvre véhicule. Luvre ne renvoie ni à des règles, ni à des concepts. Si la culture peut aider à comprendre, à situer une uvre dans son contexte, elle ne permet pas de lapprécier à sa juste valeur. Car luvre nest jamais quun signe qui renverrait à un sens. Elle déborde la culture elle-même en tant que manifestation de la liberté humaine et son infinie capacité à créer comme à apprécier les uvres. Quelle que soit luvre, elle appartient à une culture sans hiérarchie, sans critère de reconnaissance. Ce qui sapprend et qui appartient à une culture déterminée, cest une manière de voir, découter, de sentir, bref : de participer à luvre. Mais ceci se fait insensiblement car tout enfant est candidat à la culture de son pays et de son temps comme toute uvre dart est candidate à lappréciation.
Conclusion:sans même être expliquée, comprise et enferméeUne uvre dart peut être appréciée dans des règles ou des normes culturelles. En cela, on peut dire quelle est indépendante du fait dêtre ou non cultivé. Entendons bien cependant par là appartenir au sens large à une culture, avoir reçu une éducation, quelle que soit la forme de celle-ci. Ce que les ethnologues nous ont appris, cest que culture ne signifie pas une marche vers le progrès et une somme de connaissances dune élite réservée à quelques peuples. Tout homme, parce quil est homme, possède une culture. Est-ce en cela quil est en mesure dapprécier lart ? Sans doute à condition de bien comprendre que luvre nobéit à aucune norme mais est le fruit de son créateur et de lappréciation du spectateur.